Certains d'entre vous l'avaient remarqué dès les premières minutes, à l'occasion de ce 1er avril, nous avons décidé de nous prendre pendant quelques heures pour un site misant avant tout sur les contenus « clickbait ». Une folle journée qui nous donne l'occasion de faire un petit point.
Mercredi dernier, c'était une journée spéciale : le 1er avril. Fidèle à la tradition, cela se traduit dans nos colonnes par la publication de news « Poisson d'avril » parfois réalistes, parfois beaucoup moins. Il arrive même que certaines soient publiées aussi bien chez nous que chez des confrères, avec qui nous nous sommes concertés en amont. Cette année, elles étaient au nombre de cinq.
Mais cela est aussi en général l'occasion pour nous de faire une annonce concernant le site, vraie ou non. Cette fois, on nous a soumis une idée, qui nous a tout de suite semblé pertinente : se mettre dans la peau d'un site qui mise sur le « clickbait » pour se financer. Il n'en fallait pas plus pour nous donner l'occasion d'annoncer un faux retour à PC INpact, nouvelle politique rédactionnelle à l'appui. La raison ? Le besoin d'audience.
En effet, plus le temps passe, et plus le modèle de l'information gratuite en ligne montre ses aspects négatifs, de la surexploitation des espaces publicitaires à la baisse de la qualité des contenus. Un phénomène poussé par le succès de sites comme BuzzFeed qui mélangent allègrement l'information de fond et le « LOL », mais aussi par le poids toujours plus important que prennent les réseaux sociaux dans la part d'audience des médias en ligne (voir notre édito).
Quand l'information doit avant tout permettre de capter l'attention
Ainsi, rumeurs diffusées avec un brin de conditionnel et autres informations erronées mises en ligne sans jamais qu'un correctif n'apparaisse font désormais partie du paysage. Il en est de même pour les « Top » aux contenus plus ou moins pertinents, les dossiers de plusieurs pages avec assez de signes pour ne remplir que la moitié d'une news, les diaporamas et autres contenus qui ne se basent que sur un tweet, une vidéo ou la publication d'une simple image.
Les journalistes, eux, sont remplacés par des rédacteurs travaillant pour des sociétés de développement web parfois payés en fonction de l'audience de leurs articles, et pas toujours en salaire (merci le statut d'auto-entrepreneur). Le tout dans un secteur qui est plus enclin aux fermetures et aux concentrations qu'à l'émergence d'acteurs innovants et indépendants.
Mais si une information simple peut parfois donner lieu à une analyse intéressante et à un angle auquel on ne s'attendait pas, force est de constater qu'il est plus souvent question de s'en servir pour générer une brève au titre accrocheur en espérant multiplier les pages vues, et donc les revenus publicitaires. Le tout via des espaces démultipliés, vendus au rabais et associés à des dizaines de trackers en tous genres. Un point sur lequel nous reviendrons sans doute à l'occasion de la publication du prochain rapport annuel de la CNIL, dans le courant du mois.
Mais cette tendance n'est pas nouvelle, et n'est pas apparue sans raison. Comme les contenus sponsorisés et autres « opérations spéciales » grassement rémunérées, transformant les médias en outil de propagande marketing, il s'agit d'un basculement que certains jugent nécessaire pour assurer leur financement et leur pérennité. Car du fait de l'augmentation des publicités, les formats classiques sont désormais bloqués par les internautes, via des outils comme Adblock Plus (voir notre analyse), alors que le modèle gratuit ne se nourrit que d'une seule chose : l'audience monétisée.
L'objectif est donc toujours le même, mais toujours plus complexe, notamment du fait de la concurrence croissante de géants américains rois de l'infotainement : attirer un maximum de visiteurs, générer le plus de revenus par page et dépenser le moins possible pour la création de ces pages. Il faut attirer le chaland, le retenir et trouver la meilleure manière de s'attribuer une part toujours plus importante de son attention. Et ce, quel qu'en soit le prix. Autant dire que le fond, s'il peut être perçu comme un élément du mix éditorial et un potentiel marketing exploité à petite dose, n'est pas la priorité.
14 heures d'affilées passées sur le projet de #LoiRenseignement. #yeuxquipiquent
— marc rees (@reesmarc) 25 Mars 2015
Et si l'on s'y mettait, nous aussi ?
Et si pour être efficace, cela demande une force de frappe considérable, ce n'est pas spécialement complexe en soi. Nous avons donc décidé de voir ce que cela pouvait donner, sur un site comme le nôtre, pendant quelques heures. En amont du premier avril, nous avons donc préparé une série d'articles en tous genres à publier tout au long de la journée.
En plus de la vingtaine d'actualités que nous préparons quotidiennement, et de nos cinq poissons, nous avions donc planifié une dizaine de contenus complémentaires au ton... plutôt inhabituel. Outre notre volonté de sensibiliser sur ce problème, notre but était aussi de voir si un effet direct pouvait être constaté sur notre audience, et surtout, d'où viendraient les nouveaux lecteurs potentiels pour comprendre cette mécanique.
Et la première leçon que nous avons pu tirer de cette journée, c'est que le mensonge paie. En effet, parmi les cinq contenus les plus lus, on retrouve trois actualités qui sont des poissons.
Mentir, trouver un titre grandiloquent et dire du mal : les trois pratiques à retenir
Le plus efficace de ce point de vue était celui concernant les faux nouveaux forfaits de Free Mobile qui a été notre article le plus consulté de la journée. Et de loin. De quoi faire presque trois fois plus d'audience que notre analyse ligne par ligne du projet de loi sur le renseignement. Autant dire que, même en tenant compte de l'effet « 1er avril » on comprend ceux qui n'hésitent pas à relayer la moindre rumeur concernant l'opérateur, ou même à multiplier les annonces en amont des conférences lorsqu'elles sont officialisées le reste de l'année. Et ce, quitte à diffuser largement une fausse information sans venir s'en expliquer ou s'en excuser ensuite.
La leçon suivante est qu'un bon titre racoleur, même pour cacher une micro-information, est efficace. C'était notamment le cas de notre papier dédié à une extension modifiant l'affichage de Netflix, en queue de notre Top 5 du jour. Il nous a valu quelques critiques en commentaires, mais aura fait lui aussi plus d'audience que notre analyse du projet de loi sur le Renseignement, tout en ne nécessitant qu'une petite vingtaine de minutes de travail pour l'équipe (correction comprise).
La troisième leçon concerne l'un de nos « Top », qui montre que la méchanceté est plus accrocheuse que la bienveillance : celui des cinq raisons pour lesquelles il faut éviter la Freebox Mini 4K. En effet, nous avons publié cet article ainsi que son opposé au même moment, et pourtant, l'écart de pages vues est important. Le rapport est en effet d'un à deux en faveur de celui qui mise sur l'aspect négatif. Nous n'avons finalement qu'une déception concernant nos essais : nous n'avons publié aucune actualité bourrée de chats mignons, et nous ne pourrons pas savoir si cela aurait été encore plus efficace.
D'où viennent tous ces lecteurs ?
L'autre point important était l'analyse de l'audience globale et la source de l'augmentation. Selon Google Analytics, le gain aura été de 40 % pour ce qui est des visiteurs et de 60 % du côté des pages vues, notre nombre de pages par session ayant au passage progressé de 20 %. Notez d'ailleurs que le lendemain a bénéficié, dans une moindre mesure, d'une sorte d'audience résiduelle de ces articles. Mais tout étant revenu à la normale sur le site, notre audience s'est stabilisée à son niveau habituel dès la semaine suivante.
Mais d'où venaient ces nouveaux lecteurs ? Tout d'abord, il y a eu une progression du côté de deux de nos principales sources de visites : les accès directs et Google. La progression était ainsi de 20 % environ dans les deux cas. Mais certains sites, plus minoritaires dans notre audience, ont été bien plus friands de notre nouvelle politique éditoriale. C'était notamment le cas de Google News (+318 %), Twitter et Facebook (+130 % environ). Il en était de même pour Feedly qui se situait lui aussi dans cet ordre de grandeur.

Du côté d'autres services reprenant nos flux RSS, il était plutôt question d'un gain de 80 %, même si l'un d'entre eux, qui représente une part minime de nos visites, a multiplié celles-ci par cinq. Mais hors de nos deux sources principales, toutes les autres ont au moins bénéficié de nos pratiques du jour pour au moins 40 % en général, de quoi expliquer la moyenne constatée. De manière globale, ce sont donc les sites référents (+ 85 %) et les réseaux sociaux (+ 102 %) qui ont vu leur part augmenter par rapport au reste.
Google préfère les news Free, les réseaux sociaux la Hadopi
Il est aussi intéressant de s'attarder un peu sur les préférences de tel ou tel service. Le moteur de recherche de Google nous a par exemple envoyé principalement des visiteurs sur les faux forfaits de Free Mobile. Il en était de même pour Google News, dont la quasi-totalité du trafic était envoyée sur ce contenu. Sur Twitter, l'ambiance est différente et c'est ainsi notre fausse actualité concernant la Hadopi qui a monopolisé les clics. Le résultat est d'ailleurs le même sur Facebook. Mais d'où viennent donc les visiteurs d'une actualité comme notre Top 5 des défauts de la dernière Freebox ? Principalement de Google et des accès directs.
On ne peut donc pas tirer de conclusion spécifique sur ce point, certaines de nos actualités ayant obtenu de très bons scores sans bénéficier des lecteurs issus de Google News ou des réseaux sociaux, et ce, malgré des titres accrocheurs. Il faut dire que la typologie de notre audience doit aussi jouer (les réseaux sociaux et Google News représentent au total 10 % environ). Il serait sans doute intéressant d'effectuer une analyse sur un plus long terme pour creuser le sujet... ce qui n'est pas prévu, rassurez-vous.
De la responsabilité du lecteur aux choix éditoriaux d'une rédaction
Le dernier élément intéressant à analyser était sans doute le principal : le lecteur. En effet, celui-ci est le premier acteur, celui qui a, in fine, tout le pouvoir. C'est lui qui décide de cliquer ou non sur tel ou tel titre. Lui qui décide du modèle économique qu'il privilégie. Lui qui cherche plutôt ses informations sur tel ou tel service ou sur tel ou tel réseau social, en fonction de ses goûts. De ces choix découle en général la volonté des sites de financer tel ou tel type de contenu, en fonction de son propre modèle économique et des impératifs de son groupe.
C'est d'ailleurs l'un des points forts du modèle payant, quelle que soit la solution utilisée : on ne cherche plus à produire le contenu sur lequel le lecteur va cliquer, sans se préoccuper de la suite. Il est plutôt question de créer du contenu apprécié, qui donnera envie au plus grand nombre de soutenir le média et ses journalistes via un achat à l'unité ou un abonnement. Le nombre d'articles importe alors moins que cette capacité de « conversion », qui permettra par la suite de financer de nouvelles productions.
Pour autant, faut-il bannir toutes les « petites » actualités ? Non. Car elles ont ou peuvent avoir leur importance pour telle ou telle personne. Il n'y a pas de raison de les laisser de côté, mais ici, c'est surtout la façon de les traiter qui compte. Car après tout, cette extension pour Netflix, l'arrivée des télécommandes exploitant un bouton du service de SVOD ou même un premier avis simple à digérer sur la Freebox Mini 4K sont des sujets intéressants. Pour autant, ils ne méritent pas forcément toute la place accordée à l'occasion de notre 1er avril, ni un traitement qui mise sur l'attrait de l'audience, que ce soit au niveau du titre ou du format (découpage en plusieurs actualités par exemple).
Quel que soit le sujet, le traitement et la forme de la publication sont l'essentiel
C'est d'ailleurs ce qui nous a agréablement frappés à l'occasion de cette expérience. Ce n'était pas tant les sujets ou les contenus qui étaient en cause, mais plutôt leur présentation. Les titres ont été vivement critiqués, tout comme la séparation en deux parties de notre « analyse » de la Mini 4K. Mais la reprise d'une simple vidéo de teasing de la nouvelle série issue de The Walking Dead a finalement donné lieu à un débat sur la saga au sein des commentaires, tout comme celui, pourtant bien creux, sur ce que l'on sait du prochain Star Wars.
A contrario, il est clairement apparu que le passage à plus d'une trentaine d'actualités, dont la moitié misait avant tout sur l'audience plutôt que le fond impliquait un réel souci de lisibilité sur le site. Les contenus « clickbait » monopolisaient la page d'accueil aux dépens de nos autres publications. Autant dire que ce n'est pas demain la veille que nous changerons notre fusil d'épaule au niveau de notre façon de faire.
Pour autant, et comme nous l'avons déjà évoqué, nous travaillons depuis quelques semaines à une manière de vous apporter de petites informations complémentaires, notamment via de nouveaux services. Car si nous pensons que notre travail est avant tout de creuser l'actualité pour vous permettre de mieux la comprendre, et d'avoir à portée de main ce qui est essentiel, nous pensons aussi qu'il y a une manière saine de faire cohabiter analyses de fond et formats plus courts. Des contenus tout aussi utiles, mais proposés sous la forme de complément, sans fioriture ni artifices d'audience, loin de l'infotainement ou du « Brand content ».
Outre notre volonté de chercher à montrer et à comprendre ce que pouvait donner la tendance actuelle, appliquée à un site tel que Next INpact, c'est aussi ce débat que nous voulions ouvrir avec vous. Et comme toujours, nous sommes à votre écoute. N'hésitez donc pas à nous faire part de votre avis au sein de nos commentaires.