Les autorités françaises sont très à l’écoute des travaux portant actuellement sur la régulation des plateformes au Parlement européen. Une note non publique de Paris vise à appuyer certains amendements dans le cadre d’un projet de résolution examiné en commission des affaires juridiques. Et la France soutient ceux qui prônent le filtrage des contenus.
Un rapport d’initiative sur « Les plateformes en ligne et le marché unique numérique » des eurodéputés Henna Virkkunen et Philippe Juvin (PPE) poursuit son périple au Parlement européen. La commission des affaires juridiques prépare la rédaction de son avis avec l’espoir d’influencer sur le document final qui sera adopté en séance plénière.
C’est l’eurodéputée française Constance Le Grip qui a été désignée rapporteur en « Juri ». Son projet d’avis et les amendements seront examinés demain matin toujours en commission. Les autorités françaises ont profité de l’occasion pour faire passer leur « doctrine », essentiellement propulsée par la défense de la propriété intellectuelle, bien plus que la liberté d’expression ou d'autres broutilles de ce genre.
C’est en tout cas ce qui ressort d’une « note en commission » que nous avons pu nous procurer. Des dizaines d’amendements sont épluchés par la France qui égraine à chaque fois son commentaire, histoire d'influencer sur le vote. Le document est intéressant puisqu'il permet de révéler au grand jour ses positions, très en phase avec celles des sociétés de gestion collective.
Raréfier le rôle passif des plateformes
Dans ce document, elle estime d'entrée « extrêmement important de travailler à l’élaboration d’un cadre réglementaire adapté aux plateformes en ligne qui tirent profit des contenus qu’elles mettent à disposition ». Elle soutient ainsi sans réserve les amendements de Jean-Marie Cavada et Constance Le Grip (2, 4 et 5) « qui sont en faveur de faire assumer aux plateformes la responsabilité liée à la mise à disposition de contenus, y compris les contenus protégés par le droit d’auteur et audiovisuels ».
L’eurodéputée suggère de mieux faire le départage entre rôle actif et passif des plateformes, afin de « les soumettre à un cadre réglementaire qui renforcerait leur responsabilité et la fiabilité de leurs services ». Et dans son amendement 15, Jean-Marie Cavada veut que la responsabilité limitée des intermédiaires du Net soit réservée aux seuls acteurs passifs.
Pour mieux comprendre ces notions, il faut revenir un instant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Juridiquement, les intermédiaires restent protégés par le statut des hébergeurs sauf s’ils quittent ce terrain parce qu’ils jouent un « rôle actif ». En étant passifs, ils ne sont responsables que si alertés d’un contenu manifestement illicite, ils décident de ne pas le supprimer. En étant actifs, ils sont responsables immédiatement du moindre octet de contrefaçon.
La plume de Cavada poursuit alors pour expliquer ce qu’est justement un acteur passif : c’est celui qui s’abstient d’« intervenir dans l'organisation, l'optimisation ou la promotion du contenu ». Avec une telle définition qui pourrait un jour s'imposer aux tribunaux, ce sont des cohortes de fournisseurs de services qui deviendraient responsables immédiatement des contenus mis en ligne par les tiers, dès lors que le site « optimise » ou en fait la « promotion ».
L'eurodéputée Julia Reda, classée ennemie publique numéro 1
Plusieurs amendements de l’eurodéputée Julia Reda subissent inversement des foudres. Son amendement 11 « se positionne contre l’établissement d’un cadre réglementaire spécifique aux plateformes en ligne, au détriment du respect des droits de propriété intellectuelle » se lamente la France.
Il faut dire que l’eurodéputée originaire du Parti Pirate estime que si l’émergence des plateformes peut avoir des effets perturbateurs, en aucun cas cet effet, s’agissant des droits de propriété intellectuelle, ne justifie « l'adoption de règles qui s'écartent du cadre général applicable aux intermédiaires et aux plateformes ».
Dans un autre amendement, elle se demande « si les problèmes potentiels liés aux plateformes en ligne pourraient être résolus par une mise en œuvre adéquate et complète de la législation existante et l'application effective du droit de la concurrence de l'UE ».
La même « invite la Commission à maintenir une politique favorable à l'innovation vers les plateformes en ligne qui facilite l'entrée sur le marché et favorise l'innovation », tout en considérant comme prioritaires les nécessités de transparence ou encore de non-discrimination, etc. Pour les autorités françaises, pareil projet « n’apparaît pas assez ambitieux par rapport à la nécessité d’énoncer un cadre réglementaire encadrant les plateformes en ligne ». Et celles-ci de suggérer la mise à la poubelle d'une telle proposition.
Julie Reda a eu aussi l’insolence de préciser que « la responsabilité limitée des intermédiaires est essentielle à la protection d’un Internet ouvert, des droits fondamentaux, de la sécurité juridique et de l'innovation ». Une horreur pour la France de Beaumarchais, Molière et Pascal Rogard. Les autorités gouvernementales « s’opposent fortement » à une telle affirmation « qui tend à limiter la responsabilité des intermédiaires qui mettent des contenus, y compris ceux protégés par le droit d’auteur, à disposition en ligne. »
Dans l’amendement 45, Reda évoque cette fois l’importance « de l'interopérabilité et des logiciels libres pour assurer la transparence et la concurrence loyale » des plateformes. La France frôle le burn out : voter une telle disposition, c’est « cautionner une violation des droits de propriété intellectuelle ». Même réaction lorsque la députée Pirate, avec son amendement 62, s’oppose à l'instauration d'« une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances indiquant une activité illégale ».
La France prône le filtrage
L’amendement 32 de Jean-Marie Cavada et Philippe Juvin plaide pour l’instauration d’un devoir de diligence sur les épaules des intermédiaires. Ils seraient alors à terme contraint de « détecter et prévenir les activités illégales sur les plateformes par des moyens techniquement fiables ».
Derrière les verbes « Détecter » et « prévenir » se cache bien entendu le filtrage de tous les contenus mis en ligne. Sans surprise, cette idée comme celle visant à promouvoir les technologies de reconnaissances de contenus (amendement 51) sont accueillies avec les cotillons français.
Dans sa note, la France développe d’ailleurs ses commentaires sur le rôle attendu de la future législation européenne : « les plateformes numériques devraient agir avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’elles afin de détecter et d’empêcher les activités illicites dans les domaines dans lesquelles elles sont actives, tout particulièrement lorsqu’elles jouent un rôle d’intermédiation ».
Elle oublie simplement de préciser aux eurodéputés qui voudront bien l'entendre que la détection des activités illicites impose le filtrage de l'ensemble des contenus afin de faire le départage entre le bon et le mauvais. Elle oublie aussi de rappeler les cas de faux positifs des robot-copyrights qui conduisent au retrait des contenus légitimes, tout en portant atteinte à la liberté d'expression ou de communication...
Pour faire passer la pilule, et justifier ce déploiement massif du filtrage, la note prend appui sur la protection du petit consommateur et de la fragile économie numérique : « pour des considérations liées à la nécessité de préserver un niveau élevé de protection du consommateur et compte tenu de l’importance du rôle joué par les plateformes dans le développement de l’économie numérique, il conviendrait de renforcer les obligations de ces acteurs, notamment en ce qui concerne la vérification a priori de la licéité des offres ou des informations dont elles assurent la mise en ligne et le blocage d’accès aux contenus illicites ».
On comprend du coup pourquoi Paris soutient l’amendement 33, coécrit encore par Jean-Marie Cavada : « la contrefaçon en ligne est de plus en plus recherchée par les organisations criminelles car elle est plus profitable et présente un risque plus faible de subir des sanctions pénales que le racket ou le trafic de drogue ». Même accueil pour l’amendement 65 de Constance le Grip qui promeut le déploiement de l’approche follow the money.
Un algorithme trie, donc il édite
Sur la question des algorithmes, la France salue enfin l’amendent 66 sur la transparence de ces opérations de tri. Mais elle ajoute son appréciation : « La mise en valeur en tête du classement de certains contenus au détriment d’autres par l’algorithme s’apparente à un processus de sélection de contenus à partir de critères objectifs comme le prix, la nouveauté et la popularité du contenu ».
Les mêmes autorités poursuivent : « certaines plateformes de moteur de recherche peuvent exercer une forme de responsabilité éditoriale, en tant qu’elles sélectionnent et organisent les contenus qu’elles indexent. Il serait alors pertinent d’envisager les implications sur la diversité culturelle de cette responsabilité éditoriale pour les plateformes structurantes pour l’économie numérique, du fait en particulier de leur capacité de diffusion de contenus culturels à grande échelle ».
La logique, résumée au cutter : Google trie. Donc sélectionne. Donc édite. Donc a une responsabilité sur les contenus mis en avant. Donc pourrait promouvoir l’exception culturelle française. Logique !
Commentaires (57)
#1
Ce n’est hélas pas une blague " />
#2
Connerie niveau tournoi.
#3
ah tiens Marc inaugure le paywall à l’envers: gratuit pendant 24h puis payant après.
c’est pas mal. " />
Concernant l’article, on voit que c’est toujours la même soupe qui est servie depuis des années.
rien ne nouveau concernant la position de la France.
Du coup je comprend plus bien: c’est toujours Bruxelles qui dicte sa loi en France, ou c’est la France qui influence l’Europe?
" />
#4
#5
Hé béh :/
Le gouvernement aura changé au moment où ça passera vraiment ? Parce que selon les candidats on peut voir (ou pas) un certain revirement
#6
C’est pour ce genre de connerie que je suis Europhile :)
Donc bon toute personnes prônant contre l’Europe c’est vers ce genre de choses que l’on se dirigera (JLM / MLP)…
#7
La logique, résumée au cutter : Google trie. Donc sélectionne. Donc édite. Donc a une responsabilité sur les contenus mis en avant. Donc pourrait promouvoir l’exception culturelle française. Logique !
le conseil constitutionnel trie les résultats du vote, donc sélectionne, donc édite et donc a une responsabilité sur l’annonce du vainqueur. Donc Il pourrait promouvoir le prochain président de la république française.
#CabinetNoir
#8
NextInpact pousse l’abonnement là…. " />
Y’a que les articles qui traitent de la politique qui sont gratos, est-ce la nouvelle iNpactitude ? " />
#9
Trop d’article pour les abonnés tue le site, je vais sûrement aller voir ailleurs si l’évolution pousse à payer.
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#11
Ce qui a tué de nombreux site, c’est de ne pas migrer sur le modèle par abonnement ;) Après on l’a déjà dit, on a un modèle qui se veut respectueux au niveau de la pub, les lecteurs bloquent en masse, et il faut tout de même que le site se finance (ou finisse comme les autres).
Chacun est bien entendu libre de préférer le modèle du gratuit, mais d’un point de vue éditorial ou des pratiques publicitaires, ce n’est pas ce qui correspond à nos valeurs " />
Voir l’annonce : https://www.nextinpact.com/blog/103900-next-inpact-devient-site-accessible-sur-a…
#12
Dans l’amendement 45, Reda évoque cette fois l’importance « de l’interopérabilité et des logiciels libres pour assurer la transparence et la concurrence loyale » des plateformes. La France frôle le burn out : voter une telle disposition, c’est « cautionner une violation des droits de propriété intellectuelle ».
J’ai beau chercher, je ne vois pas le rapport entre la promotion du libre et le cautionnement de la violation dela propriété intellectuelle… " /> On remerciera la France de faire passer notre pays pour des ayatollahs du droit d’auteur, opinion qui ne reflète en rien celle de la majorité de la population…
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#14
La mondialisation c’est bon pour faire baisser les salaires des travailleurs, mais pour les rentiers du showbiz on ajoute plein de régulation sur l’ Internet européen: hypocrisie et mépris des “élites” encore une fois " />
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#16
Argument très sérieux. Quand j’ai décidé de m’abonner, c’est pas pour avoir accès à tout plein d’article réservé aux abonnés, mais bien en soutien. Mettre la grande partie des articles en accès restreint, c’est pas super ouvert comme démarche. On va se retrouver à débattre que entre abonnés dans les articles in fine?
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Et l’ouverture dans tout ça? Bordel, les idées, c’est fait pour circuler.
#18
L’abonnement est une chose. Restreindre l’accès en est une autre. Concernant le deuxième point, vous avez clairement changé l’équilibre récemment. Et la grosse promo juste avant le changement, pour nous tenir captif le temps que l’on s’habitue, c’est très limite.
#19
Mais je dérive, c’est pas le sujet, merci pour ce très bon article, reste à voir quels seront les arbitrages…
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Je suis l’ennemi de la finance qu’il disait.
Tous dans le même panier de fruits pourris… .
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Bon vent. <3
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En même temps, avoir des tas de commentaires de gens qui n’ont même pas lu l’article comme souvent…
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Soyons positif, pour une fois il n’y a pas l’argument “internet zone de non-droit”. Ça change (un peu). (tousse)
Effectivement, je ne vois pas le rapport entre le logiciel libre et sa promotion et un tort qui pourrait être fait à la propriété intellectuelle. Déclarer qu’un logiciel est libre est une volonté de ses développeurs, pas une obligation légale. Libre à ceux qui ne veulent pas que leur logiciel soit libre de ne pas adopter ce statut.
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Ce qui me choque toujours et violemment, c’est de lire “la France veut ci, la France milite pour ça”… C’est rageant de voir des politiciens coller une image au peuple qui n’en veut pas forcément… ><
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#32
La question c’est le financement des articles comme celui-ci. Tu peux vouloir que des journalistes passent du temps à chercher et creuser ces infos ou non. C’est un choix.
De notre côté on doit mettre en place le modèle qui nous permet de continuer à le faire dans l’écosystème actuel (donc quasiment sans pub, pour une boite indépendante et auto-financée qui mise sur un modèle d’info en ligne qui respecte ses utilisateurs notamment sur le tracking/sponso).
#33
Un volontaire pour expliquer au petit Jean-Marie, qu’Internet ce n’est pas comme la tele ou la radio d’Etat ou il a fait carriere ?Que techniquement ses lubies de censure sont quasi impossibles a appliquer et qu’Internet c’est tout la planete, et que la planete se fout royalement des exceptions Kulturel Frooooncaise..
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C’est celui qui charlite le plus qui Charlie le moins…
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“la protection du petit consommateur ” qui croit tout ce qu’on lui raconte
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Venant d’un gouvernement soit disant socialiste ….
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" />
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d’autant que le logiciel libre est fondamentalement une émanation de la propriété intellectuelle. C’est parce que l’auteur utilise ses droits de propriété intellectuelle que le logiciel est libre par la suite.
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Pour une fois que j’approuve sans réserve un de tes commentaires
Mince. J’ai certainement du me tromper dans mon commentaire. " />
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Je pense que personne ici ne conteste ni l’analyse, ni la ligne éditoriale de NextInpact, et personnellement, même le jour où je bascule vers l’abonnement, je laisse la pub, justement par soutien.
c’est juste que la bascule vers”plus de contenu réservé aux abonnés”, ou plutôt le “taux d’articles réservés aux abonnés” paraît particulièrement violent, les articles ouverts sont devenus la rareté, ça manque juste, selon mon point de vue, de parcimonie et d’équilibre, voire simplement de progressivité, c’est trop TOR.
Maintenant, moi je ne fais pas partie de ceux qui “menacent” de ne plus venir, je ne sais pas encore ce que je ferai, parce que j’ai toujours eu envie de m’abonner, ne serait-ce que par soutien, mais il est vrai que la violence du changement d’orientation perturbe et fait réfléchir.
Vous perdriez moins en visibilité, en accroche, et auriez moins d’approche hostile avec un peu plus de “tact”, dans ce changement d’orientation.
My 2 pences, of course. " />
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“La logique, résumée au cutter : Google trie. Donc sélectionne. Donc édite. Donc a une responsabilité sur les contenus mis en avant. Donc pourrait promouvoir l’exception culturelle française. Logique !“J’imagine que le “logique” est ironique.Peut- on rappeler que personne n’impose d’utiliser Google, et Dieu sait que je ne suis pas un inconditionnel de Google.Quand vous allez à la FNAC, vous avez devant vos yeux des bouquins, des CD, etc… mis en avant pour attirer votre œil. Le libraire du coin en fait autant.“Pour faire passer la pilule, et justifier ce déploiement massif du filtrage, la note prend appui sur la protection du petit consommateur “Le petit consommateur… MDR
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" />Liberté de bloquer, Egalité d’être emmerdés un max, Fraternité entre copains.
Dégagez les tous " />" />" />" />
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Bigre, c’est exact ! Merci " />
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Donc les pays sont libres de fixer leurs taxes. LOL
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