Copie privée : la décision de tous les dangers pour les ayants droit

Les sociétés doivent elles payer la copie privée ?

Les entreprises qui achètent des supports vierges soumis à redevance pour copie privée doivent elles vraiment payer cette ponction ? Devant la Cour d’appel de Paris, Imation a remporté une nouvelle fois victoire contre Copie France (l'arrêt du 19 novembre en PDF). L’entreprise conteste justement que cette redevance puisse être payée sur les flux professionnels payés par les sociétés. En jeu, 40 millions d’euros que le célèbre fabricant de support estime avoir payé en trop. Il a d'ailleurs fermé toutes les vannes vers les ayants droit afin d’être compensé.

Le 14 novembre 2011, Copie France avait assigné Imation, l’un des gros fabricants de support CD et DVD propriétaire notamment de TDK. Le collecteur de la copie privée demandait à l’entreprise de lui payer 2,73 millions d’euros pour la période s’étendant à février à juin 2011. Refusant de sortir son carnet de chèques, Imation lui a opposé une grille de lecture issue du droit européen. La société estime en effet avoir payé beaucoup trop de copie privée depuis la transposition en France de la directive de 2001 sur les droits d’auteur. Combien ? 40 millions d’euros.

 

Effectif depuis le 23 décembre 2002, l’article 5 2.b) de cette directive souligne en effet que la copie privée ne doit être payée que si deux conditions sont réunies : elle vise des personnes physiques, ainsi que les usages privés et non commerciaux. Or, depuis 1985, les ayants droit font payer la copie privée indistinctement aux particuliers, comme aux professionnels même constitués en société.

 

directive art 5 2 b

 

Le 21 octobre 2010 avec son arrêt Padawan, la Cour de Justice de Luxembourg rappellera à toute l’Europe qu’un tel traitement n’est pas possible. Le 17 juin 2011, le Conseil d’Etat impactera cette décision pour annuler des barèmes de la Commission copie privée qui avaient justement assujetti tout le monde à cette perception, particuliers comme professionnels, personnes physiques comme personnes morales. Les juges administratifs se sont montrés cependant généreux avec les ayants droit : ils ont repoussés de six mois cette annulation et supprimé tout effet rétroactif. Ce fut un soulagement pour les sociétés de gestion collective qui n’ont donc pas eu à rembourser ce qu’elles avaient prélevés en trop.

Le Conseil d’État pouvait il suspendre le droit européen ?

Pour Imation, cependant, l’arrêt du Conseil d’État, aussi charitable soit-il, ne pouvait mettre entre parenthèse le droit européen qui doit s’appliquer dans toute sa rigueur depuis ce 23 décembre 2002. La société a donc calculé que 40 millions d’euros de copie privée avaient été indument aspirés à partir des supports vendus sur son canal commercial depuis cette date. Résultat des courses : la société a arrêté de verser le moindre centime d’euro aux ayants droit, même issus de son canal « consommateur », le temps de compenser le trop versé chiffré en dizaine de millions d’euros.

 

Devant la Cour d’Appel de Paris, qui fut saisie par les ayants droit après une première victoire d’Imation, celle-ci a souligné en appui que le droit français est un peu trop boiteux : voilà un article 5 2.b) qui dit que le redevable de la copie privée est la personne physique, et des ayants droit français qui font payer la copie privée à des sociétés, lesquelles sont pour elle, hors du champ d’application de cette perception.

 

conseil d'état

 

Copie France a multiplié les arguments pour isoler cette interprétation : les directives européennes n’ont pas d’ « effet horizontal », seulement un « effet vertical » en ce sens que si elles s’appliquent à l’État, elles ne s’appliquent pas dans les litiges entre deux personnes privées. Imation oppose à Copie France son statut à part, puisqu’elle est chargé d’accomplir un service d’intérêt public (collecte de la copie privée) soumis au contrôle de la Commission de contrôle des SPRD. On est loin d’un acteur privé lambda.

 

Copie France rétorque aussi que les juridictions européennes ont déjà accepté le report mis en œuvre par le Conseil d’Etat (Inter-environnement /Wallonie de la CJUE du 28 févier 2012). Imation répond que la CJUE a conditionné ce report notamment à ce que « la mesure maintenue provisoirement constitue une transposition correcte de la directive » ce qui ne peut pas être le cas ici. Il suffit par exemple de relire la loi du 20 décembre 2011, nettement plus en retrait que le droit européen :

  • Dans le droit européen, on retient deux critères : la copie privée doit être payée par les personnes physiques (1) pour un usage privé et à des fins non commerciale (2).
  • Dans le droit purement français, tout le monde paye la copie privée. Certes, la loi du loi 20 décembre 2011 permet depuis un remboursement mais celui-ci ne vise que « les supports d'enregistrement acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privé. »

En clair, en France prédomine l’usage grâce à une lecture réductrice du 5 2.b) où est éclipsé le critère de la personne privée. Autre chose, l’arrêt Inter-environnement /Wallonie de la CJUE du 28 févier 2012 s’est inscrit dans une circonstance exceptionnelle : un risque de pollution et donc une menace pour la sécurité des personnes. Ici, les intérêts en cause sont uniquement patrimoniaux, ce qui est d’un autre acabit. 

Des arguments qui pourront être repris par d'autres entreprises

Comme dans l’ordonnance du TGI de Paris du 15 Juin 2012 signée de la magistrate Marie Christine Courboulay, la Cour d’appel de Paris a considéré que ces contestations sont ici « sérieuses » en ce sens qu’elles doivent être traitées par les seuls juges du fond.

 

L'arrêt rendu hier risque d’emporter des effets dévastateurs pour les ayants droit si comme Imation d’autres entreprises décident maintenant de contester les appels à paiement sur des flux « professionnels ». Dans une telle hypothèse, la voie du référé provision est en effet fermée aux ayants droit.

 

En d’autres termes, l’affaire souligne qu’il y a bien des motifs de contestations sérieuses de la licéité du régime français au regard de la directive : l’exigibilité des factures de Copie France est entamée dès lors qu’il y a un appel à paiement de rémunération pour des flux destinés à des personnes morales : la décision suggère fortement que celles-ci ne devraient pas être redevables que ce soit à titre définitif ou provisoire. En outre, tous les industriels qui vendent à un canal commercial identifié et qui ont avancé la copie privée, sont en mesure d’exercer une action en paiement de l’indu tout en suspendant leur règlement puisqu’il y a une « contestation sérieuse » sur la portée du droit au remboursement un peu trop borné par le Conseil d’Etat.

 

Défendue par Me Cyril Chabert, du cabinet Chain, le fabricant de support a d’ailleurs déjà contre-attaqué au fond afin de blinder ses droits et surtout régler la question des 40 millions d’euros. La plus grande crainte pour les ayants droit, qui ont déjà provisionné ces sommes, serait que ces juges soulèvent maintenant une question préjudicielle pour savoir notamment si le Conseil d’Etat pouvait suspendre l’application du droit européen et surtout si un Etat membre peut considérer comme redevable à titre définitif ou même provisoire une personne qui ne serait pas une personne physique.

 

L’affaire intervient en tout cas comme une douche froide pour les ayants droit, qui viennent tout juste d’empocher le chèque que SFR leur devait.

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !