La NSA collecte des données personnelles pour discréditer ses cibles

L'art délicat de la communication

Alors que l’actualité sur la NSA avait été calme durant les dernières semaines, de nouveaux documents dérobés par Edward Snowden relancent plusieurs débats. Dans un article publié hier par Huffington Post, on apprend ainsi que la NSA se livre à des surveillances très précises pour collecter des données personnelles sensibles sur certaines personnes, en vue de les discréditer si leurs idées extrémistes devaient prendre de l’ampleur.

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Crédits : frederic.jacobs, licence Creative Commons

Des informations sensibles et personnelles 

La NSA (National Security Agency), ainsi que d’autres agences de sécurité américaines, sont depuis longtemps impliquées dans la collecte d’informations personnelles sur des individus ciblés pour une raison ou une autre. Sous la houlette de John Edgar Hoover par exemple, le FBI rassemblait des informations compromettantes sur certaines personnalités politiques pour se protéger de certaines lois ou d’une volonté politique. Il s’agit d’ailleurs du thème central du film « J. Edgar », de Clint Eastwood.

 

La collecte de ces informations sensibles concernait essentiellement des personnalités influentes et leurs frasques amoureuses, aptes à générer des scandales et à les discréditer de manière durable voire permanente. C’est précisément le discrédit qui est recherché dans les nouveaux documents dérobés par Edward Snowden et révélés par le Huffington Post.

Discréditer les personnes aux idées extrêmistes 

Les données de la NSA, datées du 3 octobre 2012, montrent ainsi que l’agence rassemble ce qu’elle juge être des informations pertinentes sur le style de vie de personnes ciblées pour leurs connexions potentielles avec des réseaux terroristes. L’objectif est simple : si lesdites personnes devaient prendre trop d’importance, soit sur le plan médiatique, soit en termes d’influences vis-à-vis de leurs contacts, la publication de ces informations endommageraient leur image afin qu’ils ne soient plus pris au sérieux.

 

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Les documents abordent le cas de six personnes en particulier, dont les noms ne sont évidemment pas donnés. Trois de ces personnes parlent anglais, les trois autres parlent arabe. Toutes ont en commun ne pas être directement impliquées dans des attentats terroristes mais de propager des idées extrémistes sur certains thèmes. Par exemple, l’une des cibles estime que les « non-musulmans sont une menace pour l’Islam » : la NSA possède des preuves d’une activité en ligne dans la catégorie « promiscuité sexuelle ». Un autre, a priori une célébrité connue des médias au Moyen-Orient, aime à répéter que les États-Unis sont eux-mêmes responsables des attentats du 11 septembre : il mènerait un train de vie particulièrement luxueux. Globalement, le sexe et l’argent sont les deux arguments qui reviennent le plus souvent et qui sont les plus aptes à donner un parfum de scandale aux informations, qui peuvent ainsi illustrer les écarts entre les discours publics et la vie privée.

La crainte de l'abus 

L’utilisation de ce type d’information ne devrait pas être une surprise car le thème a suffisamment alimenté les scénarios de films et de livres. Seulement voilà, il existe une différence notable entre la réalité et une œuvre culturelle : la réalité peut échapper au contrôle de ceux qui la manipulent. Car la crainte réelle est que la NSA abuse de ce pouvoir pour servir ses propres intérêts, voire de déborder sur des cas de corruption et de trafic d’influence.

 

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Le directeur de la NSA est à l'origine de cette activité

 

Jameel Jaffer, responsable juridique de l’association American Civil Liberties Union (ACLU), synthétise d’ailleurs ces craintes : « Il est important de se rappeler que les activités de surveillance de la NSA sont tout sauf strictement ciblées ; l’agence collecte des quantités massives d’informations sensibles sur virtuellement n’importe qui. Où que vous soyez, les bases de données de la NSA enregistrent des informations sur vos inclinaisons politiques, votre historique médical, vos relations intimes et vos activités en ligne. La NSA indique qu’il n’y aura pas d'abus avec ces informations personnelles, mais ces documents montrent que l’agence définit probablement « abus » de manière très précise ».

Laisser la NSA faire son travail et faire confiance aux dirigeants

Les craintes d’abus ne font pas partie au contraire des réflexions de Stewart Baker, l’un des principaux responsables de la sécurité intérieure du temps de la dernière administration Bush : « Si des gens essayent activement de recruter des gars pour tuer des Américains et que nous pouvons les discréditer, nous avons le devoir de le faire. Globalement, c’est plus juste et peut-être plus humain que de bombarder une cible », comparant en fait la technique à une autre forme de bombardement avec la vérité en guise d’explosif. Une analogie intéressante quand on connaît la réaction du gouvernement américain face aux vérités exposées par Edward Snowden.

 

Baker relativise ces craintes : « Dans ce domaine, vous pourriez remettre en question n’importe quelle tactique que nous utilisons en temps de guerre, et à un moment donné, nous devons avouer que nous nous en remettons à nos responsables politiques pour faire la différence ». Ainsi, la NSA utilise bien des tactiques qui pourraient être détournées, mais les responsables veillent au grain pour faire la différence entre la nécessité et l’abus.

Mais que contrôlent réellement les responsables ? 

Seulement voilà, la réalité n’est pas aussi simple. Et ce pour une raison très simple : les responsables ne sont pas nécessairement au courant des activités de la NSA. Il s’agit d’un élément crucial révélé notamment par les documents déclassifiés du tribunal secret FISC (Foreign Intelligence Secret Court) : les employés de la NSA ne sont pas systématiquement au courant des vraies limites légales de leur travail. Certains juges estimaient ainsi que les requêtes étaient trop grandes ou que les analystes ne connaissaient visiblement pas les lois qui encadraient strictement cette activité.

 

Une activité qui n’est d’ailleurs pas nouvelle. James Bamford, un journaliste qui suit les activités de la NSA depuis les années 80, explique ainsi que « l’opération de la NSA est sinistrement similaire aux opérations du FBI sous la tutelle de J. Edgar Hoover dans les années 60, quand le bureau utilisait des enregistrements pour découvrir des vulnérabilités, telles que l’activité sexuelle, pour « neutraliser » leurs cibles. En ce temps-là, l’idée était développée par le directeur du FBI étant resté le plus longtemps en place dans l’histoire américaine, elle est aujourd’hui suggérée par le directeur de la NSA ayant le même record dans l’histoire américaine ». Son nom est d’ailleurs connu puisqu’il a notamment dû s’expliquer devant le Congrès américain à plusieurs reprises : le général Keith Alexander.

Un puissant appareil qui pourrait être détourné 

Pourtant, lui aussi estime que la NSA devrait continuer son travail actuel : « Les cas d’abus qui impliquaient à l’époque Martin Luther King se sont produits avant la naissance d’Edward Snowden. Je pense que nous pouvons les décrire comme historiques plutôt que comme des scandales actuels. Avant de dire "Oui, nous devons nous inquiéter de ça", j’aimerais voir une preuve que cela se produit vraiment ».

 

Ce qui n’est évidemment pas l’avis de Jameel Jaffer de l’ACLU. Selon lui, l’histoire enseigne justement qu’il est préférable de se méfier de ce type d’activité. Le risque existe ainsi que « le président demande à la NSA d’utiliser les résultats de la surveillance pour discréditer un adversaire politique, un journaliste ou un militant des droits de l’homme ». Une crainte qui ne semble pas extrême puisque les documents déclassifiés de la FISC montraient notamment qu’en dépit de leurs objections, les juges autorisaient les requêtes formulées par la NSA.

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