Vers plus de femmes que d'hommes en informatique ? Pas si vite.

Il n'y a pas de miracle
Vers plus de femmes que d'hommes en informatique ? Pas si vite.

La nouvelle fait le tour du Web depuis une dizaine de jours : depuis le début de l'année, 60 % des emplois nets créés aux États-Unis dans le secteur high-tech sont occupés par des femmes. Une révolution dans un milieu habituellement très masculin ? Il convient néanmoins de prendre du recul sur ces données, d'autant que plusieurs indicateurs ne rendent pas optimistes, que ce soit outre-Atlantique ou en France.

Un changement historique ?

Si plusieurs femmes ont marqué l'histoire de l'informatique, elles n'en restent pas moins encore bien peu nombreuses voire quasi absentes de certains secteurs. Seuls 17 % des ingénieurs en France sont des femmes, et outre-Atlantique, les personnes de sexe féminin représentent moins d'un tiers de tous les employés du secteur de la technologie, à peine 12,33 % des ingénieurs. Pire encore, 97 % des start-ups sont créées par des hommes et 98,8 % des contributeurs aux logiciels open source sont des hommes selon Venture Beat.

 

Mais alors ? Assisterions-nous soudain à un miracle ? Certainement pas. Bien sûr, si l'on regarde les données du bureau américain et le graphique réalisé par Dice, l'année 2013 marque un tournant historique avec 60 % de recrues féminines pour à peine 40 % de masculines dans le secteur high-tech. Néanmoins, nous pouvons tout d'abord remarquer que ce haut pourcentage est lié à une chute des recrutements d'hommes plus qu'à une hausse d'embauches des femmes, sachant que l'année 2013 est loin d'être très active niveau recrutements (en tout cas entre janvier et septembre).

 

Et comme le note judicieusement Jonathan Fortt de CNBC, les données gouvernementales ciblent la catégorie « Computer systems design and related services », qui n'est, en fait, qu'une catégorie de l'industrie high-tech. Qui plus est, les chiffres officiels ne décrivent pas les emplois concernés par ces 60 % de recrutement féminins. Nous ne savons donc pas s'il s'agit de postes d'ingénieurs informatiques ou de vendeurs, de service clientèle ou de relations publiques. Il convient donc de prendre avec un certain recul ce qui peut paraître comme une page de l'histoire (pour le secteur il s'entend).

 

Cependant, ce n'est pas parce que cette nouvelle est à tempérer que rien ne change totalement. Bien au contraire. Nous pourrions ainsi faire remarquer que les patrons de Yahoo!, IBM, Hewlett-Packard ou encore Mozilla sont des patronnes. Quant à Facebook, son actuel n°2 n'est autre que Sheryl Sandberg. Et à l'instar de Marissa Mayer (la PDG de Yahoo!), Sandberg a aussi pour caractéristique d'être une ancienne employée de Google. Ce dernier, pillé de ses meilleurs éléments, n'a d'ailleurs plus que Susan Wojcicki comme figure féminine parmi ses cadres. Il faut dire que Wojcicki n'est pas n'importe qui, dès lors que le fameux garage où est né Google était son garage.

Les femmes en nombre dans... l'administration

Mais voir des femmes à la tête de sociétés majeures ne prouve rien en soi et ne signifie pas forcément qu'un changement est en cours. Selon les données de CNN Money, qui précisent les catégories des postes, les femmes dans des sociétés high-tech et internet importantes comme Intel, Dell, Cisco ou encore eBay sont minoritaires partout, ceci de façon assez marquée (de type 25/75 %). En réalité, seuls Dell et Intel sortent du lot en comptant plus de femmes que d'hommes en... administration. Que ce soient les techniciens, les vendeurs ou les managers, les hommes sont trois à quatre fois plus nombreux que les femmes à ces postes.

 

edito femmes informatique

 

En France, il n'y a pas de quoi rire non plus. Le Munci, association spécialisée dans l'emploi en informatique, faisait certes remarquer il y a deux ans que certaines sociétés (SSII) recrutaient bien plus de femmes en partie grâce aux CV anonymes. Entre 2006 et 2011, la part des femmes chez Norsys est ainsi passée de 10 à 24 %. Un bond spectaculaire qui montre toutefois la faible proportion féminine de 2006. « Cela montre à quel point, consciemment ou non, les gens sont peu enclins à recruter » des femmes, car soupçonnées « d’être trop prises par leurs obligations familiales » notait d'ailleurs à l'époque Mathilde Durie, responsable des ressources humaines de la SSII.

Des orientations qui ont évolué dans le temps

Cette belle progression ne doit néanmoins pas faire oublier la très faible importance du sexe féminin dans le secteur. L'an passé, le Munci, encore, mettait en avant une étude sur l'emploi en informatique. Et un passage cible précisément le cas des femmes :

 

Lorsque nous avons demandé à nos interlocuteurs quelle était la cause du faible recrutement de femmes ils nous ont expliqué que la désaffection de cette population des filières scientifiques mettait un frein à leurs intentions. Avant d’en venir donc aux données recueillies sur nos terrains, il faut souligner ce phénomène, dont certains travaux rendent compte partiellement, à propos du ralentissement de la féminisation de l’ingénierie informatique depuis le milieu des années 1990 (Ingarao, 2002 ; Collet, 2006 ; Buscatto et Marry, 2009 ; Meynaud, Fortino et Calderon, 2009). Ce phénomène n’est pas marqué par un « retrait » des femmes. En fait, cette activité est la première spécialisation des femmes ingénieurs et cadres techniques d’entreprise : en 2002, 42,6 % de ces femmes sont « spécialistes de l’informatique » et le taux de féminisation de la catégorie des « ingénieurs et cadres spécialistes de l’informatique » a augmenté légèrement, passant de 18,7 % en 1992 à 20 % en 2002. Il s’agit plutôt d’un « rattrapage des hommes » poussé par le déclin des secteurs industriels traditionnels : en 1982, les hommes spécialisés en informatique n’étaient que 11,6 %, alors qu’en 2002 ils sont 31,3 % ; le nombre d’hommes sur l’ensemble des emplois du secteur informatique s’est accru de 200 % dans la même période, alors que celui des femmes ne s’est accru que de 42 % (Stevens, 2007). Les femmes sont donc moins fréquemment candidates à des emplois dans les SSII que les hommes. C’est dans ce contexte que les recruteurs vont sélectionner les candidats en fonction de leurs « compétences ».

 

Effectivement, si l'on regarde cette étude d'Isabelle Collet, le problème est multiple pour les femmes en informatique, comme les graphiques ci-contre le démontrent parfaitement. D'un côté, le taux des femmes diplômées des écoles d’ingénieurs en informatique est retombé à 10 % en 2010 (contre plus de 25 % toutes filières confondues), ceci alors que le secteur avait atteint un pic à 20 % dans les années 1980 (contre moins de 15 % toutes filières confondues). Qui plus est, le nombre d'étudiantes diplômées en option informatique/STIC dans cinq écoles d'ingénieurs stagne anormalement depuis une trentaine d'années. De l'autre côté, le nombre d'hommes diplômés dans cette même option a été multiplié par trois durant ce laps de temps, créant ainsi une compétition bien plus importante et par conséquent une proportion féminine bien inférieure.

 

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Dans ces conditions, il est donc impossible de voir un changement majeur dans le secteur avant un bon moment. D'autant plus que selon cette même étude, les stéréotypes ont la vie dure sur le secteur informatique (programmeur asocial h24 devant son PC), ce qui repousse bien des femmes à s'orienter dans le secteur. Pire encore, « depuis la rentrée 2005, des départements d’informatique d’universités ou d’IUT constatent que non seulement le vivier dans lequel ils recrutent s’amenuise (même si on ne peut pas encore parler de difficultés à remplir les filières) mais que pour la première fois depuis la création de ces formations, certains groupes ne comportent plus une seule femme ». Pas de quoi à nouveau être optimiste.

 

Enfin, comme nous l'avions noté dans un précédent édito, les femmes portent de nombreux secteurs sur internet, et en particulier les réseaux sociaux. Facebook, Pinterest ou encore Snapchat sont ainsi des réseaux très féminins. Et de façon globale, les femmes (surtout les jeunes) sont des utilisatrices importantes des smartphones, tablettes, PC et d'internet. « Mais ces transformations des usages n’ont eu pratiquement aucune incidence sur l’image des métiers, comme si les étudiant-e-s ne pouvaient imaginer des métiers de l’informatique en amont de ces usages, ou encore que quels que soient les usages ou les évolutions techniques, le métier d’informaticien reste immuablement lié à la programmation, l’informatique ne se met pas au service des STIC. » En somme, rien ne change et sauf miracle, la situation devrait encore perdurer de longues années.

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