Après le Conseil national du numérique, c’est au tour de la fondation Terra Nova d’en appeler à différentes mesures de modernisation de l’action publique : efforts en matière d’e-administration, ouverture et gratuité des données publiques financées par le contribuable, investissements massifs en direction des systèmes d’informations de l’État, etc. Petit passage en revue.
Pendant un an, l’ancien président de l'Agence pour le développement de l'administration électronique (ADAE) Jacques Sauret a dirigé un groupe de travail s’intéressant à la modernisation de l’action publique, et ce au nom de la fondation Terra Nova - traditionnellement située sur la gauche de l’échiquier politique. Les fruits de ses travaux se retrouvent aujourd’hui dans un volumineux rapport (PDF), au travers duquel toute une série de recommandations sont formulées.
Tout d’abord, le rapport de la fondation Terra Nova part du postulat que le système administratif français « ne répond pas aux enjeux » de notre société. « Notre appareil administratif est dépassé : l’organisation administrative date pour une large part de Napoléon, et les grands principes de la culture administrative restent ceux du XIXème siècle : un État omniprésent et paternaliste qui autorise, contrôle et veut organiser toute la vie sociale ». Aux yeux du groupe de travail, l’État « n’a pas pris la pleine mesure des trois évolutions majeures apparues dans les années 80 : la décentralisation, la construction européenne, et la diffusion massive des technologies de l’information ».
Justement, les auteurs de ce rapport en appellent à prendre davantage le virage du numérique et des nouvelles technologies. « L’objectif est de passer d’une France sur-administrée et sous-gouvernée à un État dynamique, agile, intégrant la culture numérique comme l’un de ses paradigmes, au service de ses citoyens et de ses entreprises, pour sortir de la situation actuelle et pour que chacun ait envie et espoir dans la société dont il est membre ».
Davantage de numérique dans les relations entre l’administration et les citoyens
Ainsi, la fondation estime que les services de l’État doivent dépasser « la simple dématérialisation des procédures administratives à laquelle se limite encore trop souvent la modernisation des démarches ». En l’occurrence, il est recommandé de systématiser le projet « Dites-le nous une seule fois », qui consiste à ne pas exiger des usagers des informations déjà détenues par une autre administration. Le principe est que dès lors que la personne ou l’entreprise concernée a donné son accord, les administrations s’échangent les données nécessaires et suffisantes pour l’accomplissement d’une démarche.
« Une autre voie de simplicité est la personnalisation des services : l’utilisateur est rapidement désorienté lorsqu’il doit renseigner des champs qu’il ne comprend pas et dont il ne sait pas s’ils le concernent » écrivent les auteurs du rapport. Ces derniers continuent ainsi de plaider en faveur d’une simplification des démarches des administrés, qui pourrait passer cette fois par une utilisation plus importante de formulaires dits « intelligents » et ne proposant que les rubriques pertinentes au remplissage - soit sur la base d’un profil déjà connu par l’administration, soit à partir de quelques questions préalables.
Et en matière d’échanges avec l’administration ? « Si la fracture numérique n’est plus un argument pour ne pas développer les télé-services, un passage exclusif par Internet ne serait ni opportun, ni pertinent, répond à cet égard Terra Nova. En effet, l’usager doit pouvoir choisir son mode d’échange avec le service public (télé-services, téléphone, guichet, courrier) ». En clair, pas question de laisser sur le côté de la route ceux qui n’auraient pas les capacités d’accéder ou de se servir des nouveaux outils numériques, mais l’accès aux télé-services doit être assuré au maximum. « La multiplicité des médias utilisables permet une amélioration de la qualité de service pour chacun d’eux : les utilisateurs de télé-services libèrent du temps pour l’accueil au guichet, ce qui profite à ceux qui continuent de s’y rendre. Cependant, les formulaires papier doivent autant que faire se peut être remplacés par des télé-services, les coûts de traitement étant entre 10 et 30 fois ceux de télé-procédures ».
Un accès libre et gratuit aux données financées par le contribuable
La modernisation de l’action publique passe depuis ces dernières années par une ouverture croissante de données publiques. C’est ce qu’on appelle le mouvement de l’Open Data. Le rapport de la fondation Terra Nova estime justement à ce sujet qu’il conviendrait de mettre un coup d’accélérateur en la matière : « L’ouverture des données publiques (...) est sans aucun doute un ferment essentiel d’innovation : les administrations, mais aussi les autres parties prenantes (entreprises, associations, citoyens) doivent pouvoir réutiliser simplement des données produites sur financement du contribuable pour fournir des services innovants à une palette infinie d’usagers ».
Les membres du groupe de travail en appellent ainsi à une évolution législative, afin que « toute information financée par le contribuable » (travaux de recherche, données statistiques, etc.) soit mise à disposition du public, gratuitement. Ils font d’ailleurs valoir que les exemples étrangers, notamment américains et danois, « ont montré qu’au-delà de la multiplication des services proposés, l’impact économique et budgétaire [d’un tel mouvement, ndlr] était favorable, les rentrées fiscales supplémentaires liées à l’augmentation de l’activité étant supérieures aux pertes dues à l’arrêt de la vente des données par les administrations concernées ». Le rapport Trojette, remis au Premier ministre il y a quelques semaines, en arrivait d’ailleurs à la même conclusion.
Toujours au sujet des données publiques, le rapport de Terra Nova invite l’État à lancer « des initiatives de production collective ("crowdsourcing") dans le domaine public en substitution ou en complément des données produites par les administrations elles-mêmes ». Dans cette optique, le groupe de travail de la fondation prône une ouverture « sans tarder » d’un site Internet équivalent à celui ouvert aux États-Unis : « challenge.gov ». Ils en expliquent le principe :
« Le gouvernement américain ou une de ses agences soumet un problème auquel il/elle est confronté(e). Les citoyens et entreprises qui le souhaitent peuvent relayer le problème autour d’eux et proposer des solutions dans un calendrier fixé au préalable. Ces défis peuvent se présenter sous formes de concours d’applications (informatiques). De même, des prix ou une reconnaissance honorifique peuvent récompenser les meilleures propositions ».
La mission Etalab, qui gère la plateforme gouvernementale d’Open Data « data.gouv.fr » organise d’ailleurs régulièrement des concours relativement similaires (voir ici). Aux yeux des auteurs du rapport, la « simple lecture des "challenges" ouvre des horizons, et la méthode en elle-même est porteuse d’une meilleure compréhension entre administration et public, d’un lien social renforcé et d’un débat public renouvelé ».
Investir massivement dans les systèmes d’informations publics, une « nécessité absolue »
« La France investit beaucoup moins dans ses systèmes d’informations que beaucoup de pays développés, et notamment que les États-Unis », constatent les auteurs du rapport. Problème : « au XXIème siècle, des systèmes d’informations insuffisants interdisent des services publics performants et de qualité », écrivent-ils. Terra Nova estime ainsi qu’investir « massivement » dans les systèmes d’informations publics est aujourd’hui devenu « une nécessité absolue ». Il est ainsi recommandé de faire passer l’investissement public en matière de systèmes d’information de 1,15 % à 3 % du budget de l’État, afin que la France puisse rattraper son retard en la matière « et bénéficier à court terme des gains en qualité de service pour les usagers et les agents et des économies induites ».
Mais ce n’est pas le seul mouvement conseillé par la fondation. Elle estime en effet que « la gestion des projets informatiques doit également évoluer ». En l’occurrence, il est préconisé de préférer des « projets de taille réduite, modulaires », qui soient « moins coûteux, moins risqués, plus facile à faire évoluer et plus interopérables ». L’échec du projet Louvois est clairement mis en avant comme contre-exemple. L’on remarque au passage qu’il n’y a aucune référence aux logiciels libres dans ce rapport, y compris dans le passage relatif à cette préconisation.
Le rapport en appelle par ailleurs à une mutualisation des centres de développement et d’exploitation informatique, et ce « pour atteindre des masses critiques en termes de compétences et les économies d’échelle constatées dans le secteur ». Conscients de l’opposition probable des informaticiens des entités concernées (ministères, grandes collectivités, hôpitaux), la fondation invite l’État à dépasser ce type de freins, et lui recommande d’accompagner ce mouvement par « un recentrage explicite des DSI publiques vers le pilotage d’ensemble des projets et la bonne articulation entre les directions métiers, les informaticiens et les usagers ». « Leur légitimité institutionnelle en ressortirait renforcée, et l’efficacité d’ensemble améliorée » précise le rapport.
Un rapport publié quelques jours avant le prochain CIMAP
La publication de ce rapport n'arrive pas totalement par hasard. La semaine prochaine doit en effet se tenir le Comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP), où plusieurs décisions du gouvernement sont attendues, notamment en matière d’Open Data. « Osons, il est temps » conclut le groupe de travail missionné par Terra Nova.