Fuite de données : la CNIL inflige une amende de 400 000 euros à Uber

Fuite de données : la CNIL inflige une amende de 400 000 euros à Uber

Des fois tu gagnes, des fois t'Uber

Avatar de l'auteur
Xavier Berne

Publié dans

Droit

20/12/2018 7 minutes
13

Fuite de données : la CNIL inflige une amende de 400 000 euros à Uber

La CNIL vient d’infliger une amende de 400 000 euros à Uber, suite à l’attaque dont avait été victime l’entreprise fin 2016. L’autorité administrative estime que le géant du VTC a multiplié les « négligences », ce qui a permis à des pirates de s’emparer de données visant plus d’un million de Français.

L’affaire avait fait grand bruit, en novembre 2017. Uber avait publiquement reconnu s’être fait dérober des données personnelles, relatives à plus de 57 millions de ses utilisateurs de par le monde : noms, prénoms, adresses emails, ville ou pays de résidence, numéro de téléphone mobile, statut de conducteur et/ou de passager...

Au-delà de l’ampleur de la fuite, l’attitude de la société avait suscité beaucoup de critiques. Uber a en effet attendu plus d’un an avant de communiquer sur ce piratage, qui remontait à octobre 2016. Le géant du VTC avait dans le même temps accepté de payer une rançon de 100 000 dollars, afin que les données soient détruites (sans aucune garantie bien sûr), le tout dans l'espoir de ne pas ébruiter l'hémorragie.

Parmi les utilisateurs concernés par cette violation de données personnelles, se trouvaient 1,2 million de passagers et 163 000 conducteurs relevant du territoire français. Après une année de procédure, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a sanctionné hier la filiale française d’Uber.

Un « enchainement de négligences »

Au fil de la délibération de la CNIL, votée mercredi 19 décembre, on apprend que « le succès de l’attaque menée par les pirates a résulté d’un enchainement de négligences ».

Uber a expliqué à la gardienne des données personnelles que « des personnes extérieures » avaient tout d’abord « obtenu l'accès à un espace de travail privé Uber sur GitHub », la célèbre plateforme de développement logiciel. Les attaquants auraient en effet utilisé les identifiants de certains ingénieurs de la firme (composés notamment d’une adresse email personnelle) pour accéder à GitHub, et y trouver « une clé d’accès inscrite en clair dans un fichier de code source ».

Grâce à ce sésame, les pirates ont ensuite pu accéder « à la plateforme d’hébergement (...) où sont stockées les données à caractère personnel des utilisateurs des services Uber », d’où ils ont pu siphonner ces importantes quantités de données personnelles.

Uber « n’a pas pris toutes les précautions utiles »

Pour la CNIL, Uber « a fait preuve de négligence en ne mettant pas en place certaines mesures élémentaires de sécurité ». L’autorité considère en ce sens que « la société n’a pas pris toutes les précautions utiles afin d’empêcher que des tiers non autorisés aient accès aux données traitées », d’où résulte un manquement à son obligation, posée par la loi Informatique et Libertés, d’assurer « la sécurité et la confidentialité » des données qui lui sont confiées.

 « Ce manque de précautions généralisé est manifeste dans la mesure où le succès de l’attaque menée par les pirates a résulté d’un enchainement de négligences, illustré par les trois étapes de l’attaque », insiste l’institution. En défense, Uber soutenait pourtant avoir mis en place des mesures de sécurité suffisantes.

S’agissant de GitHub tout d’abord, le géant du VTC a expliqué à la CNIL que la plateforme recommandait elle-même l’utilisation d’identifiants personnels. Mais pour l’autorité indépendante, « il revenait bien à la société, en tant que responsable de traitement, d’adopter des règles à même de garantir la sécurité des informations stockées sur GitHub » (par exemple, « un identifiant et un mot de passe puis un code secret envoyé sur un téléphone »). Et ce même si ces données « ne constituaient pas en elles-mêmes des données à caractère personnel ».

La CNIL souligne au passage que « l’absence de processus relatif au retrait des habilitations des anciens ingénieurs constitue une négligence importante puisque la société était dans l’impossibilité de garantir que des personnes ayant quitté la société ne continuaient pas d’accéder aux projets développés sur Github ».

cnil
Crédits : Xavier Berne (licence: CC by SA 3.0)

Quant à la présence en clair d’identifiants d’accès aux serveurs dans du code source hébergé sur GitHub, Uber a plaidé l’erreur humaine, isolée, la société recommandant à ses employés de ne pas stocker directement d’identifiants dans des fichiers de code. Pour la gardienne des données personnelles, ceci démontre toutefois que le géant des VTC « avait conscience d’une part, que des identifiants d’accès étaient potentiellement présents dans son code source et d’autre part, que la présence de telles informations au sein de GitHub était une source de risques ».

Or, il était « impératif » aux yeux de la CNIL que de tels identifiants ne soient pas enregistrés dans un fichier non protégé, étant donné qu’ils permettaient « de se connecter de manière sécurisée à des serveurs contenant une grande quantité de données à caractère personnel ».

Enfin, la commission estime qu’Uber aurait dû instaurer « un système de filtrage des adresses IP, quand bien même cela nécessitait un long développement ». Compte tenu du « nombre très important de personnes » dont les données personnelles étaient conservées sur les serveurs, une telle mesure « constituait un effort nécessaire qui aurait dû être planifié dès le début de l’utilisation des services ».

Une sanction rendue publique, toujours pas sur le fondement du RGPD

Au regard du nombre de personnes concernées, au niveau de la France, par cette fuite de données (1,2 million de passagers et 163 000 conducteurs), la CNIL a décidé d’infliger une sanction pécuniaire de 400 000 euros à Uber. Les faits étant antérieurs à l’entrée en application du RGPD, l’institution ne pouvait en effet aller au-delà du plafond fixé par la loi Informatiques et Libertés – jusqu’à 3 millions d’euros, proportionnellement « à la gravité du manquement commis et aux avantages tirés de ce manquement ».

L’entreprise estimait cependant que cette amende était trop sévère, notamment parce qu’elle avait « réagi promptement en prenant les mesures nécessaires afin de limiter l’impact de la violation », « communiqué l’existence de la violation au public », et que la fuite n’avait « causé aucun préjudice aux personnes concernées ».

Des arguments qui n’ont pas convaincu la commission, pour qui « la preuve de l’absence totale de dommage » ne pouvait être invoquée par la société. Même si aucun problème ne semble avoir été signalé, rien n’empêche les pirates de faire « un usage ultérieur » de leur « butin », poursuit la CNIL.

Au regard de « la gravité du manquement », « du contexte actuel dans lequel se multiplient les incidents de sécurité et de la nécessité de sensibiliser les responsables de traitements et les internautes quant aux risques pesant sur la sécurité des données », l’autorité a en outre décidé de rendre sa décision publique.

Une mise à l’index qui risque sûrement de faire davantage de tort à Uber que l’amende décidée par la CNIL. Comme le rappelle l’institution, le géant du VTC a enregistré l'année dernière un chiffre d'affaires avoisinant les 6 milliards d’euros.

Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Un « enchainement de négligences »

Uber « n’a pas pris toutes les précautions utiles »

Une sanction rendue publique, toujours pas sur le fondement du RGPD

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Fermer

Commentaires (13)


<img data-src=" />

&nbsp;le sous titre <img data-src=" />








trash54 a écrit :



<img data-src=" />

 le sous titre <img data-src=" />





Il est enrhumé <img data-src=" />



Décision qui me semble parfaitement justifiée dans son principe mais qui par contre, et comme précisément rappelé dans l’article, ne relève pas du RGPD, imposant deux remarques.




1. avant le RGPD certains soutiennent que la procédure de sanction doit respecter une gradation (classement, recommandation, mise en demeure/avertissement, amende), allant jusqu'à prétendre que la sanction directe par une amende pourrait être contestée sans décision autre préalable.&nbsp;        






  A ma connaissance, cette question n'a jamais été posée au Conseil d'Etat, mais du fait de l'importance de l'amende, ça pourrait être un sujet de discussion. (Perso je ne crois pas à la nécessité d'une mesure préalable à l'amende, la gravité pouvant justifier le recours direct à l'amende).        






  2. étant toujours avant le RGPD, le principe d'extraterritorialité européenne n'est pas certain (et même maintenant il repose sur le bon vouloir de l'entreprise qui acceptera ou non d’exécuter la décision), donc la CNIL a du se rattraper aux branches en tapant sur ce qui est présenté comme étant un établissement en France de la Société UBER et non UBER lui-même.        






  Clairement, la faiblesse de la décision est là et rien ne permet d'affirmer que le Conseil d'Etat validera l'interprétation à mon sens problématique de ce qui peut être considéré comme un établissement au regard&nbsp;du principe de personnalité des peines.        






  Je sais bien que le régime des sanctions administratives tentent régulièrement de se défaire des principes élémentaires en matière de sanction, mais là on ouvre la porte à la sanction de lampistes sans pouvoir véritable sur le traitement, et à l'inverse à l'impunité des Sociétés mères (au besoin on fermera l'établissement après la sanction).

C’est moi où de plus en plus de piratages se font suite à la récupération d’informations sensibles sur GitHub ?


Ce qui expliquerait la volonté de la CNIL de rendre cette décision publique. Le grand public retiendra seulement que c’est la succursale qui a été condamné et comme le dit l’article, cet impact d’image risque de faire plus mal que l’amende et ses contestations juridiques.








Soriatane a écrit :



Ce qui expliquerait la volonté de la CNIL de rendre cette décision publique. Le grand public retiendra seulement que c’est la succursale qui a été condamné et comme le dit l’article, cet impact d’image risque de faire plus mal que l’amende et ses contestations juridiques.





A espérer qu’il ne se développe pas un recours en indemnisation contre l’Etat du fait d’autorités usant à tort du “name & shame” s’agissant d’une décision non définitive au jour où elle est publiée et dont le recours invalide la sanction…



Cet argent ira où, dans le budget de fonctionnement de la CNIL ? Ailleurs ?








wohlraje a écrit :



Cet argent ira où, dans le budget de fonctionnement de la CNIL ? Ailleurs ?





Elle va participer au remboursement par l’État du manque à gagner subit par Vinci





L’entreprise estimait cependant que cette amende était trop sévère, notamment parce qu’elle avait «&nbsp;réagi promptement en prenant les mesures nécessaires afin de limiter l’impact de la violation&nbsp;»





Elle ferait mieux de faire amende honorable. Vu les erreurs et le volume des données fuitées, il vaut mieux faire profil bas, elle s’en tire plutôt bien (l’amende c’est peanuts à côté du CA).





l’autorité a en outre décidé de rendre sa décision publique.

Une mise à l’index qui risque sûrement de faire davantage de tort à Uber que l’amende décidée par la CNIL.





Une publication sur le site d’Uber aurait eu bien plus d’INpact. Comme la CNIL l’avait fait pour Google en son temps. Là c’est repris par la presse (surtout spécialisée), demain tout le monde aura oublié.


Dans le gouffre sans fond du déficit et de la dette française…


Concernant la gradation, a moins que j’ai loupé quelque chose(en m’informant de travers ^^’ ), elle n’est exigée à aucun moment. la CNIL a un pouvoir de sanction qu’elle use ou non, et elle peut si elle le juge se contenter d’une mise en demeure. Certains voudraient faire de “la bienveillance/clémence” de la CNIL une exigence.



Et justement, c’est parce qu’il n’y a rien de marqué qu’aucune exigence s’applique sur l’usage de ses capacités de sanction par la CNIL. elle a juste trop habitué à être “sympa” alors même que ses pouvoirs étaient petit à petit renforcé.



mais bon, avec GDPR, bientot cette question ne sera plus un sujet (ou si on a encore des fait antérieurs qui remontent ce sera vraiment inquiétant)








trash54 a écrit :



<img data-src=" />

&nbsp;le sous titre <img data-src=" />





<img data-src=" />









thinkerone a écrit :



Concernant la gradation, a moins que j’ai loupé quelque chose(en m’informant de travers ^^’ ), elle n’est exigée à aucun moment. la CNIL a un pouvoir de sanction qu’elle use ou non, et elle peut si elle le juge se contenter d’une mise en demeure. Certains voudraient faire de “la bienveillance/clémence” de la CNIL une exigence.



Et justement, c’est parce qu’il n’y a rien de marqué qu’aucune exigence s’applique sur l’usage de ses capacités de sanction par la CNIL. elle a juste trop habitué à être “sympa” alors même que ses pouvoirs étaient petit à petit renforcé.



mais bon, avec GDPR, bientot cette question ne sera plus un sujet (ou si on a encore des fait antérieurs qui remontent ce sera vraiment inquiétant)





Certains contrôleurs te le disent, mais je n’ai jamais compris où dans le texte le préalable existe, à mon avis c’était plus une pratique de la CNIL qu’une obligation.



C’est comme le fait de ne pas avoir à faire de DPIA jusqu’en 2021 pour les traitements déclarés (ou autorisés) avant le 25 mai 2018, je n’ai rien vu dans les textes prévoyant une telle faculté, néanmoins la CNIL en a fait une règle (qui peut se comprendre d’ailleurs).