Combien touchent les artistes lorsqu’une de leurs chansons est écoutée sur une plateforme de streaming ? Afin de donner des éléments de réponse à cette question plus complexe qu’elle n’y paraît, Spotify vient de se lancer dans un exercice de transparence finalement assez limité. La société suédoise, grande concurrente de Deezer, affirme que le taux moyen de redistribution à destination des ayants droit (producteurs, éditeurs, etc.) est généralement compris entre 0,006 et 0,0084 dollars « par stream » (écoute). Explications.
Si l’on savait jusqu’ici que Spotify, la célèbre plateforme de streaming musical, réalisait du chiffre d'affaire soit par le biais de la publicité (notamment lorsqu’il s’agissait d’écoutes gratuites), soit par le biais des abonnements versés par ceux ayant opté pour des formules payantes, l’on ne savait en revanche pas exactement comment elle rémunérait les ayants droit dont les œuvres sont disponibles au travers de ses services.
Dans un long billet publié mardi, l’entreprise suédoise donne davantage d’informations sur son modèle économique. Spotify commence en effet par expliquer qu’en mars 2013, elle comptait 24 millions d’utilisateurs : 18 millions ayant opté pour sa formule gratuite, et 6 millions ayant préféré sa formule payante à 9,99 euros par mois. Ce nombre d’utilisateurs est d’ailleurs en constante augmentation depuis 2009. « Pour chaque nouvel utilisateur Spotify, nous augmentons nos revenus et, par la même occasion, le montant des royalties que nous versons à l'industrie [musicale, ndlr] » poursuit la société. En l’occurrence, elle affirme avoir payé à ce jour 1 milliard de dollars de royalties, dont 500 millions uniquement pour l’année 2013.
Mais dans quelle mesure ces royalties sont-ils reversés ? Selon Spotify, ce sont environ 70 % de ses revenus qui servent à rémunérer les différents ayants droit : « labels, éditeurs, distributeurs, et, à travers certains distributeurs numériques, des artistes indépendants ». Ce n’est qu’à travers ces intermédiaires que la plus grande majorité des artistes est rémunérée pour l’écoute de ses œuvres sur Spotify. De nombreux éléments entrent en ligne de compte pour le calcul de ces royalties : le chiffre d’affaire réalisé mensuellement par Spotify, le nombre d’écoutes générées par les œuvres des ayants droit en question (et ce en prenant en considération le pays d’écoute, la formule de l’utilisateur, payante ou gratuite,...), la façon dont ont été négociés les droits avec Spotify, etc.
En moyenne, entre 0,006 et 0,0084 dollars par flux pour les ayants droit
« Chaque fois que quelqu'un écoute une chanson sur Spotify, cela génère un paiement. Mais Spotify ne calcule pas les royalties à partir d’un taux fixe "par flux" » explique l’entreprise. Autrement dit, tout ceci est très variable, et l’on est bien loin d’un système où chaque ayant droit percevrait mécaniquement X centimes d’euro pour chaque écoute. Spotify s’avance néanmoins en donnant une fourchette : « Récemment, ces variables ont conduit à un taux moyen de redistribution "par flux" compris entre 0,006 et 0,0084 dollars ». La plateforme de streaming assure qu’il s’agit là d’un taux moyen, mais que celui-ci est « considérablement plus élevé » si l’on prend uniquement le cas de rémunérations issues des formules payantes. A contrario, cela signifie que les taux moyens de redistribution issus uniquement du streaming gratuit, financé par la publicité, sont encore moindres... L’on regrettera que Spotify ne donne pas plus de précisions à ce sujet.
Et les artistes dans tout ça ?
Il est au final bien difficile de savoir d’après ces chiffres combien touchent ensuite les artistes, et non pas leur maison de disque ou leur éditeur. Rappelons toutefois qu’une étude publiée en février dernier par l’ADAMI évaluait à 0,0001 euro la somme reversée en fin de compte aux artistes pour un flux gratuit, contre 0,004 euro pour un flux « premium ». L’organisation dénonçait alors le rapport inégal entre artiste et producteur : 1 euro pour l’artiste / 18 euros pour le producteur.
Hier, Jean-Paul Bazin, directeur général gérant de la SPEDIDAM, a ainsi tenu à insister sur le fait que les rémunérations issues du streaming (et de la musique dématérialisée en général) étaient extrêmement faibles : « Du côté des artistes-interprètes (musiciens, choristes...) c'est simple, ils touchent 0 euro en provenance de la musique dématérialisée ». La société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes a ainsi rappelé que si l’artiste principal d’une chanson « perçoit des sommes dérisoires » en provenance des plateformes de streaming, « les artistes-interprètes quant à eux ne touchent rien ».
Lors de notre dossier relatif au label indépendant Talitres (voir ici), son responsable Sean Bouchard nous expliquait que le taux de reversement était de 0,08 centime d’euro sur les abonnements Premium de Deezer, contre 0,0015 centime par écoute pour les offres gratuites. L’intéressé se voulait malgré tout pragmatique : « À l’heure actuelle, mon point de vue est relativement simple. Il est de dire que plus que des plateformes qui vont générer des revenus pour les labels, ce sont des plateformes qui nous permettent de communiquer, d’avoir un acte de promotion et de relais pour nos artistes. Ce sont des sites qui peuvent nous permettre, outre le streaming qui ne rapporte presque rien du tout, d’engendrer des actes d’achat ou des gens qui viennent aux concerts. Pour moi, ce sont plus des plateformes promotionnelles qu’autre chose ».