L’Association des acteurs du web 2.0 (Asic), qui réunit Google, Microsoft, eBay, Dailymotion, etc. voit d’un mauvais œil la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel, tout spécialement la disposition qui vise à permettre le blocage administratif des sites.
La proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » discutée à partir du 27 novembre, permettra à « l’autorité administrative » d’exiger des FAI le blocage d’accès à des sites qui « contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains », et ce sans passer par le juge.
« Lorsque les nécessités de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle (…) le justifient, l’autorité administrative notifie aux [FAI] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. Les décisions de l’autorité administrative peuvent être contestées devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. »
Les FAI devront également « mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données ». Ils auront alors en outre l’obligation d’informer les autorités publiques compétentes, via le système Pharos (Internet Signalement).
Risque de saturation de Pharos
Pour l’Asic, déjà, cette obligation de signalement « risque de saturer totalement les équipes du Ministère de l’Intérieur en charge de lutter contre l’ensemble des contenus manifestement illicites » comme la pédopornographie.
Pourquoi ? Selon ces acteurs du web, « les intermédiaires de l’internet n’ont aujourd’hui pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un de ces cas. Sans enquête préalable, sans vérification, ils sont dans l’impossibilité de se livrer à une telle analyse juridique que seuls les services d’enquêtes ou les magistrats sont en mesure et fondés de mener ». Outre les sites de proxénétisme, l’actuel gouvernement veut également étendre cette obligation de signalement à de nombreux cas (discours sexistes, homophobes, handiphobes signalés par les internautes) dans le cadre d’un autre projet de loi, celui sur l’égalité entre les femmes et les hommes (voir notre émission 14h42 dédiée à ce sujet).
Il est à craindre en effet que les FAI, qui ont l’obligation de transmettre les signalements, vont par précaution envoyer toutes les notifications aux autorités. « Or, force est de constater qu’aucune étude n’a été réalisée pour évaluer l’impact de cette mesure. De même, aucun moyen supplémentaire n’a été accordé au Ministère de l’intérieur pour gérer ce nouveau flux important de signalements. En 2012, PHAROS a enregistré plus de 120.000 signalements, traités par uniquement 10 personnes ». Le hic est qu’aucun moyen supplémentaire n’est prévu pour mieux armer Pharos, avec un risque évident : « que les contenus les plus ignobles ne soient pas purement et simplement perdus dans la masse des notifications qui seront reçues. »
Un blocage sans juge et donc inconstitutionnel ?
Sur la partie blocage administratif, l’Asic s’étonne du curieux revirement du groupe PS, qui s’était pourtant opposé à ces mesures au point de réclamer un moratoire lorsque l’UMP était aux manettes. Selon les acteurs du web, il faut revenir aux fondamentaux de la responsabilité des intermédiaires techniques et prévoir à tout le moins des demandes de retrait de contenus auprès des hébergeurs.
L’association considère en outre qu’ « une telle mesure risque de porter atteinte au principe essentiel de neutralité des réseaux. La mise en place de dispositifs de blocage doit donc être considérée comme exceptionnelle et limitée exclusivement aux contenus pédopornographiques et ne doit pas être étendue ». Ce blocage des sites pédopornographiques avait été consacré par la loi LOPPSI de la précédente majorité, contre laquelle le PS s’était farouchement opposé...
Inopportun, le dispositif ne serait même pas constitutionnel pour ces acteurs du web qui ont en tête la décision Hadopi du 10 juin 2009, où le Conseil constitutionnel avait estimé que la coupure d’accès ne peut être décidée que par un juge, et non par une autorité administrative. Il y a en effet une atteinte potentielle à la liberté de communication, et seul le juge judiciaire peut intervenir pour jauger de la proportionnalité de la mesure. Avec sa décision LOPPSI du 10 mars 2011, les sages de la rue Montpensier avait autorisé exceptionnellement le blocage administratif sous trois conditions, résumées par l’Asic : « (i) un blocage d’un site déterminé à raison de son caractère illicite, (ii) une volonté de lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs et (iii) une protection des utilisateurs d’internet eux-mêmes. »
L’association prévient donc les parlementaires qu’un vote en l’état de l’article 1 ira droit dans le mur de la Constitution : « seul un juge doit être en mesure d’ordonner une mesure de blocage d’un site internet tant cette mesure est susceptible d’avoir des effets de bords non désirés (notamment quant aux dommages collatéraux générés par la mesure de blocage instaurée) et ainsi de porter atteinte à la liberté d’expression. »