Wi-Fi, sécurité, médical : « la révolution des ondes térahertz »

Wi-Fi, sécurité, médical : « la révolution des ondes térahertz »

Ça ne soigne pas le cancer, mais ça peut aider

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

14/02/2020 10 minutes
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Wi-Fi, sécurité, médical : « la révolution des ondes térahertz »

Assez peu connues du grand public, les ondes térahertz (THz) peuvent jouer un rôle important dans de nombreux domaines, encore faut-il pouvoir les produire dans de bonnes conditions. Alors que les travaux avancent sur le sujet, le CNRS est récemment revenu sur ce qu'elles pourraient permettre.

Depuis des années, les ondes sont omniprésentes dans le numérique. Elles servent à la fois à envoyer des données sans fil via les réseaux de téléphonie mobile, le Wi-Fi, le Bluetooth, l’infrarouge, la TNT, la radio, les liaisons satellitaires, etc. Mais elles sont également utilisées dans l’imagerie médicale, la sécurité, la santé, l’astronomie, etc. 

Chaque domaine en tire des avantages… et des inconvénients. Dans le cas de la transmission de données par exemple, les fréquences basses (sous 1 GHz) portent plus loin et pénètrent mieux dans les bâtiments, mais sont aussi plus rares et il est donc plus difficile de trouver de « la place » disponible. Le cas de la bande des 700 MHz qui a nécessité de réaménager la TNT sur tout le territoire pour libérer une centaine de MHz en est un parfait exemple. 

À l’échelle des ondes THz, ce n’est rien : on trouve 100 MHz entre 1 THz et 1,0001 THz. La transmission de données en THz est d’ailleurs une des nombreuses pistes de recherche, mais n’allez pas croire que cela résoudra tous les problèmes d’un coup : le Li-Fi (avec de la lumière) le montre bien avec ses débits de 1 Gb/s maximum pour le moment.

« Voir à travers les vêtements ou le plastique, détecter des explosifs ou des produits toxiques dans un paquet, identifier des cancers de façon précoce... Les ondes térahertz (THz), s'apprêtent à révolutionner notre quotidien », explique le CNRS dans son Journal, en s’appuyant sur le témoignage de plusieurs scientifiques. 

« Jusqu'ici confinés au laboratoire, les rayons T, comme on les appelle aussi, ont fait ces dernières années leur entrée dans le monde industriel. Et plus rien ne semble désormais les arrêter ». 

Des propriétés « extrêmement séduisantes »

N’allez pas croire que l’on n’utilise pas déjà des fréquences aussi élevées, on va même beaucoup plus loin dans la vie de tous les jours : « Tout comme la lumière, les ondes térahertz sont des ondes électromagnétiques dont la fréquence s'étend entre 0,1 et 10 THz. Dans le spectre électromagnétique, ces radiations se situent ainsi entre les micro-ondes, utilisées notamment dans nos fours, et l'infrarouge, émis entre autres par nos télécommandes ».

L’infrarouge se situe à plusieurs centaines de THz, tandis que la lumière visible est encore au-dessus. On passe même au PHz (pétahertz) pour les ultraviolets, et aux EHz (exahertz) pour les Rayon X et gamma.  Sur le papier, ces ondes térahertz ont des propriétés « extrêmement séduisantes » pour Éric Freysz du laboratoire ondes et matière d'Aquitaine :

« Comme les micro-ondes, elles possèdent un fort pouvoir pénétrant leur permettant de traverser des matériaux comme les vêtements, le bois, le plastique. Et comme la lumière visible, elles se laissent focaliser, pouvant révéler des détails fins, de l’ordre du millimètre, voire moins. Enfin, comme l'infrarouge et à l’inverse des rayons X, elles sont non ionisantes, et donc a priori sans danger pour le vivant »

La difficulté de concevoir des émetteurs/récepteurs

Alors que la première émission d’une onde THz a déjà plus de 100 ans, « il aura fallu attendre les années 1980 pour voir apparaître un émetteur digne de ce nom », explique le centre national de la recherche scientifique.

La technique nécessite d’envoyer des impulsions lumineuses extrêmement brèves sur un matériau semi-conducteur placé sous tension. Les électrons ainsi excités émettent alors des ondes THz.   Il faudra alors attendre les années 90 pour qu’une autre source capable de générer directement de telles ondes soit mise au point : le laser à cascade quantique (LCQ).

Ce sont « des dispositifs uniques dont le fonctionnement repose sur les transitions inter-sousbandes, transitions électroniques entre des états de puits quantiques à l’intérieur d’une même bande d’un semiconducteur. Ce concept a permis le développement de l’ingénierie de structure de bandes et la réalisation de structures laser fonctionnant à des longueurs d’onde auparavant inaccessibles, notamment dans la gamme THz où il n’existe quasiment aucune source », explique le laboratoire Pierre Aigrain (électronique et photonique quantiques).

Ce dispositif a tout de même un inconvénient majeur pour une utilisation commerciale avec le grand public : « les LQCs existants souffrent d'une limite de leur température de fonctionnement (∼ 200K [-73°C, ndlr]), ce qui restreint fortement le champ des applications possibles. Cela vient d'une propriété intrinsèque des matériaux qui sont communément utilisés pour concevoir les LQCs », explique Nolwenn Le Biavan dans sa thèse soutenue en novembre 2019 au CRHEA (Centre de Recherche sur l'Hétéro-Epitaxie et ses Applications).

Selon le CNRS, « la recherche dans le domaine des THz est aujourd’hui très active, avec pas moins d'une trentaine de [ses] équipes travaillant sur le sujet », avec une bonne nouvelle à la clé : « les progrès technologiques ont permis de mettre au point des sources toujours plus compactes et puissantes et des détecteurs toujours plus sensibles et simples d'utilisation. Les rayons T enfin domptés, les idées d'applications fleurissent aujourd'hui et certaines d'entre elles sont d'ores et déjà utilisées de manière opérationnelle ».

Lasers à cascade quantique THz
Lasers à cascade quantique THz / Crédits : laboratoire Pierre Aigrain ENS

Améliorer scanners corporels, traitement du cancer, spectroscopie

Premier secteur mis en avant, la sécurité et les scanners corporels : les ondes THz passent à travers les vêtements, mais sont réfléchies par le métal et absorbées par les molécules d'eau, permettant ainsi d’établir des images en fonction de la composition des objets. « Ces scanners corporels existent déjà dans certains aéroports, mais ils fonctionnent à quelques dizaines de gigahertz (GHz) [les ondes térahertz débutent à 100 GHz, ndlr]. En passant au térahertz, on pourrait les rendre plus précis », explique Juliette Mangeney du Laboratoire électronique et photonique quantiques de l’ENS.

Autre application possible : la recherche d’objets dangereux dans des colis, sans avoir besoin de les ouvrir. Des démonstrations se sont déjà déroulées dans plusieurs pays, dont la France, « mais les cadences de tri postal rendent encore difficile la mise en place de tels systèmes avec les moyens d'imagerie actuels ». Les progrès de la science devraient néanmoins permettre d’y arriver un jour.

Dans le médical aussi les ondes THz pourraient avoir de gros avantage pour « traquer certaines formes de cancers et détecter des caries naissantes sous l'émail ». Patrick Mounaix, directeur de recherche au CNRS, détaille ses travaux : « Nous avons développé en collaboration avec un laboratoire allemand un système qui permettra en 30 minutes de savoir si tous les tissus atteints ont bien été retirés. Les premiers tests dans les hôpitaux devraient commencer l'année prochaine ».

D’autres domaines sont évoqués : la spectroscopie, la mesure d’épaisseur de revêtements très fins (10 à 100 microns),  inspection de pièces d'avion,  recherche de défauts dans des matériaux en plastique en cours de fabrication, etc. 

Scanner corporel
Crédits : erlucho/iStock

« Des débits bien supérieurs aux 10 gigabits par seconde »

Enfin, dernier point et pas des moindres : les télécoms. « Parce qu'elles correspondent à des fréquences plus élevées que les ondes utilisées actuellement (radio, wifi), les ondes THz – qui peuvent être émises et détectées par des antennes comme les ondes radio – permettront d'atteindre des débits bien supérieurs aux 10 gigabits par seconde (Gb/s) obtenus à ce jour ».

Guillaume Ducournau (Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie) et son équipe ont ainsi « montré qu'il était possible d'obtenir en laboratoire un débit de 100 Gb/s avec des émetteurs THz délivrant des ondes de 300 GHz environ », il précise que d’autres chercheurs dans le monde y sont également arrivés.

Il faut néanmoins disposer d’un champ de vision dégagé entre l’émetteur et la cible. Mais n’allez pas croire que la portée n’est que de quelques centimètres : « En parallèle, en gagnant en puissance, on est parvenu à envoyer des données, certes à un débit inférieur, mais sur un kilomètre au lieu de quelques dizaines de mètres en laboratoire. Tout porte à croire que la transmission sans fil de données à très haut débit sur une longue distance est pour bientôt ».

Ondes THZ
Crédits : G. Ducournau, IEMN, CNRS-Université de Lille

Vers des lasers à cascade quantique à température ambiante

Pour y parvenir, les défis technologies restent importants : les chercheurs « devront développer des systèmes produisant ces ondes, les détectant et les mesurant, encore plus puissants, plus compacts (quelques dizaines de cm²) et moins chers (quelques milliers d’euros) ». Les lasers à cascades quantiques sont une bonne piste : les performances s’améliorent d’année en année et ils sont presque capables de fonctionner à température ambiante.

C’était notamment l’objet de la thèse de Nolwenn Le Biavan qui explique que ses expériences ont mené « à la première démonstration d'un détecteur à cascade quantique à base de ZnO dans l'infrarouge à température ambiante ». Bref, pour le CNRS, ils « semblent promis à un bel avenir ».

De son côté, Juliette Mangeney travaille sur un nouveau matériau : le graphène, autour duquel on nous promet monts et merveilles depuis des années : le stockage de l’énergie, les écrans pliables, etc. Via des impulsions optiques ultracourtes, son équipe à réussi à générer un rayonnement : « Un premier pas important vers la mise au point d'un laser THz à la fois très compact et puissant, la source qui nous manque encore aujourd'hui ».

Et maintenant ?

L’ANR explique que le projet LEON (Lasers THz compacts à base de boîtes quantiques de graphène) a été sélectionné par l'ERC Consolidator 2018. « L'objectif de cet appel est de financer des projets de recherche exploratoire sur une durée maximale de 5 ans et un budget maximum de 2 millions d'euros », rapelle l’Ecole normale supérieure.

But de l’opération : « développer des amplificateurs et des lasers THz compacts fonctionnant à température ambiante, dont le concept est similaire à celui des lasers à semiconducteurs dans le domaine du visible. Il s’agit d’un objectif à long terme qui ne peut être atteint avec les approches scientifiques et technologiques à l’état de l’art actuel », explique l’ANR.

L’Agence confirme que « le graphène est potentiellement un excellent candidat pour la réalisation d’un laser à semiconducteur THz grâce à l’absence de bande interdite », mais tout n’est pas rose : « les mécanismes de recombinaison non-radiatifs, et en particulier la recombinaison Auger, réduit la durée de vie du gain optique à quelques centaines de femtosecondes dans le graphène ». Si vous n’avez pas tout compris, retenez simplement que « ce phénomène représente une limite importante dans la réalisation d’un laser THz ».

Dans tous les cas, l’objectif de Juliette Mangeney : « réaliser d'ici cinq ans un laser à base de graphène et démontrer son intérêt pour les télécoms et la sécurité. Vous n'avez pas fini d'entendre parler des rayons T ». Nous n’y sommes pas encore, mais d’importantes avancées ont été réalisées et l’avenir semble donc prometteur.

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Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

Des propriétés « extrêmement séduisantes »

La difficulté de concevoir des émetteurs/récepteurs

Améliorer scanners corporels, traitement du cancer, spectroscopie

« Des débits bien supérieurs aux 10 gigabits par seconde »

Vers des lasers à cascade quantique à température ambiante

Et maintenant ?

Commentaires (13)


Rien à cacher ? Rien à cacher ! <img data-src=" />


Moi ça fait des années que je bosse avec des ondes entre 186 et 196 THz…. Ça fait pas de miracles non plus hein xD.. Bon maintenant je vais lire l’article .. –&gt;[.]


Bbel article, merci NI !


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Article Tera interessant

Merci


Article intéressant alors que les premiers smartphones équipés d’Ultra Wide Band commencent à sortir…


Merci pour l’article !



Précision pour les télécoms : ce n’est pas un hasard si on n’utilise pas déjà des fréquences supérieures au THz. Pour comparaison, par temps sec et froid, l’atténuation atmosphérique est de l’ordre de 100 dB/km à 1 THz, là où elle est de 0.01 dB/km à 10 GHz.&nbsp;



100 dB/km c’est ENORME : ça veut dire que l’énergie d’un signal à 1 THz s’atténue d’un facteur 10 milliard sur 1 km juste à cause de l’atmosphère. Même s’il est plus facile de faire une antenne très directive à 1 THz, la longueur d’onde aidant, pour arriver à un rapport signal à bruit correct, il faudra de toute façon envoyer la patate (et c’est pas trop à la mode à l’heure des économies d’énergie).



En revanche, pour les applications d’imagerie, médicale ou autres, c’est très intéressant.


merci pour l’info. <img data-src=" />


J’imagine que c’est essentiellement la vapeur d’eau qui absorbe ?

(effectivement 100 dB/km c’est énorme)


Merci pour les liens, j’ai vu la table page 12 dans le 2e et des chiffres impressionnants allant jusqu’à 6000 dB/km pour certaines fréquences dans les 2000+ GHz <img data-src=" />



J’ai noté à l’inverse certaines valeurs localement minimales dans la page 11 pour quelques fréquences sous les 400 GHz, vers le mm de longueur d’onde.