On vous explique le volet « droit d’auteur » de la loi Numérique

On vous explique le volet « droit d’auteur » de la loi Numérique

Droit d'horreur

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

28/09/2016 10 minutes
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On vous explique le volet « droit d’auteur » de la loi Numérique

Alors que le Sénat doit clore définitivement les débats autour du projet de loi Numérique cet après-midi, Next INpact vous propose une explication détaillée du volet « droit d’auteur » du texte porté par Axelle Lemaire. L’occasion aussi de revenir sur ses occasions manquées, notamment autour des communs.

Après avoir évoqué les vastes chapitres relatifs à l’Open Data et à la protection des données personnelles, continuons notre série en auscultant les quelques mesures du projet de loi Lemaire relatives au droit d’auteur. Le Parlement a eu bien du mal à ne pas se pencher sur ce dossier ô combien épineux... En fin de compte, députés et sénateurs ont cependant préféré opter pour la prudence, en laissant de côté de nombreux dossiers.

En attendant les débats à venir au niveau européen, Bruxelles ayant présenté il y a quelques jours un projet de directive relatif au droit d’auteur, voici un panorama des principales réformes qui s’annoncent en France.

Une liberté de panorama bien restrictive

Afin de permettre aux particuliers de prendre légalement des photos d’œuvres situées au sein de l’espace public (Tour Eiffel, Pyramide du Louvre, etc.) – pourquoi pas avant de les rediffuser sur Internet –, le législateur a souhaité introduire une nouvelle exception au droit d’auteur. Les créateurs ne pourront plus s’opposer à de telles prises de vue, à condition qu’il s’agisse :

  • « d’œuvres architecturales et de sculptures »,
  • « placées en permanence sur la voie publique »,
  • « réalisées par des personnes physiques »,
  • « à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».

Si le Sénat avait un temps envisagé d’étendre cette nouvelle exception aux associations, le véritable bémol de cette réforme repose plutôt sur sa quatrième et dernière condition. Que faut-il en effet entendre par « usage à caractère commercial » ?

« Prenons le cas d’un particulier qui diffuse ses photos de vacances sur son blog : il suffirait qu’il y accueille de la publicité pour être considéré comme faisant un usage commercial de ces photos. On mesure toute l’ambiguïté » avait prévenu le député Lionel Tardy lors des débats à l’Assemblée nationale. « Idem [pour les] photos postées sur les réseaux sociaux. »

La fondation Wikimédia a elle aussi tiré le signal d’alarme. Cette nouvelle exception au droit d’auteur est à ses yeux quasiment « inapplicable sur Internet ». Elle le serait par exemple sur Wikipédia, où des licences permettant la réutilisation à des fins commerciales sont autorisées...

Les interprétations diffèrent cependant à ce sujet (cf le tweet ci-dessous, ou bien encore ce compte rendu des débats au Sénat).

« Pour exercer son droit, le public devra donc se lancer à l’aventure, au risque d’être assigné en justice » conclut la fondation Wikimédia.

Open Access pour les travaux de recherche financés sur deniers publics

Comment favoriser la dissémination des travaux de recherche financés au moins en partie grâce à des deniers publics, alors que les éditeurs de revues scientifiques imposent bien souvent aux auteurs de respecter des clauses d’exclusivité restreignant la diffusion de leurs articles ? En permettant aux chercheurs qui le souhaitent de passer outre ces clauses, à condition d’attendre un certain délai.

À compter de l’entrée en vigueur de la loi Numérique, chaque auteur d’écrits scientifiques issus « d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne » pourra dorénavant exiger que ses travaux soient mis « gratuitement » à la disposition du public, « dans un format ouvert, par voie numérique ». Deux conditions devront cependant être réunies :

  1. Que les éventuels coauteurs aient donné leur accord
  2. Qu’un délai de six mois (à compter de la date de la première publication) ait été atteint pour les travaux relevant du « domaine des sciences, de la technique et de la médecine », voire d’un an pour les sciences humaines et sociales.

Ce nouveau droit vaudra même si l’auteur a préalablement « accordé des droits exclusifs à un éditeur », précise le projet de loi Lemaire. Assez logiquement, il sera interdit de réexploiter ces écrits « dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial ».

Il ne faut pas pour autant s’attendre à un « big bang » immédiat. Dans son étude d’impact, le gouvernement soulignait qu’en laissant le choix aux chercheurs de mettre leurs publications en accès ouvert, « les effets éventuels de la nouvelle législation sur l’économie de l’édition scientifique devraient ainsi être lissés sur plusieurs années ». L’exécutif citait d’ailleurs en exemple la réforme menée en Allemagne, où, au bout d’un an, 10 % des chercheurs environ avaient souhaité opter pour de l’Open Access.

Un plan d’accompagnement financier a quoi qu’il en soit été prévu par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, afin de faciliter la transition pour les revues. Le gouvernement en reste néanmoins convaincu : cette réforme contribuera « au développement économique et social » de la France, puisqu’elle profitera à l’ensemble des chercheurs, de la société civile, des entreprises n’ayant guère de moyens en recherche et développement, etc.

Le texte porté par Axelle Lemaire s’intéresse dans le même temps aux données produites par les scientifiques (toujours pour des recherches financées au moins pour moitié par des deniers publics). Dès lors que celles-ci « ne sont pas protégées par un droit spécifique ou une réglementation particulière et qu’elles ont été rendues publiques par le chercheur, l’établissement ou l’organisme de recherche », leur réutilisation sera « libre », par principe. En ce sens, les éditeurs ne pourront en aucun cas « limiter » leur réexploitation – par exemple pour de nouvelles statistiques, des comparaisons, etc.

Davantage de reconnaissance pour les cours en ligne

Alors que les cours en ligne (les fameux « MOOCs ») ont le vent en poupe, le législateur a décidé de lever une des barrières à leur développement : les enseignements sous forme numérique pourront dorénavant se substituer à ceux dispensés en présence des étudiants. Il est même prévu que le suivi de cours à distance puisse « conduire à la délivrance des diplômes d’enseignement supérieur », dans des conditions de validation qui devront toutefois être définies ultérieurement, par décret.

Lors des débats au Sénat, le gouvernement a néanmoins fait savoir par la voix d’Axelle Lemaire qu’il n’était absolument pas question d'arriver à une délivrance de diplômes « 100 % numériques ». « Cette condition de volume pédagogique minimal [ndlr : les élèves de l’enseignement supérieur sont aujourd’hui censés avoir au moins 200 heures de cours, en présentiel, par an] est nécessaire pour éviter certaines dérives possibles en la matière », s’était expliquée la secrétaire d’État au Numérique, en avril dernier.

moocs fun

Signalons au passage que le projet de loi Numérique permettra aux élèves de la Grande école du numérique (ce réseau de formations labellisées, accessibles sans condition d’âge ni de diplôme) de bénéficier de bourses de la part du CNOUS. Lors du Conseil des ministres du 22 septembre, il a d’ailleurs été annoncé qu’un décret serait pris en ce sens « début octobre ». L’objectif : permettre aux « apprenants » ne rentrant pas dans les critères – notamment d’âge – habituellement pris en compte pour l’attribution d’aides scolaires d'obtenir eux aussi un soutien financier de la part de l’État.

Nouvelle exception de « text & data mining »

Le projet de loi Lemaire introduit enfin une seconde exception supplémentaire aux droits exclusifs des auteurs. Ces derniers ne pourront plus refuser que des « copies ou reproductions numériques » soient réalisées « à partir d’une source licite » de leurs œuvres, « en vue de l’exploration de textes et de données incluses ou associées aux écrits scientifiques pour les besoins de la recherche publique ». Autrement dit, à condition de mener des travaux n’ayant « aucune finalité commerciale », les chercheurs seront habilités à utiliser des algorithmes copiant certaines données (articles, rapports, bases de données...) en vue de leur analyse.

Cette réforme est perçue comme une « avancée importante » par le collectif Savoirs Com1, qui demeure toutefois inquiet quant à sa mise en œuvre concrète – d’autant qu’un décret est attendu pour préciser les modalités d’application du dispositif. « Pourquoi avoir limité le data mining aux seules données « incluses ou associées aux écrits scientifiques » ? Pourquoi une telle limitation nécessairement contre-productive dans la mesure où les activités de TDM ne se limitent pas uniquement aux données de la recherche ? On songe notamment aux données circulant directement sur Internet, pour lesquelles la fouille automatisée constituerait une méthode adéquate d’exploration. Pourquoi un tel traitement différencié entre texte et données, alors que tous deux sont la même forme binaire une fois numérisés ? »

Son articulation avec la future directive européenne sur le droit d’auteur, qui devrait aborder ce sujet, sera à surveiller tout particulièrement.

Beaucoup de dossiers laissés sur le bord de la route

Certains retiendront probablement de la loi Lemaire tous les sujets en lien avec le droit d’auteur qui n’y ont finalement pas été abordés...

Le gouvernement a notamment reculé sur la question des communs et du domaine commun informationnel, suite au mécontentement des ayants droit. En janvier, devant les députés, Axelle Lemaire avait expliqué que le Premier ministre s’était engagé à lancer une mission sur ce dossier. « L’exercice douloureux ou laborieux, c’est de faire confiance au gouvernement sur le sujet. » Des propos qui ont une saveur bien particulière aujourd’hui, aucun travail n’ayant encore été engagé...

Le législateur a d’autre part préféré supprimer l’article – introduit par l’Assemblée nationale – en vertu duquel les associations de promotion de la diffusion du savoir auraient pu saisir la justice en cas de revendications abusives de droits d’auteur sur des œuvres appartenant au domaine public.

Les positions défendues par l’exécutif avaient ainsi conduit L’Observatoire des libertés et du numérique (qui compte parmi ses rangs La Quadrature du Net ou la Ligue des droits de l’homme) à qualifier le texte d’Axelle Lemaire de « profondément décevant ». Le législateur a néanmoins fini par suivre l’une des principales recommandations de ces associations : les hébergeurs ne seront finalement pas tenus « d'agir avec diligence » contre la contrefaçon en ligne, notamment en prenant des mesures « proactives » à l’encontre du piratage.

Écrit par Xavier Berne

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Sommaire de l'article

Introduction

Une liberté de panorama bien restrictive

Open Access pour les travaux de recherche financés sur deniers publics

Davantage de reconnaissance pour les cours en ligne

Nouvelle exception de « text & data mining »

Beaucoup de dossiers laissés sur le bord de la route

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Commentaires (2)


La définition du commercial / non-commercial est un vrai serpent de mer.



Pas seulement en France d’ailleurs. Les Creative Commons ont réalisé une enquête à ce sujet à propos de leur mention “NC” (non commercial) de leurs licences… http://mirrors.creativecommons.org/defining-noncommercial/Defining_Noncommercial…



Ce serait pas mal que l’on sorte de la définition d’activité commerciale qui fait office en France, mais ça ne plairait pas à tout le monde (Sacem en tête, car elle considère l’utilisation de musiques dans un événement associatif au même niveau que l’eau ou l’électricité)…


Ce qui aurait été courageux (mais aurait fâché les ayant pognon), c’eut été de rendre obligatoire la publication sous licence libre, pourquoi pas sur une plateforme publique nationale, de tout papier financé sur des deniers publiques.