La justice américaine va-t-elle bientôt prononcer une condamnation pour une demande de retrait frauduleuse ? C’est en tout cas ce qu’espèrent l’hébergeur WordPress et un de ses utilisateurs, qui réclament aujourd’hui près de 25 000 dollars à un représentant de Straight Pride UK. Le mis en cause avait demandé - puis obtenu - l’été dernier la suppression d’un billet de blog sur le fondement d’une requête DMCA. Explications.
Étudiant en histoire et parallèlement journaliste freelance, Oliver Hotham publie en août 2013 sur son blog les réponses qui lui ont été transmises par email par une organisation opposée au mariage gay, « Straight Pride UK ». Sauf que quelques jours plus tard, un représentant de l’association contacte WordPress, qui héberge le fameux blog, afin que le billet litigieux soit supprimé. Motif invoqué ? Oliver Hotham « n’était pas autorisé à reproduire ce contenu ».
Pour obtenir la suppression de l'article, il passe par une requête DMCA
Manifestement irritée de l’utilisation qui a été faite de ses réponses, Straight Pride UK s’appuie sur la législation américaine applicable aux hébergeurs pour adresser une requête dite « DMCA » à WordPress. Le représentant de l’organisation demande tout simplement à l’intermédiaire de bien vouloir retirer l’article, dans la mesure où il l’estime illicite - de la même manière que certains ayants droit réclament la suppression de fichiers mp3 ou vidéo à des hébergeurs tels que RapidShare ou MEGA. Il s’agit au passage de la même procédure lorsque Google est invité à déréférencer des pages renfermant des contenus jugés illicites.
Le principe de ces procédures de « notice and take down » (une notification, un retrait) est simple : l’intermédiaire devient responsable s’il n’agit pas après qu’un ayant droit l’a averti de l’illicéité d’un fichier hébergé sur ses serveurs.
Contestation devant la justice de cette demande jugée « frauduleuse »
Mais Straight Pride UK avait-elle le droit de réclamer la suppression de cet article ? Pour Oliver Hotham, la réponse ne fait aucun doute : non. L’intéressé affirme s’être bien présenté comme étant un journaliste. Son interlocuteur était en outre attaché de presse, donc parfaitement conscient de l’utilisation qui serait faite de ces réponses. Le fichier PDF renvoyé était par ailleurs intitulé « Communiqué de presse - Hotham » (l’étudiant s’en explique plus en détails sur son blog).
Après avoir vu son article retiré, Oliver Hotham a déposé une contre-notification auprès de WordPress, afin de contester cette purge. Finalement, l’étudiant et l’hébergeur du blog se sont alliés, déposant une plainte devant la justice californienne en novembre 2013. À leurs yeux, la demande de retrait de Straight Pride UK était « frauduleuse » et le contenu visé « parfaitement licite ». Ils poursuivent : le représentant de l’organisation « n'a pas fait cela pour protéger légitimement sa propriété intellectuelle, mais pour essayer de censurer la liberté d’expression d’Hotham ». L’intéressé se voit ainsi reprocher d’avoir menacé l’intermédiaire de perdre sa protection relative au « Safe Harbor » en cas de suite défavorable à la requête.
La condamnation pourrait dépasser les 24 500 dollars
Sauf que le représentant de Straight Pride UK, qui est basé au Royaume-Uni, n’a pas répondu à ces poursuites judiciaires. Le 22 mai dernier, les plaignants ont donc demandé à ce qu’un jugement « par défaut » soit rendu. Pour cette demande de retrait qu’ils considèrent comme frauduleuse, ils réclament 5 000 dollars de dommages et intérêts chacun, au titre du préjudice causé à leur réputation et pour le temps passé à s’occuper du litige. Ils demandent également à ce que 14 520 dollars de frais de justice leur soient alloués. Une audience a été fixée au 27 juin prochain. En l’absence de signe de vie de la part de Straight Pride UK, il y a de grandes chances que le juge en charge du dossier valide l’ensemble des demandes.
En attendant le verdict, soulignons qu’une éventuelle condamnation enverrait un premier signe en direction des auteurs de requêtes illégitimes voire frauduleuses. Rappelons à titre d’exemple que Google a par exemple procédé l’année dernière au déréférencement de plusieurs pages permettant de télécharger le documentaire « The Pirate Bay - AFK », sur demande de plusieurs majors hollywoodiennes. Or ce film est sous licence libre. Plus récemment, un film d’animation également sous licence Creative Commons quant à lui été bloqué sur YouTube, sur demande de Sony cette fois. Même si Google a depuis fait le nécessaire pour que tout rentre dans l'ordre, les limites aux requêtes DMCA - dont le nombre explose chez la firme de Mountain View - s'avèrent aujourd'hui de plus en plus criantes.
Insistons enfin sur le fait qu’en France, l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit que le fait de signaler « un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».