Surveillance du Net : déluge de contestations contre le Patriot Act français

Tous contre 13, 13 contre tous

Le vote de la loi de programmation militaire, véritable Patriot Act bleu blanc rouge sur la surveillance d’internet, aura lieu demain au Sénat. Ces derniers jours, le dispositif a généré de nombreuses réactions. Même le Conseil national du numérique a finalement décidé de réagir. Tour d’horizon.

 

L’article 13 du projet de loi de programmation militaire va industrialiser la possibilité pour la Défense, l’Intérieur, la Sécurité intérieure et Bercy de puiser directement dans les mains des FAI et des hébergeurs une ribambelle de données (contenant, contenu). L’accès pourra se faire « en temps réel », sur « sollicitation du réseau », expression que les parlementaires ont pris un très sérieux soin à ne pas définir. Pour ouvrir cette porte, il suffira de justifier de :

  • La recherche de renseignements intéressant la sécurité nationale,
  • La sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France,
  • La prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous.

Ceci fait, les vannes seront ouvertes pour les autorités administratives, sans intervention préalable du juge (voir notre analyse détaillée, désormais gratuite, et un résumé).

 

L’inquiétude a finalement surgi au sein de la société civile, alors que les votes au Parlement se sont enchaînés sans véritable débat. Seuls Laure de la Raudière et Lionel Tardy ont en effet déposé des amendements aux fins d’obtenir de plus amples explications. Tous rejetés.

 

Ministre déléguée à l’économie numérique, Fleur Pellerin s’était moquée des réactions de l’Asic, association des acteurs du numérique où siège Google (avec Microsoft, eBay ou encore Dailymotion et Deezer). « Ils tentent de se parer de vertu. C’est ce qu’ils ont essayé de faire en voulant forcer l’administration américaine à publier toutes les requêtes [de renseignement] et en nous enjoignant, en France, via l’Association des services Internet communautaires (ASIC), de faire un moratoire sur le projet de loi de Programmation militaire alors qu’ils sont les premiers collecteurs mondiaux de données personnelles. On voit bien qu’ils sont dans une sorte de jeu de rôle où ils essayent de se mettre du côté des défenseurs des libertés et de tourner les principes à leur avantage. Il y a quelques années, ils faisaient la même chose avec la neutralité du Net, ce qui était déjà pour eux un moyen d’échapper à la régulation. »

 

La ministre est cependant désavouée par les faits puisque depuis les réactions pleuvent chez tous les acteurs.

Le Syntec Numérique

Le Syntec Numérique, qui représente 1200 éditeurs de logiciels, regrette pour sa part que les représentants du secteur n’aient pas été consultés. « Outre les vices d’inconstitutionnalité possibles entachant ce dispositif, celui-ci contient potentiellement un risque économique pour l'offre numérique française en plein essor, notamment de services Cloud, en pouvant contrarier la confiance des utilisateurs et des clients de ces services. » (communiqué)

L’Association française des éditeurs de logiciels

Même son de cloche côté AFDEL, l’association française des éditeurs de logiciels : « l’article 13 de la LPM installe un dispositif permanent de surveillance en temps réel au bénéfice d’un périmètre administratif étendu et sans véritablement limiter le volume des informations collectées ». Pour ces professionnels, le texte « risque d’alimenter le mouvement de défiance citoyen envers les technologies et les solutions de Cloud computing. Les questions relatives à la protection des libertés individuelles et collectives légitimement évoquées par les organisations représentatives de ces sujets se doublent d’interrogations liées à la compétitivité de la France et de l’Europe dans un secteur clé pour l’avenir économique ».

 

Un comble alors que l’Europe tend aujourd’hui à défendre la protection des données personnelles contre les géants américains, aspirateurs à données personnelles européennes. Selon l’AFDEL, du coup, « l’organisation pratique d’une surveillance systématique des données passe par la mise en place de « portes dérobées » dont il sera ensuite très difficile de  garantir un usage exclusif aux services de renseignement. Globalement, il convient de s’interroger pour savoir si le déploiement d’un tel dispositif n’induirait pas paradoxalement un affaiblissement de la sécurité des transactions sur l’Internet, fondée sur les principes d’une architecture distribuée et diversifiée ». (communiqué)

Renaissance Numérique

Pour le think tank Renaissance Numérique, « nous aurions aimé que l'affaire Snowden soit un réveil pour nos États. Un déclic qui nous mènerait vers plus de transparence concernant l'accès des pouvoirs publics aux données personnelles. Au lieu de cela, PRISM a ouvert la course à la concurrence des États vers plus de surveillance  - même quand celle-ci se fait dans des conditions contraires à nos principes démocratiques. » L’association dénonce un système « avare en termes de garantie des droits, de recours et de transparence ». Il souligne spécialement l’absence d’intervention du juge ou l’absence de verrou imposant une date butoir à la conservation des données de contenants et de contenus conservées. (communiqué)

L’Interactive advertising bureau

L’association IAB France (interactive advertising bureau) qui représente les principaux acteurs de la communication numérique fustige tout autant ce « blanc-seing » accordé aux services de renseignement des ministères de la défense, de l'intérieur, de l'économie et du ministère en charge du budget. « Cet article dont la constitutionnalité n’est pas avérée porte atteinte non seulement aux libertés publiques (droit à la vie privée, liberté d’entreprendre), mais fait également peser une menace sur l’essor d’une industrie vitale pour l’économie française (notamment en ce qui concerne le Cloud et le Big Data) » (communiqué)

La Quadrature du Net

A la Quadrature du Net, Philippe Aigrain, l’un des cofondateurs considère que « ce projet de loi instaure un régime de surveillance généralisée et risque de définitivement rompre la confiance relative accordée par les citoyens aux services en charge de la sécurité. Une référence imprécise aux besoins de la sécurité ne justifie pas de telles atteintes aux libertés » (communiqué)

 

Celui-ci poursuit sur son blog que « si le Sénat adoptait mardi 10 décembre le texte conforme à celui voté le 4 décembre à l’Assemblée nationale, celle-ci n’aurait plus comme possibilité – sauf amendement du gouvernement pour supprimer lui-même l’article 13 – que de rejeter la loi dans son ensemble pour sauver les droits fondamentaux des citoyens (avec toutes les conséquences que ce rejet aurait). Alors il faut le dire tout de suite : chaque parlementaire qui participerait à l’adoption d’une loi incluant l’article 13 et donc de cette incroyable agression contre les droits fondamentaux doit en assumer personnellement le choix. Il n’y a pas de discipline de groupe ou d’affiliation politique qui dispense d’exprimer dans son vote ce que la conscience dicte à chacun. » (blog)

La Fédération internationale des droits de l’Homme

Pierre Tartakowsky, Président de la Fédération internationale des droits de l’Homme, note our sa part qu’« alors que les autorités françaises, ainsi que leurs homologues européens, crient au scandale face à la surveillance d’Internet et l’interception de données privées de millions de citoyens européens opérées par la NSA et le FBI dans le cadre du programme PRISM, voilà que le gouvernement essaie d’introduire des dispositions législatives permettant le même type de surveillance numérique généralisée, en violation des libertés individuelles les plus fondamentales » (communiqué)

La CNIL

La CNIL, elle déplore ne pas avoir été saisie en amont des dispositions de ce fameux article 13. Elle rappelle qu'elle peut exercer un contrôle a priori et a posteriori des traitements de données « et devra donc se prononcer sur les actes réglementaires créant les traitements projetés et pourra réaliser des contrôles sur place inopinés afin de s'assurer du respect des libertés individuelles. » (communiqué)

Le Conseil national du numérique version 2.0

Le Syntec Numérique comme l’IAB avaient sollicité l’intervention du Conseil national du numérique.Très silencieux jusqu’alors, le CNNUm a finalement décidé à réagir vendredi, alors que le texte a été voté par les sénateurs et les députés en première lecture.

 

Pour l’institution, proche de Bercy, « les récentes révélations internationales relatives aux pratiques de surveillance généralisée, facilitées par la collecte massive de données personnelles par certaines plateformes, posent problème. »  Sur l'article 13 spécifiquement, les critiques sont tout aussi molles :  « il n’est pas opportun d’introduire sans large débat public préalable, une modification du dispositif créé par la loi de 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, alors qu’elle étend les modalités d’accès aux données, leur nature et leurs finalités. ». (communiqué).

 

Alors qu’on pouvait s’attendre à une analyse en profondeur de l’article 13 et de ses implications sur le numérique, le CNNum préfère du coup se saisir du sujet, plus ample, « de la protection des libertés et des droits fondamentaux profondément modifiés par la révolution numérique ». Il lance donc une étude dont le résultat interviendra bien après le vote de la loi de programmation militaire, qui aura peut-être mis à plat ce qu’il tente de protéger.

 

Des propos qui tranchent avec ceux de l’ancien président du CNNUm 1.0, Gilles Babinet. Dans les Échos, celui-ci considère que « cette loi, c’est le plus grand coup porté au fonctionnement de la démocratie depuis les lois d’exceptions pendant la guerre d’Algérie. Il n’y a plus de pouvoir du juge. Or, comme le disait Montesquieu, le père de la séparation des pouvoirs en France, « Tout pouvoir va jusqu’au bout de lui-même ». Je n’ai pas de problème à ce que l’on aille fouiller dans la vie des gangsters. Encore faut-il savoir qui est celui qui désigne le gangster, et il faut que cela soit un juge. En aucun cas, il ne faut donner un blanc seing aux militaires et à d’autres pour écouter tout et tout le monde en temps réel. Nous sommes à deux doigts de la dictature numérique ».

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !