La vague de mobilisation en faveur d’Edward Snowden s’est poursuivie en France jusqu’au Sénat. Deux élues centristes viennent en effet de déposer une proposition de résolution afin que le lanceur d’alerte soit symboliquement proclamé « Citoyen d'honneur de la République française », et que la Haute assemblée appuie une éventuelle demande d’asile politique de la part de l’Américain, dont le visa russe expirera le mois prochain.
En fin de semaine dernière, l’ex-ministre Chantal Jouanno et sa collègue Catherine Morin-Desailly, également membre de l’UDI, ont déposé au Sénat une proposition de résolution concernant Edward Snowden, l’ex-agent de la NSA à l’origine depuis un an tout juste des multiples révélations sur les programmes de surveillance américains - à commencer par Prism. Et pour cause, le lanceur d’alerte se trouve actuellement en Russie, où le visa temporaire dont il bénéficie depuis l’été dernier doit expirer le 31 juillet prochain.
Cette initiative se situe surtout dans le prolongement de celles lancées à l’occasion du premier anniversaire du début de « l’affaire Snowden ». La campagne « Reset the Net » a ainsi connu un fort écho international la semaine dernière, tandis qu’en France, une pétition en ligne censée appuyer une éventuelle demande d’asile de l’Américain a été soutenue par de nombreuses personnalités politiques ou intellectuelles (Michel Rocard, Edgar Morin, Philippe Aigrain,...).
L’asile en France pour Snowden
Et c’est justement pour porter cette pétition devant le Sénat que les deux parlementaires ont rédigé cette proposition de résolution. « Il est indispensable d'accueillir Edward Snowden dans un État de droit, afin qu'il puisse se défendre et participer au débat sur le renforcement des libertés publiques » insistent les sénatrices dans leur exposé des motifs. Selon elles, le lanceur d’alerte a permis de révéler « que les collectes massives d'informations par la NSA (...) dépassaient le cadre de la lutte nécessaire contre le terrorisme ou contre les autres risques géopolitiques », informant de ce fait le grand public de « ces dérives », et « plaçant l'intérêt général et l'éthique au-dessus de la raison d'État ».
Elles réclament ainsi que l’Américain puisse obtenir l’asile politique en France, sur le fondement de l’article 53-1 de la Constitution, lequel prévoit que « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ».
Le Sénat invité à ressusciter les « Citoyens d’honneur de la République »
Mais ce n’est pas tout. « Il est cependant nécessaire d'aller plus loin dans l'expression de notre gratitude envers ce lanceur d'alerte civique » poursuivent Jouanno et Morin-Desailly. Les deux sénatrices estiment en effet que « dans la mesure où Edward Snowden s'est mis en danger pour défendre nos libertés à tous », l’intéressé mériterait de devenir « Citoyen d'honneur de la République française ».
Qu’est-ce donc qu’un « Citoyen d'honneur de la République française » ? Les auteurs de cette proposition expliquent qu’un tel titre fut accordé en 1792 par l'Assemblée législative de la Révolution française à des étrangers s’étant distingués par leurs actions ou leurs écrits. Chantal Jouanno et Catherine Morin-Desailly demandent donc au Sénat de « ressuscite[r] cette pratique » n’ayant vécu que très peu de temps, mais quelque peu revenue sur le devant de la scène depuis que la ville de Paris désigne régulièrement des « Citoyens d’honneur ».
« Il en va de l'honneur de la France »
Pour convaincre les sénateurs d’adopter cette résolution, les deux parlementaires invitent leurs collègues à proclamer que « plus que tout autre pays du monde, la France, qui fut et demeure la patrie des droits de l'Homme, a en la matière un devoir d'exemplarité morale », et « qu'il en va de l'honneur de la France que soient préservés son héritage gaullien de courage diplomatique et sa longue tradition du droit d'asile politique ».
Il n’en demeure pas moins que ce texte, dépourvu de valeur juridique, devra recueillir une majorité de suffrages pour être solennellement adopté. Ce qui n'est pas forcément gagné étant donné la position des socialistes sur la question : la semaine dernière, Manuel Valls s’est encore dit défavorable à ce que la France accueille Edward Snowden sur son territoire. Cette proposition de résolution n'est par ailleurs pas encore à l'ordre du jour, même si Chantal Jouanno a déclaré qu’elle souhaitait que ce soit « rapidement » le cas.
Quoi qu’il en soit, même si le Sénat adoptait cette résolution, cela ne signifierait pas que l’asile serait automatiquement accordé à Edward Snowden, puisque tout cela dépend d’institutions spécialisées et indépendantes du politique (l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, voire la Cour nationale du droit d'asile ou même le Conseil d'État en cas de recours). L’historien Patrick Weil est d’ailleurs tout particulièrement revenu sur ce processus dans le cadre d’une tribune.