[Interview] Cyberviolence scolaire : « les outils ne sont pas à diaboliser »

Catherine Blaya, auteur du livre « Les ados dans le cyberespace »

Catherine Blaya, professeure en sciences de l'éducation et présidente de l'Observatoire international de la violence à l'école, a étudié de près les phénomènes de cyberviolence et de cyberharcèlement à l’école. Auteur du livre « Les ados dans le cyberespace », l’intéressée a accepté de répondre aux questions de PC INpact.

catherine blaya

Crédits : Académie de Caen - Dailymotion

 

Afin de lutter contre les phénomènes de cyberviolence et de cyberharcèlement à l’école, certains États ont tenté ces derniers mois d’en passer par la voie législative. En France, le ministère de l’Éducation nationale a présenté la semaine dernière un guide au travers duquel il mise pour sa part sur la prévention (voir notre article). Le sujet préoccupe quoi qu’il en soit les parlementaires, puisque le Sénat a adopté il y a deux mois et demi un amendement visant à punir les auteurs de cyberharcèlement d’une peine maximale de 45 000 euros d’amende et trois ans de prison au cas où la victime serait un mineur de quinze ans.

Quelles différences faites-vous entre « cyberviolence » et « cyberharcèlement » ?

Il y a une distinction très nette entre cyberviolence et cyberharcèlement. La cyberviolence peut être ponctuelle et inclure du cyberharcèlement. Tout ce qui est cyberviolence n’est en revanche pas forcément cyberharcèlement. Le cyberharcèlement, c’est un acte répété, qui s’inscrit dans la durée et impliquant le désir de nuire de la part de l’agresseur.

Peut-on dire que ces comportements sont nouveaux ?

Non, ce ne sont pas des comportements qui sont nouveaux dans le sens où le harcèlement a toujours existé. On peut dire qu’il s’agit d’une nouvelle forme de harcèlement, opérée grâce à de nouveaux outils qui vont faciliter certaines choses. Par exemple, ils vont faciliter la dissémination puisque grâce à Internet ou à un téléphone portable, on a le moyen de véhiculer des messages 24 heures sur 24 et à destination de milliers de personnes... Même si l’anonymat a toujours existé, on peut également dire que ces nouveaux moyens le facilitent.

 

Et puis il y a aussi ce que j’appelle l’effet « cockpit ». C’est un terme qui vient de la Seconde guerre mondiale : l’agresseur, ne voyant pas sa victime, n’ayant pas en direct les effets de ce qu’il est en train de commettre, va oser plus. Certains harceleurs ne le feraient pas dans la vie traditionnelle.

Est-ce que c’est plus dangereux que le harcèlement « traditionnel » ?

Je ne pense pas que l’on puisse poser les choses en ce terme (sourire) ! Je ne dirais pas que c’est plus dangereux... Les dégâts sont tout aussi importants en tout cas, puisque la conséquence dramatique de ce type d’actes, c’est le suicide. Sans parler, auparavant, des problèmes de psycho-somatisation, d’anxiété, de dépression, d’échec et de décrochage scolaire, d’absentéisme, etc.

Quels sont les leviers permettant de lutter contre ces comportements ?

Le premier levier, c’est l’éducation, le dialogue. Que ce soit au niveau de la famille ou de l’école. Bien souvent, les écoles disent - mais de moins en moins - que ce n’est pas de leur responsabilité. Or, le ministre l’a rappelé la semaine dernière : il est de la responsabilité des établissements de lutter contre ce type de choses.

 

Mais pour éduquer, il faut comprendre. Nous avons donc un gros travail de dissémination, d’information, de sensibilisation à faire tant au niveau des familles que des établissements scolaires. C’est d’ailleurs ce que nous faisons à l’Observatoire international de la violence à l’école, puisque nous sommes en train de former les enseignants de 18 établissements. Et les EMS [Équipes mobiles de sécurité, ndlr] s’attachent également au niveau des académies.

 

Je remarque aussi qu’en France, les familles sont par exemple très contrôlantes. Elles contrôlent notamment le temps passé sur Internet et ce que les jeunes y font. Or ce n’est pas en France que l’on a le moins de problèmes de cyberviolence, par rapport au niveau européen. L’important, c’est de maintenir un dialogue. Ce qu’il se passe, c’est que les jeunes ne parlent bien souvent pas de leurs problèmes parce qu’ils ont peur qu’on leur coupe l’accès à Internet ou à leurs téléphones portables, qu’on leur interdise leurs réseaux sociaux, les adultes pensant souvent que le problème s’arrêtera en éteignant l’appareil. Or ce n’est pas le cas, puisque c’est un phénomène que même les agresseurs ont ensuite du mal à contrôler.

Quel regard portez-vous justement sur le guide publié cette semaine par le ministère de l’Éducation nationale ?

J’y ai participé, donc je porte un regard positif ! Je trouve que c’est une belle avancée. Parce que cela donne d’abord des pistes de compréhension sur les différents outils. Nous nous rendons compte que les adultes ne connaissent bien souvent pas les outils, le vocabulaire... Les adultes, même s’ils ont l’outil à portée de main, ne vont pas s’en servir par crainte de mal l’utiliser ou par incompréhension. Il est donc absolument nécessaire d’assurer cette formation vis-à-vis des adultes, qu’ils soient parents ou enseignants.

 

Ce guide est bien fait puisqu’il utilise des mots simples, il donne le numéro de Net Écoute (qui fait un travail extraordinaire à ce niveau là), les liens utiles... C’était nécessaire de faire cela. Il explique le vocabulaire, les différents aspects. Il explique comment se protéger, comment prévenir : comment on fait pour gérer ses paramètres, comment choisir un mot de passe qui ne soit pas facile à pirater, etc. Ce guide est concis, clair. Il utilise des phrases courtes, simples et compréhensibles par tout le monde. Je trouve que le ministère a fait une avancée extrêmement utile en termes d’information.

Publier un guide, est-ce suffisant ?

Non, je ne pense pas ! Entre lire les choses et changer les comportements, il y a parfois un fossé... Mais en termes de plan d’action, le gouvernement ne se contente pas d’un guide, puisqu’il assure des formations. Il y a plusieurs centaines de personnes qui ont déjà été formées, notamment par la délégation de lutte contre la violence à l’école.

 

guide cyberviolence

Un député a proposé il y a plusieurs mois d’installer des brouilleurs d’ondes au sein des établissements scolaires. Qu’en pensez-vous ?

Cela existe, des établissements scolaires l’utilisent. Sauf que les problèmes de harcèlement n’ont pas seulement lieu durant le temps scolaire ! Utiliser les brouilleurs, c’est une chose, mais ça ne résout pas le problème dans sa globalité. Par exemple, certains chefs d’établissements me disent qu’au retour des vacances ou du week-end, ils ont des incidents dans l’établissement parce que les jeunes règlent des conflits qui ont émergé sur la toile ou au travers de leurs téléphones portables. Utiliser les brouilleurs c’est un élément technique mais le fond du problème, c’est un problème d’éducation et de respect de l’autre. Ce qu’il faudrait par contre, c’est que les opérateurs et les prestataires de services proposent des outils adaptés aux jeunes et aux parents.

Que pensez-vous des tentatives législatives visant à muscler les peines relatives au cyberharcèlement, comme l’a souhaité le Sénat il y a peu ?

Lorsque la loi reconnaît un délit, elle permet aussi de reconnaître la victime. C’est donc important. Ceci dit, pénaliser un peu plus et criminaliser des jeunes qui bien souvent ne mesurent pas la portée de ce qu’ils font et qui commencent ce type de choses ou le font pour « blaguer », comme une plaisanterie, je ne pense pas que ça aide beaucoup... On sait bien que la criminalisation ne fait pas beaucoup avancer les choses en termes de prévention. Donc je suis assez prudente lorsqu’il y a une pénalisation des jeunes à ce niveau là. Je crois qu’il est beaucoup plus important de porter l’accent sur la prévention et l’éducation.

 

Je reste aussi prudente parce que bien des jeunes qui sont auteurs le sont aussi parce qu’ils sont victimes. Dans mes recherches, j’ai 42 % des jeunes qui se disent être victimes sur la période 2011-2012, mais que 19,3 % qui sont victimes seulement. Contrairement à ce que l’on dit, la cyberviolence est une violence de proximité. Les jeunes se connaissent, ils appartiennent bien souvent aux mêmes établissements scolaires, etc. 48 % des victimes sont aussi victimes dans la vie traditionnelle, ce qui implique que ce qui se passe sur la toile a des conséquences directes sur le climat scolaire.

Quand on voit l’utilisation croissante qui est faite par les jeunes des différents outils de communication, des réseaux sociaux... Cela ne vous inquiète-t-il pas ?

Pas plus, dans le sens où c’est comme je le disais une question d’éducation. Il va peut-être falloir du temps, mais on va y arriver. Ces outils ne sont pas à diaboliser, ils offrent des opportunités extraordinaires... Plutôt que de diaboliser les outils, il faut donner aux jeunes les moyens de se protéger et de les éduquer à un usage éthique, dans le respect de l’autre.

 

Merci Catherine Blaya.

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