La surveillance des communications d'un salarié examinée en Grande chambre à la CEDH

La surveillance des communications d’un salarié examinée en Grande chambre à la CEDH

Ah ces risques chez les Roumains

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Marc Rees

Publié dans

Droit

29/08/2017 4 minutes
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La surveillance des communications d'un salarié examinée en Grande chambre à la CEDH

La formation solennelle de la Cour européenne des droits de l’Homme va revenir sur une affaire déjà examinée en 2016 : le licenciement d’un salarié pour usage d’une messagerie professionnelle à titre privé. L'arrêt de la Grande chambre est programmé le 5 septembre prochain.

Dans ce dossier, un Roumain, Bogdan Mihai Bărbulescu, était employé comme ingénieur en charge des ventes. Pour répondre aux demandes des clients, son employeur lui avait demandé d’utiliser Yahoo Messenger.

Le 13 juillet 2007, ce salarié est informé que ses communications sur cette messagerie instantanée ont été surveillées durant plusieurs jours. Et dans les flux, sont apparus des échanges personnels. « Il se vit présenter un relevé de ses communications, notamment des transcriptions de messages échangés avec son frère et sa fiancée et portant sur des questions personnelles telles que sa santé et sa vie sexuelle » résume ce document.

Une surveillance de Yahoo Messenger jugée raisonnable

Le 1er août, il était licencié pour violation des règles internes qui prohibent justement l’usage des ressources de l’entreprise à des fins privées. Le salarié a attaqué cette décision devant les juridictions nationales qui ont malgré tout validé cette procédure au regard du Code du travail.

En appel, M. Bărbulescu a fait état de différentes dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme, en vain. Le 17 juin 2008, la cour d’appel a rejeté son recours. Elle a considéré que l’attitude de l’employeur était raisonnable et que cet espionnage était le seul moyen d’établir l’existence d’une infraction disciplinaire.

Ce licenciement est finalement remonté devant la Cour européenne avec pour tremplin l’article 8 du texte fondamental, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le secret des correspondances. En 2016, signale le juriste Nicolas Hervieu, la Chambre avait déjà jugé que ce licenciement consécutif à la surveillance comme « raisonnable dans le contexte d’une procédure disciplinaire », estimant que « les juridictions internes avaient ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance en vertu de l’article 8 et les intérêts de son employeur ».

Un contexte particulier

Il faut dire que plusieurs points avaient été pris en compte en préparation de cet arrêt : « l’employeur avait accédé au compte Yahoo Messenger du requérant en partant du principe qu’il contenait des messages professionnels, l’intéressé ayant d’abord affirmé l’avoir utilisé pour conseiller les clients de l’entreprise ». 

En outre, le salarié remercié a pu faire valoir ses droits devant les juridictions et jamais l’identité des personnes concernées par cet échange privé n’a été révélée, pas plus que le contenu des échanges. Enfin, cette surveillance a été ciblée puisque « seules ont été examinées les communications échangées sur le compte Yahoo Messenger (…) et non les autres données et documents enregistrés sur son ordinateur ». 

En somme pour la Cour, « la surveillance exercée par l’employeur était de portée limitée et qu’elle était proportionnée au but visé ».  

Saisie par renvoi, la Cour européenne des droits de l’homme, juridiction installée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe, va néanmoins examiner ce dossier en Grande chambre. L’arrêt de cette formation très solennelle et exceptionnelle est prévu pour mardi, 5 septembre. 

L'usage des messageries personnelles sous l'œil de la Cour de cassation

Ce litige s’inscrit dans le sillage d’une dense jurisprudence en France. Le 26 janvier 2016, la Cour de cassation avait par exemple estimé qu’un employeur ne pouvait briser le secret de la correspondance, quant aux emails envoyés ou lus par un salarié. 

La situation était cependant différente, puisqu’il y avait cette fois usage d’une messagerie personnelle (via une adresse @sfr.fr) et professionnelle distincte : « ayant constaté que les messages électroniques litigieux provenaient de la messagerie personnelle de la salariée distincte de la messagerie professionnelle dont celle-ci disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit que ces messages électroniques devaient être écartés des débats en ce que leur production en justice portait atteinte au secret des correspondances ». 

Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

Une surveillance de Yahoo Messenger jugée raisonnable

Un contexte particulier

L'usage des messageries personnelles sous l'œil de la Cour de cassation

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

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Commentaires (22)


La source ne précise pas comment ils ont pu accéder à son compte. Mot de passe imposé par l’entreprise ?


Les comptes d’entreprises sont souvent accessibles par les administrateurs, sans aucune connaissance du mot de passe.


Si c’est comme là ou je bosse, sans doute. Mot de passe imposé, non modifiable et unique pour tous les salariés.



Typiquement le genre de situation ou l’utiliser pour des trucs perso est vraiment une très très mauvaise idée.


C’est un compte Yahoo, je ne pense pas que les admins y aient accès.


Tu allumes l’ordinateur de la personne et hop :/



Après l’administrateur à tout les mots de passes ou peut réinitialiser un mot de passe du compte domaine.


<img data-src=" /> Ca implique que la connection Yahoo reste ouverte.


Un jugement somme toute mesuré et responsable. Comme quoi, on n’est pas obligé d’hystériser le débat sur l’application du droit à l’ère des nouvelles technologies.



Très bon article du centurion Marcus Reesus, si vous voyez ce que je veux dire. <img data-src=" />


Yahoo propose plein de solutions business ;)&nbsphttps://smallbusiness.yahoo.com/


Non, Yahoo messenger permettait de stocker le mot de passe pour éviter de le saisir à chaque fois.


Il me semble qu’en France, regarder le contenu de la messagerie professionnelle est légal, et peut servir de base à un licenciement, mais à certaines conditions. Notamment l’employé doit avoir été explicitement informé de cette surveillance.

Par contre, à moins qu’il ne faisait plus que ça de ses journées (auquel cas il doit y avoir moyen de le virer pour l’absence de travail), licencier quelqu’un pour quelques discussions persos, c’est bien con et ça ressemble à un prétexte.


&nbsp;Rien ne me choque.



&nbsp;Qu’un employeur puisse accéder aux emails de ses salariés dès lors qu’ils utilisent une boîte mail appartenant à l’entreprise… si je me souviens bien de mes cours de droit, ben c’est légal…

&nbsp;De mémoire l’employeur a accès aux messages sur boîte mail et téléphone pro, ainsi qu’au contenu du PC sauf si un des dossiers est explicitement nommé “personnel”.



&nbsp;Raconté sa vie sexuelle sur sa boîte mail pro, le mec a juste cherché la merde.

&nbsp;Après le virer pour ça c’est juste un prétexte je pense.


Pourquoi spécifier qu’il parlait de sa vie sexuelle ?

J’ai l’impression que c’est souvent utilisé pour amplifier une situation parce que le cul c’est tabou on en viendra tous à bout

Tous les coincés qui pensent comme ça devraient se rappeler que leurs propres parents se sont livrés à ces pratiques infamantes, sûrement à de nombreuses reprises d’ailleurs



Et pour le sous-titre <img data-src=" />


Nul besoin d’être spécialement pudique (ou pire, puritain) pour exiger le respect de son intimité, si ?


<img data-src=" />



LE TABAC C’ EST TABOU

ON EN VIENDRA TOUS A BOUT !!!! <img data-src=" />








joma74fr a écrit :



Nul besoin d’être spécialement pudique (ou pire, puritain) pour exiger le respect de son intimité, si ?





Soit tu as mal compris mon propos soit j’ai mal compris qui parlait du fait que l’employé parlait de sa vie sexuelle



J’ai compris que c’était l’employeur qui disait “il l’utilise de façon perso et en plus pour parler de sa vie sexuelle! Enfer et damnation!”









Zerdligham a écrit :



Il me semble qu’en France, regarder le contenu de la messagerie professionnelle est légal, et peut servir de base à un licenciement, mais à certaines conditions. Notamment l’employé doit avoir été explicitement informé de cette surveillance.

Par contre, à moins qu’il ne faisait plus que ça de ses journées (auquel cas il doit y avoir moyen de le virer pour l’absence de travail), licencier quelqu’un pour quelques discussions persos, c’est bien con et ça ressemble à un prétexte.











Liara T’soni a écrit :



Rien ne me choque.



 Qu’un employeur puisse accéder aux emails de ses salariés dès lors qu’ils utilisent une boîte mail appartenant à l’entreprise… si je me souviens bien de mes cours de droit, ben c’est légal…

 De mémoire l’employeur a accès aux messages sur boîte mail et téléphone pro, ainsi qu’au contenu du PC sauf si un des dossiers est explicitement nommé “personnel”.



 Raconté sa vie sexuelle sur sa boîte mail pro, le mec a juste cherché la merde.

 Après le virer pour ça c’est juste un prétexte je pense.







Là où je travaille (administration), les courriels en *@isere.gouv.fr, c’est pour le boulot, point barre.



Bien que l’on ait chacun son mot de passe, l’admin, il voit ce qu’il veut.



Après, pour les messages perso, il y a les smartphones et les webmails.



Dans la mienne on peut utiliser la messagerie instantanée et la messagerie électronique à titre personnel. Néanmoins, il nous est précisé que l’objet des conversations/échanges doit être clair (en gros “perso” “personnel”, “privé”, …) Idem pour le stockage sur le disque dur des ordinateurs (le stockage sur le réseau est totalement prohibé).



Mais c’est surtout pour les usages privés entre collègues pour les usages extérieurs on utilise tous un mail personnel.








wanou2 a écrit :



Dans la mienne on peut utiliser la messagerie instantanée et la messagerie électronique à titre personnel. Néanmoins, il nous est précisé que l’objet des conversations/échanges doit être clair (en gros “perso” “personnel”, “privé”, …) Idem pour le stockage sur le disque dur des ordinateurs (le stockage sur le réseau est totalement prohibé).



Mais c’est surtout pour les usages privés entre collègues pour les usages extérieurs on utilise tous un mail personnel.





Oui, ces préfixes évitent bien des désagréments en cas de litige car cette méthode est “sanctuarisée”. Le plus ceintures et bretelles pour l’employeur est la rédaction d’un charte informatique pour clairement exposer aux salariés les us et les coutumes.

Pour revenir à l’affaire objet de l’article, je signale que j’éviterais de me prononcer car le code du travail dans d’autres pays de l’Europe est différent du droit Français. Attention à ne pas évaluer cette affaire avec notre connaissance du droit.



Certes, de là à virer quelqu’un… Après je ne sais pas ce qu’il s’est passé en interne. Il a peut-être eu de multiples rappels à l’ordre, ce qui rendrait le licenciement plus compréhensible.



(je serais étonné que l’admin voit vraiment ce qu’il veut. Si ma mémoire est bonne, le secret des correspondances peut être levé, mais que pour des raisons qui doivent être annoncées à l’avances, et il faut que la mesure soit ‘proportionnée’ (donc même si c’est flou, ça ne peut pas être n’importe quelle raison). Chez nous, les raisons invocables sont la sécurité et la stabilité du SI, la continuité de service (et bien sûr toute demande qui proviendrait d’un juge). Un admin ne peut pas regarder ce qui lui plait et un chef de service ne peut pas demander un extrait des mails d’un membre de son équipe sans une autorisation tierce.)








jackjack2 a écrit :



Pourquoi spécifier qu’il parlait de sa vie sexuelle ?

J’ai l’impression que c’est souvent utilisé pour amplifier une situation parce que le cul c’est tabou on en viendra tous à bout





Perso je le comprend plus comme “c’était donc manifestement non professionnel et non urgent”, par contraste à des mails d’organisation ou d’information (“quel est l’horaire du train de ce soir” ou “ton père vient de mourir”) dont on peut comprendre l’usage sur le lieu de travail.









Zerdligham a écrit :



Certes, de là à virer quelqu’un… Après je ne sais pas ce qu’il s’est passé en interne. Il a peut-être eu de multiples rappels à l’ordre, ce qui rendrait le licenciement plus compréhensible.



(je serais étonné que l’admin voit vraiment ce qu’il veut. Si ma mémoire est bonne, le secret des correspondances peut être levé, mais que pour des raisons qui doivent être annoncées à l’avances, et il faut que la mesure soit ‘proportionnée’ (donc même si c’est flou, ça ne peut pas être n’importe quelle raison). Chez nous, les raisons invocables sont la sécurité et la stabilité du SI, la continuité de service (et bien sûr toute demande qui proviendrait d’un juge). Un admin ne peut pas regarder ce qui lui plait et un chef de service ne peut pas demander un extrait des mails d’un membre de son équipe sans une autorisation tierce.)







Comme dit plus haut, nous n’avons pas ce que dit le droit roumain en la matière.



De plus, nous n’avons pas accès au dossier. C’est peut-être la cerise sur le gâteau d’une longue série de manquements, qui sait…



On peut émettre l’hypothèse que le salarié parlait en fait de ses relations sexuelles avec son patron (à un tiers) et que, ce faisant et dénigrant les faibles prestations de celui-ci en la matière, il portait atteinte à l’image de l’entreprise en brocardant son dirigeant… ?



Ce qui expliquerait, de façon factuelle, pourquoi on ait du se résoudre à citer spécifiquement ces “échanges sur sa vie sexuelle”.



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