Même si elle sait ses jours comptés, la Hadopi continue de montrer qu’elle travaille. L’institution multiplie ainsi la publication d’études sur la consommation d’œuvres culturelles sur Internet. La dernière en date porte sur les « stratégies d'accès aux oeuvres dématérialisées ».
Comment les internautes français accèdent-ils aujourd’hui aux œuvres culturelles dématérialisées, que ce soit des films, de la musique, des ebooks... ? Il faut dire que les chemins sont nombreux : streaming, téléchargement, etc. Tantôt licite, parfois illicite... Afin de cerner avec davantage de précision ces « stratégies d’accès », mais aussi dans l’espoir de détecter les usages qui devraient se développer dans un futur galopant, la Hadopi a confié à l’institut CSA (à ne pas confondre avec l’autorité administrative du même nom) la charge de mener une étude sur le sujet. À l’appui d’une étude quantitative réalisée en ligne auprès de 1 434 personnes, mais aussi d’entretiens semi-directifs effectués avec 12 personnes en avril 2013, la Rue du Texel a livré vendredi la synthèse de ces travaux (PDF).
À noter que cette étude s’intéresse uniquement à la consommation de musique, de films et de séries TV dématérialisés, en ce que ce sont parmi les types d’oeuvres les plus consommées.
Première étape : le renseignement
Avant de penser à se procurer une œuvre via Internet, encore faut-il l’identifier. Dans la majorité des cas, les internautes ont déjà une idée de ce qu’ils cherchent à écouter/visionner. C’est notamment le cas en matière de séries (70 % des gens déclarent savoir à l’avance ce qu’ils espèrent trouver), un peu moins s’agissant de musique (57 %) et de films (55 %).
Quand ils n’ont pas d’idées, les internautes se tournent vers un ou plusieurs sites qu’ils connaissent et qui leur permettent de profiter directement d’œuvres culturelles - que ce soit de manière licite ou non. Ils font également confiance aux sites d’information et aux moteurs de recherche (Google, Bing,...). L’étude de la Hadopi constate à cet égard que « la méthode qui consiste à se rendre d'abord sur un site licite (ex: Allociné, Deezer...) pour trouver des idées de biens à consommer ensuite de manière illicite est assez répandue auprès des consommateurs illicites ». Elle en déduit qu’il existerait ainsi « un besoin et des capacités d’information que les sites illicites ne seraient pas en mesure de fournir ».
Plus de 70 % des consommateurs illicites de films, musique et séries déclarent s’être déjà rendus sur un site licite pour avoir une idée d’œuvre à pirater. Ils sont 35 % à reconnaître le faire au moins une fois par semaine s’agissant de la musique, 27 % pour les films, et 25 % en matière de séries.
Deuxième étape : l’accès aux œuvres
L’étude conclut à la mise en œuvre de trois types de stratégies. Tout d’abord, les stratégies dites de repli, celles mises en œuvre par les internautes lorsqu’ils ne trouvent pas l’œuvre recherchée. Ils peuvent par exemple attendre que le film, la série ou le morceau de musique convoité finisse par émerger sur le Net. Ils ont également parfois recours à un proche « référent », plus à même de leur transmettre le bien en question. Mais la Hadopi ne donne pas de chiffre sur ça. Cependant, elle insiste sur le fait qu’environ un tiers des consommateurs a déclaré aller sur des sites illégaux « uniquement » parce qu'ils n’avaient pas trouvé ce qu’ils cherchaient sur un site légal.
Justement, lorsqu’ils ont recours à une consommation illicite, l’étude affirme que se mettent en place des stratégies de contournement. L’objectif ? Que ces pratiques présentent le moins de risques possibles d’un point de vue légal. Ils sont ainsi 27 % à reconnaître avoir déjà utilisé un lien depuis un réseau social. 18 % ont déjà eu accès à une œuvre à partir « d'un lien illégal qui [leur] a été envoyé par email, par SMS ou MMS ». 17 % déclarent avoir déjà utilisé un VPN.
Troisièmement, l’étude revient sur les « stratégies de partage ». Autrement dit : comment les biens culturels sont-ils échangés entre les personnes ? Force est de constater que le « piratage de proximité » reste prégnant. 65 % des individus interrogés ont ainsi déclaré avoir déjà reçu d'une autre personne une clé USB, un CD, DVD ou disque dur externe sur lequel avaient été copiés de la musique, des films ou des séries. Ils sont 56 % a reconnaître avoir déjà « donné » des fichiers à d’autres via cette même technique. Ce taux grimpe tout particulièrement chez les 15-24 ans : 76 % ont déjà « reçu », 69 % ont déjà « donné ».
Mais le partage peut également se faire via le Net. 23 % des personnes interrogées ont par exemple affirmé avoir déjà mis à disposition une œuvre via un logiciel de peer-to-peer. Autre illustration : ils sont 16 % a avoir déjà envoyé par email, par SMS ou MMS « un lien permettant d'accéder illégalement à un bien culturel ».
Troisième étape : la consommation des œuvres
Quel est le principal mode de consommation des séries, de la musique et des films - lorsqu’ils se trouvent sous forme dématérialisée ? Selon l’étude de la Hadopi, « le streaming est le mode de consommation privilégié des œuvres, notamment la musique ». 80 % des consommateurs d’au moins un de ces trois types d’oeuvres a déjà utilisé au moins une fois par mois ce mode d’accès. 20 % utilisent le streaming « tous les jours ou presque », 18 % trois à cinq fois par semaine, et 19 % une à deux fois par semaine. Les internautes se tournent vers le streaming pour trois principales raisons : « c’est facile », parce qu'ils n’ont pas envie de conserver un fichier, et cela leur permet d’accéder rapidement à l’œuvre.
Les travaux menés par l’institut CSA se sont au passage penchés sur l’utilisation des différents programmes ou services permettant de capturer un flux streamé afin de conserver un fichier sur son ordinateur (YouTube-to-mp3, DownloadHelper, etc.). Il apparaît ainsi que 37 % des consommateurs ont déjà utilisé un convertisseur pour transformer une chanson ou un clip en un fichier audio ou vidéo. Ce taux monte même à 53 % pour les internautes avouant au moins une pratique illicite. S’agissant des captures de films ou de séries, l’on tombe à 18 % des personnes ayant déjà utilisé un « rippeur » à cette fin.
Après le streaming, le téléchargement. Alors que 80 % des consommateurs déclaraient avoir déjà utilisé au moins une fois par mois le streaming comme mode d’accès, l’on tombe à 57 % s’agissant du téléchargement (qu’il soit légal ou non). Seuls 7 % y ont recours tous les jours ou presque, 10 % trois à cinq fois par semaine et 14 % une à deux fois par semaine. Les raisons de cette utilisation sont différentes du streaming. C’est en effet l’envie de conserver le fichier qui pousse tout d'abord les internautes à privilégier ce type de pratique. Vient ensuite la volonté de pouvoir écouter ou visionner l'œuvre sans interruption, puis la qualité.
Qu’advient-il ensuite des œuvres « consommées » ? Selon les conclusions de l’étude, « les uns semblent les archiver dans une démarche de "collectionneur" (logique de stock), souvent au moyen d’un gros disque dur et éventuellement d’un petit disque dur qu’ils peuvent emporter lors de leurs déplacements », tandis que « les autres semblent les supprimer au fur et à mesure dans une démarche de "consommateur" (logique de flux) ».
Et après ?
L’étude impose sa conclusion : le streaming s’avère être « un mode de consommation d’avenir ». 73 % des sondés ont ainsi affirmé qu’en matière d’accès illicite aux œuvres, l’on « cherchera de plus en plus à consommer les œuvres sur Internet en streaming ». Sauf que rappelons-le : le streaming n'entre pas dans le giron de la riposte graduée, qui demeure cantonnée aux échanges en peer-to-peer...
Hasard du calendrier, cette mise à l’index du streaming est apparue le lendemain d’une décision de justice très attendue : celle concernant la galaxie Allostreaming. Le tribunal de grande instance de Paris a en effet ordonné aux principaux FAI, pour une durée d’un an, le blocage de 15 sites dont dpstream.tv et allostreaming.com (voir notre article).
Ceci survient surtout alors que Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission des droits de la Hadopi, finalise son rapport contre le streaming et le téléchargement direct illicites, et plus largement les contrefaçons commerciales, lequel devrait s’inspirer en grande partie de ses précédents travaux sur le sujet (voir notre dossier). Ses conclusions sont quoi qu'il en soit attendues par la ministre de la Culture pour le mois prochain.