Le ministre l’avait demandé, il l’a obtenu : les sénateurs ont voté « conforme » le projet de loi de programmation militaire et donc le fameux article 13 qui a suscité de nombreuses craintes dans la société civile.
Les sénateurs ont voté dans les mêmes termes l’article 13 (notre examen complet de cette disposition), celui qui permettra aux services du renseignement français de l’Intérieur, de la Défense, de l’Économie ou des Finances, d’accéder en temps réel aux données stockées ou transférées par les intermédiaires techniques.
En justifiant de la recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et du maintien de groupements dissous, ces services verront les portes des FAI et des hébergeurs grandes ouvertes. Le recueil, notamment des données de géolocalisation, pourra ainsi se faire sur simple sollicitation du réseau, même en temps réel, sur les documents ou informations détendues ou transférés.
La défense de Jean-Pierre Sueur
Alors que de nombreuses associations et autres groupements ont dénoncé ce texte, lors de la discussion générale, qui précède l’examen des articles, Jean Pierre Sueur, rapporteur du texte a défendu au contraire « avec beaucoup de force » ce fameux article « suite aux campagnes qui se sont déroulées ces derniers jours ».
Selon le parlementaire, « dans cet article 13 (…) il n’y a que des dispositions qui en matière de renseignements disent « oui » nous devons avoir les moyens de lutter contre le terrorisme, mais cela doit être fait dans des conditions de garanties et de contrôles qui respectent les libertés individuelles, la vie privée et les données personnelles. »
« Il n’y a dans cet article et je mets au défi quiconque pense le contraire de donner des arguments. Premièrement, s’agissant des FADET, il y a le choix fait par le parlement que cela donne lieu à une autorisation du premier ministre et non plus du ministre de l’Intérieur. »
Pour la géolocalisation « pour y avoir accès (…) il faudra que l’un des trois ministres compétents, chargé de la Défense, de l’Intérieur ou des Douanes, face une demande écrite et motivée au premier ministre, et lui ou la personne qui parlera en son nom devra faire une réponse écrite. C’est une garantie qui n’existe pas et que nous créons. »
« Sur ces deux points, aujourd’hui, il existe des dizaines de milliers d’interceptions qui ne sont pas régies par ces dispositions ! »
Le sénateur a insisté en troisième lieu sur le rôle renforcé de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. « Nous lui donnons des pouvoirs de contrôle, mais aussi d’intervention dans le cours du processus et aussi des possibilités de faire connaitre ses positions de manière qu’il en soit tenu compte. »
Alors que la CNIL avait regretté de ne pas avoir été consultée sur l’article 13, le sénateur a estimé pour sa part que celle-ci a été « entendue par le rapporteur que je suis et aussi par le rapporteur qui est le président de la commission de la Défense sur cette mouture ». Dans tous les cas, la CNIL « sera forcément amenée à s’exprimer sur le décret pour que le texte s’applique ».
« Nous sommes accusés d’élargir le champ d‘intervention dans ces domaines à un certain nombre de réalité économique, scientifique, sécurité, maintien de groupement dissous, etc. Tout cela figure, chacun peut s’y référer, dans la loi de 1991 et ce qui figure dans cette loi est devenu l’article L241-2 du Code de la Sécurité intérieure ! C’est la loi du 10 juillet 1991 ! » A ceux qui se « réveillent », le sénateur répond : « nous reprenons ce qui a été voté il y a 23 ans ! Au lieu de rafistoler la loi de 2006, qui sera caduque fin 2015, nous avons réinscrit tout le processus dans le dispositif de la loi de 1991. »
L’Asic et Google dans le viseur
Le sénateur marque sa surprise alors que lors du vote, « il y a eu beaucoup de commentaires positifs. Mais, trois semaines après, « est apparu un communiqué de l’ASIC, une association qui représente les majors du web, a dit que ce qui a été voté pose problème en matière de libertés publiques. À partir de là, y a eu une sorte emballement, et toute une série de déclarations ont été faites sur les réseaux sociaux ». Agacé, le sénateur a invité « ceux qui nous font ces reproches, qui donc nous accusent à propos d’un texte qui est peut être perfectible (…), qui ne comprend que des garanties nouvelles de risquer de porter aux libertés. Nous leur disons que peut-être il serait bien qu’ils balayent devant leurs portes. Ces majors du Web ont d’abord nié avoir fourni des informations à la NSA et ont fini par déclarer qu’il y avait de très nombreuses informations et de l’économie faite avec des milliards de données personnelles ».
« Nous avançons, nous voulons que nos services de renseignement soient efficaces, nous voulons pouvoir aller chercher nos otages et lutter contre le terrorisme, mais nous le faisons dans des conditions où nous avons tous la volonté, des garanties et du contrôle absolument nécessaire. »
La discussion des amendements en seconde lecture
Malgré tout, les sénateurs Corinne Bouchoux, André Gattolin et Esther Benbassa (EELV) avaient déposé un amendement pour faire supprimer cet article 13, accusé de contenir trop de zones grises. « l'article 13 tend à soulever de graves questions en termes de protection des droits et libertés individuelles », estiment les sénateurs Verts qui réclament donc une suppression pure et simple. Remarquant que « la CNIL n'a pas été saisie pour avis de cette disposition et n'a pas été en mesure de donner sa position au regard de la protection de la vie privée », ces trois sénateurs considèrent que leur amendement « a vocation à rouvrir le débat sur la surveillance des données numériques en France et le dispositif des interceptions de sécurité ainsi que sur les garanties offertes pour la protection des libertés fondamentales. »
Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, a comme la Commission émis un avis défavorable à cet amendement de suppression. « Nous soutenons ce texte de production sénatorial, c’est une bonne contribution, c’est un texte d’équilibre ». Le ministre a dénoncé « un débat tardif » jugeant l’accélération des discussions lancée notamment par l’ASIC « assez particulière ».
L’économie de l’article 13 existe « depuis 2006 » affirme le ministre qui reconnaît cependant que le texte étend ses pouvoirs à de nouveaux services du renseignement. Mais le ministre considère que les garanties du contrôle, notamment liées à l’intervention du premier ministre et de la CNCIS, sont suffisantes. De toute façon, « ce dispositif pourra être réexaminé lors de la discussion sur le texte sur le renseignement » assure-t-il.
Des sénateurs UMP avaient aussi déposé des amendements notamment pour remplacer l’expression « sollicitation du réseau » par « sollicitation de l’opérateur », histoire d’éviter les demandes directes et les systèmes un poil trop automatisés. Cependant, les amendements en question n’auront pas été défendus.
Le texte a été voté conforme 164 voix pour, 146 contre. Ce texte qui ouvre également de nouveaux pouvoirs à l'ANSSI, est donc désormais indéboulonnable. Seule une éventuelle intervention du Conseil constitutionnel permettra de vérifier sa conformité aux textes fondateurs, mais encore faudra-t-il qu’il soit saisi notamment par 60 députés ou 60 sénateurs.