Les cafouillages de Mounir Mahjoubi sur la transparence des algorithmes publics

Les cafouillages de Mounir Mahjoubi sur la transparence des algorithmes publics

« Soyons précis »

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

09/02/2018 6 minutes
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Les cafouillages de Mounir Mahjoubi sur la transparence des algorithmes publics

Le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, est intervenu cette semaine à l’Assemblée nationale au sujet de la transparence des algorithmes publics. Au prix de quelques erreurs et d’explications à la limite du compréhensible.

« Soyons précis », a bien insisté l’ancien président du Conseil national du numérique, mercredi 7 février, au moment de donner l’avis du gouvernement sur un amendement PS au projet de loi relatif aux données personnelles.

Depuis le 1er septembre 2017, en application de la loi Numérique, toute décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique (attribution d’allocations, montant des impôts...) fait désormais naître deux obligations pour les administrations :

  1. Intégrer une « mention explicite » informant l’usager que la décision qui le concerne a été prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, et qu’il peut de ce fait savoir comment fonctionne ce programme.
  2. Expliciter, sur demande, les « règles » et « principales caractéristiques » de mise en œuvre de l’algorithme utilisé (le tout appliqué à la situation de l’intéressé).

« L’ensemble de ce dispositif repose sur une fiction impossible : celle d’administrés qui disposent du temps de formuler de telles demandes d’explication à l’administration », déplorait la députée Marietta Karamanli en appui de son amendement. L’idée : faire en sorte que ces différents renseignements soient « systématiquement » fournis aux citoyens, et non plus sur sollicitation individuelle de l’administration.

Quand le secrétaire d’État parle au futur d’une réforme déjà en vigueur

Le gouvernement s’est cependant opposé à une telle réforme, dans la mesure où le droit actuel satisferait « largement » cette demande, selon l’exécutif. Voici cependant ce qu’a déclaré le secrétaire d’État au Numérique, poussé par son exigence de précision :

« Toutes les décisions algorithmiques, à partir de l’entrée en vigueur, signaleront que la décision contenait une décision algorithmique. C'est-à-dire que vous saurez qu'il y a bien eu, au moment du document que vous recevrez, un traitement algorithmique derrière. Et on rappellera les droits qui y sont associés : une information systématique, à chaque fois que vous recevrez le document, qui vous dit qu'il y a eu un traitement, vous proposera à chaque fois, dans une mention bien visible dans la décision, des droits de communication qui sont à votre disposition. »

Visiblement, Mounir Mahjoubi n’est pas au courant que la loi portée par sa prédécesseure est déjà entrée en vigueur... C’est d’ailleurs par un décret d’application en date du 14 mars 2017 que le gouvernement précédent a précisé les modalités de mise en œuvre de l’article L311-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration, et imposé son application à compter du 1er septembre 2017.

Le secrétaire d’État au Numérique faisait manifestement référence à un autre article de la loi Lemaire, qui ne sera applicable qu’à compter du 7 octobre 2018. Les administrations d’au moins 50 agents ou salariés devront alors mettre en ligne « les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l'accomplissement de leurs missions lorsqu'ils fondent des décisions individuelles » (article L312-1-3 du CRPA).

Ce dispositif est toutefois très différent de celui évoqué dans l’hémicycle par l’ancien président du Conseil national du numérique. Cette obligation de diffusion ne prévaudra que pour les « règles » de fonctionnement des algorithmes publics. Il n’y aura en ce sens aucune information individuelle de fournie (contrairement au dispositif « sur demande »), et encore moins de mention sur les décisions reçues par les citoyens...

Dans sa lancée, le secrétaire d’État au Numérique a continué de parler au futur, assurant par exemple : « Tous ceux qui auront eu à avoir une décision automatique pourront demander ces informations [d’explicitation, ndlr] ». Or même si les administrations peinent à intégrer la fameuse « mention explicite » prévue par la loi Numérique, rien n’empêche de prendre les devants (nous avons ainsi tenté l’expérience il y a quelques semaines, avec des résultats certes très mitigés).

Patinage artistique

Autre cafouillage : Mounir Mahjoubi a fait valoir que pour « des raisons de réalité organisationnelle », « l'on ne peut pas généraliser l'intégralité des données utilisées » (comprenez : il est impossible de systématiser les explicitations d’algorithmes publics, comme le demandaient les députés PS).

« Pour ces raisons-là, le décret est pour nous non nécessaire », a poursuivi le secrétaire d’État. Avant d’ajouter, quelques secondes plus tard : « Nous travaillons sur ce décret » !

Bref, une belle séance de patinage artistique, où l'on confondrait presque Journal officiel et JO d'hiver. Tous les décrets nécessaires aux deux dispositifs sur la transparence des algorithmes publics ont en effet été publiés (tant celui sur la communication « sur demande » que celui relatif à la mise en ligne « par défaut »).

La rapporteure Paula Forteza, qui connait pourtant bien le sujet pour avoir travaillé à la mission Etalab (en charge de ce dossier au sein de la Direction interministérielle au numérique), n’est pas pour autant intervenue. L’élue LREM a d’ailleurs émis un avis défavorable sur l’amendement défendu par Marietta Karamanli, jugeant le droit existant « assez complet en la matière ».

« Nous pourrons, au moment de la deuxième lecture, apporter plus de précisions », a enfin conclu Mounir Mahjoubi. Or ce renvoi à la seconde lecture se veut à tout le moins hasardeux : le gouvernement ayant engagé le projet de loi « RGPD » sous procédure accélérée, il n’y aura en principe qu’une seule lecture par assemblée...

L'amendement PS a quant à lui été rejeté à l'issue d'un scrutin public, par 13 voix « pour » et 58 « contre ».

Pour ceux qui voudraient visionner l'intégralité de l'intervention du secrétaire d’État au Numérique, celle-ci est disponible via le site de l’Assemblée nationale (à partir de 1:05:15).

Écrit par Xavier Berne

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Sommaire de l'article

Introduction

Quand le secrétaire d’État parle au futur d’une réforme déjà en vigueur

Patinage artistique

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Commentaires (18)


Je suppose qu’il était tard dans la nuit quand ce sujet a été abordé à l’assemblée nationale, non ?


1010 pour le sous-titre




« Nous pourrons, au moment de la deuxième lecture, apporter plus de précisions », a enfin conclu Mounir Mahjoubi. Or ce renvoi à la seconde lecture se veut à tout le moins hasardeux : le gouvernement ayant engagé le projet de loi « RGPD » sous procédure accélérée, il n’y aura en principe qu’une seule lecture par assemblée…

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Morale de l’histoire, si la décision est “mauvaise” (i.e. : contestable en droit), ce sera la faute à l’algorithme… salut les pigeons <img data-src=" />!


Il y a 25 ans, on disait “c’est la faute de l’ordinateur” ou “l’ordinateur s’est trompé”.

Si une chose évolue, c’est le vocabulaire, et pas dans le bon sens.


Je ne me lasse jamais des interventions de ce monsieur… pour le coup il y n’a pas vraiment matière à argumenter en plus. Soit il se trompe, soit il parle d’un loi ou d’une réglementation qui est en fait déjà en vigueur… je serai plus intéressé de connaître la raison de ces contradictions assez effrayantes.



Maîtrise-t-il mal son sujet ou bien n’a-t-il pas suffisamment travaillé sur ce dossier ? Ou autre ?



Si quelqu’un a la réponse, je suis intéressé.


“le gouvernement ayant engagé le projet de loi «&nbsp;RGPD&nbsp;» sous procédure accélérée, il n’y aura en principe qu’une seule lecture par assemblée…”



Y a pas à dire, la donne a changé avec cette nouvelle génération de politiques ayant bénéficié du dégagisme; les précédents connaissaient le processus parlementaire mais rien au numérique, les nouveaux connaissent toujours rien au numérique mais au moins ils sont constants, c’est également le cas du processus parlementaire ^^




Quand le secrétaire d’État parle au futur d’une réforme déjà en vigueur





Tout est dit…




Le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, est intervenu cette semaine à l’Assemblée nationale au sujet de la transparence des algorithmes publics.



Tout est pour le mieux : on affichera tous les détails de l’algorithme. Malheureusement, comme il est parfaitement transparent, vous n’en verrez rien.

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J’vais faire ma vierge effarouchée, mais c’est juste pour la caméra.



Moi ce qui me scandalise, c’est qu’aucun argument n’est jamais avancé avec les décisions ou les avis rendus. «&nbsp;Pour ces raisons-là, le décret est pour nous non nécessaire » ce n’est pas un argument, et ça ne le sera jamais. Il faut expliquer et prouver pourquoi le décret n’est pas nécessaire, derrière, et donc le comparer à la Loi actuelle et allez trouver des cas d’usage qui corroborent le postulat de non nécessité.



Je ne parle même pas de la suite qui, en substance, revient à dire « les gens seront informés qu’ils sont informés, mais on ne vous dit pas de quoi ». C’est absurde… proprement absurde.



Pareil pour «&nbsp;assez complet en la matière ». Pourquoi ? A-t-on assez de recul sur cette partie de la Loi pour dire qu’elle satisfait les usages présents ? Répond-t-elle à la problématique qu’elle aborde, et si oui, pourquoi ?&nbsp;



Sans aucune argumentation, ces séances publiques sont inutiles… Si ce n’est qu’elles montrent bien que l’opacité est toujours une règle de fonctionnement de notre pays, et qu’on assiste à des pièces de théâtre. Et il faudra attendre encore 20 ans pour pouvoir contester les dites « règles » et « caractéristiques » des algos ?!&nbsp;








Kerghan a écrit :



Maîtrise-t-il mal son sujet ou bien n’a-t-il pas suffisamment travaillé sur ce dossier ? Ou autre ?



Si quelqu’un a la réponse, je suis intéressé.





Le problème, c’est qu’on lui demande de faire du neuf avec du vieux, de faire passer uniquement les textes de la ligne jupiter Macron et de rejeter toute proposition qui s’en écarterait d’un poil.&nbsp;



Forcément, il ne peut pas dire les choses ainsi (tu t’imagines le “rejeté, parce que Macron et ses amis veulent pas”) .&nbsp; Au final, la logique ne tient plus et ça finit par coincer.



C’est ce qu’il y a de bien avec le droit: ça obéit à une logique tellement cartésienne qu’à un moment donné, tu ne peux plus te cacher derrière de beaux discours et des “en même temps”, mais seulement montrer que tu es un enfoiré (je ne parle pas de M. Majouhbi… seulement en général)



« «&nbsp;Pour ces raisons-là, le décret est pour nous non nécessaire&nbsp;», a poursuivi le secrétaire d’État. »



Je note que M le Ministre s’exprime comme un algorithme. En langue française, on utiliserait plutôt la négation « n’est […] pas nécessaire »



Dans l’affirmative, s’exprimerait-il en disant : « le décret est pour nous oui nécessaire » ? Ça vaudrait son pesant de cacahuètes(ou de pop corn)

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Kerghan a écrit :



Maîtrise-t-il mal son sujet ou bien n’a-t-il pas suffisamment travaillé sur ce dossier ? Ou autre ?



Si quelqu’un a la réponse, je suis intéressé.







&nbsp;Mon opinion sur le sujet, donc qui a une valeur universelle en ce qui me concerne, mais infime par ailleurs.



C’est lui qui avait concocté le programme en matière de numérique du candidat Macron, un programme pas transcendant en aucune façon, voire décevant pour des gens jeunes et supposés être connectés et innovants. Je pense que monsieur Mahjoubi a surtout beaucoup, beaucoup d’ambition et qu’il doit consacrer une part de son temps à faire en sorte d’arriver à ses fins. Avoir une étiquette “numérique” est un moyen. Avoir des réelles connaissances dans le domaine, ne doit pas en être et moins que de tout faire pour être l’homme indispensable du secteur (ce qui demande de l’entregent, de l’ambition et un savoir se montrer là où il faut, mais pas obligatoirement de connaître le secteur ou de maîtriser des dossiers).



[i]Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement[/i]








numerid a écrit :



Mon opinion sur le sujet, donc qui a une valeur universelle en ce qui me concerne, mais infime par ailleurs.



C’est lui qui avait concocté le programme en matière de numérique du candidat Macron, un programme pas transcendant en aucune façon, voire décevant pour des gens jeunes et supposés être connectés et innovants.







Les jeunes gens n’ont pas l’exclusivité de l’usage numérique. Pour le reste, je suis assez d’accord que c’est un tremplin pour un sujet qui est tendance.

Néanmoins, et nous commençons à l’entrevoir de plus en plus, LREM est le reflet de l’imposture d’EM.

Le fallacieux prétexte du jeunisme lui a permit de prendre le pouvoir qu’il exerce plus comme un monarque (voir même un tyran) qu’un démocrate.

Mais bon, je dois reconnaître que les médias (qui ont sans plus à perdre qu’à gagner en faisant leur travail correctement) n’aident pas les citoyens à avoir une vision clair de cette situation.









joma74fr a écrit :



« « Pour ces raisons-là, le décret est pour nous non nécessaire », a poursuivi le secrétaire d’État. »



Je note que M le Ministre s’exprime comme un algorithme. En langue française, on utiliserait plutôt la négation « n’est […] pas nécessaire »



Dans l’affirmative, s’exprimerait-il en disant : « le décret est pour nous oui nécessaire » ? Ça vaudrait son pesant de cacahuètes(ou de pop corn)

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Pas vraiment (toujours pour pinailler)



non nécessaire = tous les attributs possibles rattachables au concept de décret sauf l’attribut “nécessaire” (par exemple : redondant, superflu, mal écrit, juridiquement discutable, etc.)



Après j’aurais eu tendance à mettre un tiret (“non-nécessaire”), perso ^^



C’est pour ça que j’ai écrit supposé, on leur prête des connaissances du fait de leur âge sans que ça soit corrélé avec la réalité.



Pour le, reste, on est d’accord.