Le gouvernement a discrètement lancé une mission sur les données d’intérêt général

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

07/07/2015 6 minutes
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Le gouvernement a discrètement lancé une mission sur les données d’intérêt général

Alors que le projet de loi numérique devrait être l’occasion pour le gouvernement d’instaurer une nouvelle catégorie juridique propre aux « données d’intérêt général », Emmanuel Macron et Axelle Lemaire ont confié en toute discrétion une mission sur cette épineuse question à Laurent Cytermann, maître des requêtes au Conseil d’État. Ses conclusions sont attendues pour la semaine prochaine.

Des données publiques aux données d’intérêt général

« Pourquoi se limiter aux données publiques ? » s’était faussement interrogée la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, lors d’un discours consacré à la politique gouvernementale d’Open Data. L’intéressée avait alors annoncé qu’elle souhaitait que son projet de loi numérique soit l’occasion d’introduire dans notre droit un statut spécifique à ces données qui sont en quelque sorte à la frontière entre la sphère publique et privée, mais qui présentent malgré tout « des externalités fortes » pour le public (environnement, transports, logement, santé...).

Le problème est qu’aujourd’hui, seules peuvent être ouvertes sur le fondement de la loi « CADA » de 1978 les « données publiques » de l’État, des collectivités territoriales et des institutions chargées d’une mission de service public administratif. Autrement dit, rien n’oblige pour l’instant la SNCF à ouvrir ses informations relatives aux horaires ou aux prix de ses trains. Il en va de même pour les données de certains opérateurs tels qu’EDF, l’Office national des forêts, l’Établissement français du sang, etc.

Des avis très divergents sur la question 

Comment s’y prendre pour instaurer ce nouveau statut juridique ? En mars, le rapport Jutand sur les données de transport proposait au gouvernement de rendre « réutilisable de droit » toute « information produite dans le cadre de services au public [et] dont l’ouverture est considérée d’intérêt général, car elle rend possible la mise en place de nouveaux services à l’intention du public ». Ces dispositions plutôt vagues auraient eu pour avantage de s’appliquer de manière souple et évolutive au fil du temps, d’autant qu’elles évitaient d’avoir à rechercher un lien entre le producteur des données et une personne publique (convention entre une société de bus et un Conseil général par exemple).

Sauf qu’il y a quelques semaines, le Conseil national du numérique a rendu un avis totalement différent. L'institution s'oppose en effet expressément à la création d’une catégorie propre aux données d'intérêt général, laquelle « serait par définition de portée trop large et floue ». La qualification juridique des informations rentrant dans ce périmètre s’avèrerait en outre « trop complexe pour être mobilisable simplement », ce qui « risque par ailleurs de créer une insécurité juridique chez les acteurs privés ». En lieu et place, le CNNum en appelait à des approches plus souples (dialogue, incitations...) – et donc bien moins impératives – avec les personnes concernées.

Une mission confiée en catimini

En dépit de ces avis divergents, le gouvernement a confirmé le 18 juin dernier, lors de la présentation de sa stratégie numérique, qu’il instaurerait bel et bien cette nouvelle catégorie de données. L’exécutif semble néanmoins être encore à la recherche du dispositif optimal... Nous avons en effet appris qu’il avait confié voilà plus d'un mois (et en toute discrétion) une mission sur cet épineux sujet à Laurent Cytermann, maître des requêtes au Conseil d’État. Celui-ci est accompagné dans ses travaux par des membres du Conseil général de l’économie et de l'Inspection générale des finances.

Sa lettre de mission, signée le 4 juin par Emmanuel Macron et Axelle Lemaire, se révèle très précise. Laurent Cytermann est invité, « dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif au numérique », à :

  • Définir le périmètre des données d’intérêt général et les critères qui permettraient de retenir cette qualification.
  • Identifier la manière de répondre aux questions juridiques posées par une éventuelle ouverture de ces données, tant au regard du droit de propriété que du droit de la concurrence, de la protection de la vie privée, etc.
  • Proposer des modalités de mise en œuvre de l’ouverture des données d’intérêt général, pourquoi pas en impliquant certaines autorités indépendantes (telles que la CADA par exemple).

Le tout devra bien entendu se concrétiser sous forme de « mesures législatives et réglementaires ». Ce n’est néanmoins qu’à « titre complémentaire » que Laurent Cytermann pourra se pencher sur d’éventuels « instruments de droit souple susceptibles d’encourager les démarches volontaires d’ouverture ».

Des conclusions attendues pour la semaine prochaine

Ces dispositions « clés en main » sont attendues par le ministère de l’Économie et du numérique pour le 15 juillet au plus tard. Le gouvernement explique qu’au regard des nombreuses mesures législatives adoptées ou restant en discussion (sur le registre national de taxis de la loi Thévenoud ou l’ouverture prévue par le projet de loi sur la santé...), il « souhaite disposer aujourd’hui d’une doctrine cohérente et d’un cadre juridique pour étendre ces dispositifs [relatifs à ces données perçues comme d’intérêt général] ». L’exécutif veut dans le même temps éviter « de conforter les rentes de situation ».

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Extrait de la lettre de mission de Laurent Cytermann, que Next INpact a pu consulter.

Cette mission lancée jusqu’ici sous silence demeure d’autant plus surprenante que la présentation du projet de loi numérique semble imminente, Axelle Lemaire ayant promis de dévoiler son texte « avant la fin du mois de juin ». Contacté à plusieurs reprises, le cabinet de la secrétaire d’État au Numérique n’a cependant pas donné suite à nos sollicitations.

Pendant ce temps, la mission Cytermann devait consulter plusieurs institutions telles que la CADA, la CNIL, l’Autorité de la concurrence, etc. Même le collectif SavoirsCom1 a annoncé avoir été auditionné. Celui-ci se dit cependant « assez réservé sur la pertinence de la notion de données d’intérêt général », préférant une extension du périmètre de la loi de 1978 aux « données produites par des SPIC ou des organismes recevant des subventions publiques ». À ses yeux, l’introduction de cette catégorie juridique « pourrait même s’avérer dangereuse, en servant d’alibi au maintien de redevances » (voir son analyse).

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Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Des données publiques aux données d’intérêt général

Des avis très divergents sur la question 

Une mission confiée en catimini

Des conclusions attendues pour la semaine prochaine

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Commentaires (15)


Vraiment, le plus formidable avec ce gouvernement, c’est sa cohérence au niveau des actions et des propos publiques. Vraiment difficile de faire mieux <img data-src=" />


sous titre excellent comme d’hab ;)


Du pain béni pour les services tels que Google Maps et autres… On se demande bien au final qui va en profiter le plus de ces/nos données…



&nbsp;Il sera temps d’y penser plus tard et de faire ce qu’il y a à faire a posteriori <img data-src=" />


Google est une entreprise comme les autres. Si elle est assez maline pour utiliser ces données, je ne vois pas pourquoi on l’en empêcherait. Tu demandes qui va en profiter : tu le pourrais, si tu as un service à proposer ! Tant mieux si cette ouverture nous offre des services en ligne de qualité, que ce soit par Google ou par Tartempion.



&nbsp;Quand je vois par exemple que leurs itinéraires de transport en commun sont plus efficaces que ceux de la RATP, je ne vais pas les blâmer d’utiliser ces données ouvertes (et rappelons qu’il n’y a pas de données personnelles dedans, donc pas d’exploitation de tracking par exemple).



&nbsp;


Que ce soit Google ou d’autres, dans tous les cas, ce sont les utilisateurs qui en profiteront. Si des entreprises étrangères sont mieux préparées pour exploiter ces données, tant mieux pour elles.



Alors c’est vrai que ce serait cool que ces sociétés mettent un peu plus de volonté à payer des impôts chez nous, mais ce n’est pas le même débat.


Grillé, mais c’est cool <img data-src=" />


De mon point de vue, mais je peux me tromper, c’est pas la donnée en elle même qui est “dangereuse” c’est lorsqu’elle est traitée, croisée… Un petit peu de donnée non personnelle +un petit peu de donnée personnelle… Prises indépendamment effectivement&nbsp;<img data-src=" />


Pour ma part, j’ai un gros doute sur le fait que “ce sont les utilisateurs en profiteront”, d’un point de vue pratique certes.



On verra s’il en est de même s’ils finissent par ouvrir des données de santé… de manière anonyme (je retrouve plus l’article sur le sujet). Les gens trouveront sûrement ça aussi super cool en poussant un peu ça revient à fournir sans effort aux autres des données, certes brutes, sur l’ensemble d’une population… Et tant mieux si Google et autres en tirent profit après tout ça rendra de fiers services <img data-src=" />



&nbsp;


Cela tombe bien pour eux, leur boites noires n’auront pas de mal à voir transiter ces données d’intérêt général sur le réseau. Et vu leur définition de l’intérêt général ou majeur, attendons nous encore à des belles réquisitions chez les uns et les autres.



&nbsp;Par exemple, la donnée sur l’autonomie moyenne des antennes relais mobiles en France en cas de coupure électrique. Voilà une donnée d’intérêt général car si on a un black-out qui dure, ce serait bien de savoir pendant combien de temps on va pouvoir appeler ou surfer via les mobiles, sachant que les box seront HS. Et bien je vous parie que cette donnée là, qui est une donnée d’intérêt général, vous ne l’aurez pas à disposition. Car dans intérêt général, dans un système aussi colbertiste que la France, où le citoyen demeure un sujet, il faut comprendre “raison d’Etat” donc secret. Donc vous aurez des données d’intérêt général devant appartenir seulement à l’Etat, pas au citoyen.

&nbsp;



Vous croyez que j’exagère ? Les données d’autonomie des antennes relais appartiennent bien déjà à l’Etat, qui ne souhaite pas les mettre à disposition du public.


En supposant que les données sont bien anonymisées, en quoi est-ce un problème de “fournir des données, certes brutes, sur l’ensemble d’une population” ? On publie déjà des données démographiques tirées du recensement (âges, sexe, etc.), est-ce pour toi un problème ?



Edit : en fait c’est bon, tu expliques plus bas.


Comme tu dis, le cocktail devient problématique lorsqu’on possède déjà des données personnelles. Mais là le problème vient des utilisateurs, qui livrent leurs données en quantité, pas de l’Etat.



Cette histoire de données personnelles, on en est qu’au début, du coup on en a pas encore subi les conséquences. La première fois que Facebook va se faire hacker et que 1 % de ses utilisateurs, soit 15 millions de personnes, auront leurs données dans la nature, ça va peut-être faire clic.



Surtout qu’ici on ne parle pas juste, comme pour le Sony Network, d’un email, d’un mot de passe et d’un nom, d’une adresse, etc. Avec Facebook, on parle de données qui en terme d’exhaustivité et de structure sont ce qu’il se fait de mieux au monde. Normal, c’est leur métier. A exploiter, pour n’importe quel dessein, c’est du pain béni.








ColinMaudry a écrit :



Comme tu dis, le cocktail devient problématique lorsqu’on possède déjà des données personnelles. Mais là le problème vient des utilisateurs, qui livrent leurs données en quantité, pas de l’Etat.



Cette histoire de données personnelles, on en est qu’au début, du coup on en a pas encore subi les conséquences. La première fois que Facebook va se faire hacker et que 1 % de ses utilisateurs, soit 15 millions de personnes, auront leurs données dans la nature, ça va peut-être faire clic.



Surtout qu’ici on ne parle pas juste, comme pour le Sony Network, d’un email, d’un mot de passe et d’un nom, d’une adresse, etc. Avec Facebook, on parle de données qui en terme d’exhaustivité et de structure sont ce qu’il se fait de mieux au monde. Normal, c’est leur métier. A exploiter, pour n’importe quel dessein, c’est du pain béni.





Entièrement d’accord surtout que les pirates sont des feignants&nbsp;<img data-src=" /> ils vont là où l’info est directement traitée et disponible. Autant avoir tout le profil d’une personne d’un coup d’un seul que de devoir faire le travail <img data-src=" />

&nbsp;



Si tu lis l’anglais, ça pourrait te plaire comme livre



La question n’est pas de savoir si Google & cie vont en profiter plus que les autres entreprises, mais s’il est légitime que l’état dépense beaucoup d’argent pour fabriquer des données brutes, puis les offre au privé qui va se concentrer les services qu’on peut monter dessus (qui margent beaucoup mieux que les données brutes).

Accessoirement, dans certains domaines, ça va faire un peu concurrence déloyale : il y a aussi des privés qui fabriquent et vendent ces données, et qui risquent de faire la gueule si demain elles sont fabriquées en open data avec de l’argent public.



Pour poursuivre sur l’exemple de GMaps, et des données carto de façon générale, si ces données sont jugées d’intérêt général et deviennent gratuites, on saigne d’un côté l’IGN (dont ~le tiers du budget vient des ventes, les deux autres tiers de l’état), et on fait un beau cadeau aux privés qui vendent des services sur la base de ces données (Gmaps et consorts, Tomtom et cie…), et n’auront plus besoin (ou moins besoin, ils ont certainement des trucs spécifiques) de dépenser des sous à fabriquer leurs données brutes.

Ça peut être une politique assumée, mais c’est loin d’être anodin. Je suppose que les mêmes questions se posent dans bien d’autres domaines.


Un peu comme les taxis, sentant le vent tourner, l’IGN devrait faire évoluer son offre de services. Ils bénéficient d’une bonne image en France, pour beaucoup meilleure que les GAFAM.



Mon problème avec les GAFAM c’est qu’elles paient très peu d’impôts en France. Pour les autres (PME principalement), ces données permettront l’émergence de services innovants. Si l’IGN se casse la gueule mais qu’à côté de ça il y a 20 PME qui cartonnent, ça me va.



Et puis cette ouverture de données bénéficie aussi à des initiatives comme OpenStreetMap, un projet communautaire. Ces données pourraient lui permettre d’atteindre une masse critique lui permettant d’offrir un service concurrentiel.



Je ne nie pas que c’est un changement important, mais je pense qu’au final, une grande majorité en profitera.


L’IGN c’est pas une boite privée. Ils ont des missions statutaires (dont la production des données brutes) qu’ils ne peuvent pas refuser de faire, et les coût associés (mais aussi la subvention associée). Ça ne les empêche pas de vendre des services à plus forte valeur ajoutée, mais c’est complètement illusoire de prétendre qu’ils pourraient tenir la concurrence face à des boites privées qui vendraient les mêmes services, mais disposeraient des données brutes gratuitement (d’ailleurs, c’est pas trop le rôle d’un EPA que d’aller en guerre face à des privés)

C’est pour ça que je parle d’une politique à assumer : tout rendre gratuit est parfaitement faisable, mais nécessiterait que l’état finance de sa poche le delta sur les recettes de l’IGN, ce qui n’est pas anodin en période de disette budgétaire.

Idem pour des tas d’autres EPA en partie financés par la vente des produits (là tout de suite j’ai que l’IGN et Météo France en tête, mais il y en a probablement des dizaines). On peut décider de rendre gratuites leurs données, mais il faut pas se leurrer, elles se sont pas produites toutes seules, et l’argent vient forcement de quelque part.