À l’occasion du Festival du Film de la Réunion, Françoise Védrine, responsable commerciale des ventes internationales de chez Gaumont, a accepté de répondre aux questions de PC INpact à propos du piratage et du téléchargement illégal.
Comment Gaumont lutte-t-il contre le piratage de films ?
Gaumont a une politique hyper stricte sur ça. Nous prenons des mesures de précaution draconiennes pour que nos films ne soient visibles que sous certaines conditions. Par exemple, on a pour consigne de n’envoyer aucun screener, c’est-à-dire des DVD de visionnage, avant la sortie vidéo en France. Je crois qu’on est quasiment les seuls à faire ça, de protéger nos films à ce point là.
On envoie très peu de liens pour visionner les films, et quand on le fait c’est encadré, protégé, etc. Dans les pays pour lesquels il y a beaucoup de piratage, comme au Maghreb, j’ai aussi interdiction de vendre des films pour une sortie simultanée avec la France. C’est minimum deux semaines de décalage, le temps que le film fasse déjà son « début de carrière » dans les salles françaises. Nos clients à l’étranger se plaignent d'ailleurs souvent de ces mesures draconiennes...
Donc tout ça, c’est pour limiter au maximum les risques de piratage. Mais ceci dit, avant on envoyait des copies, c’était plus facile à pirater aussi. Avec les DCP [« Digital cinema package », les copies numériques désormais envoyées aux salles au lieu des anciennes bobines, ndlr] ça devient plus difficile, puisqu’il faut générer des ouvertures de clés.
Ces efforts sont-ils concluants, satisfaisants ?
On n’empêche pas le piratage, il ne faut pas se leurrer... Le piratage a provoqué quasiment la mort du marché DVD dans beaucoup de pays. Le marché de la vidéo est par exemple quasiment mort en Asie. Il est remplacé petit à petit par la VOD et par la télévision qui reste assez forte malgré tout.
Le marché DVD, à part dans certains pays où il est encore fort, a disparu en grande partie à cause du piratage, parce qu’évidemment quand on voit des DVD se vendre à un euro à la sauvette ou sur les marchés, ça dissuade de l’acheter au prix fort. Quand un film est sorti en salles, par exemple au Maroc, vous pouvez être sur que le lendemain il va se retrouver à deux euros dans les souks, et dans une qualité pourrie ! C’est-à-dire que malgré les mesures de précaution, il y a des gens qui s’infiltrent dans les salles et qui filment avec leur portable. Mais bon, je trouve que ce n’est pas ce piratage là qui est dangereux pour notre cinéma, puisqu’il ne concerne vraiment que ce marché local. La population occidentale s’est habituée à avoir une qualité d’image très bonne, donc on ne veut plus regarder un film, même pour deux euros, de la qualité d’un DVD piraté.
Gaumont est très à cheval sur la protection du film, de l’auteur... ça fait partie de la politique de la maison. On est un des rares distributeurs à être vigilant à ce point là, et j’espère que Nicolas Seydoux [président de Gaumont, ndlr] va continuer à protéger comme ça et relancer Hadopi... J’avais à cet égard le sentiment que les pouvoirs publics avaient un peu laissé le système Hadopi s’évanouir. Vous devez d’ailleurs être plus au courant que moi sur ce point là...
Je m’apprêtais effectivement à vous demander votre position sur la riposte graduée, sachant que la ministre de la Culture a promis que le dispositif serait transmis clé en main au CSA...
Ah c’est très bien ! J’avais le sentiment au début qu’ils baissaient un peu la garde... La riposte graduée c’est très bien, c’est ce qu’il faut !
Je remarque en regardant autour de moi que les rares gens que je connais qui téléchargent illégalement, ce ne sont pas forcément des cinéphiles. Ce sont des gens qui veulent amasser, qui refusent de payer pour aller en salles parce qu’ils trouvent que c’est trop cher par rapport à l’offre. Mais quelqu’un qui aime vraiment le cinéma, il prend une carte de fidélité, il se débrouille... il va au cinéma quand même ! En général, ceux qui téléchargent illégalement, c’est plus une volonté d’accumuler des films sur disque dur et de se dire « je paye pas, je tombe pas dans le piège ». Mais pour autant, ce sont des gens qui ne voient pas forcément beaucoup de films.
Ou alors, il y aussi ceux qui vivent en province et qui n’ont pas accès aux salles de cinéma, ou qui vivent dans des coins reculés sans salle de cinéma à 100 km à la ronde. Donc quand on est un peu cinéphile, qu’on aime ça, mais qu’on a choisi de vivre en pleine nature, on n’a pas forcément cette possibilité de choix et du coup on télécharge illégalement, ce qui est très dommage. Moi je trouve que la VOD peut tout à fait remplacer ça. C’est un moyen de voir un film récent, avant sa sortie vidéo, légalement. On paie 5 euros, c’est le prix d’une toute petite place de cinéma avec un prix d’abonné, mais au moins on le voit légalement. Je trouve que c’est une bonne alternative.
Que pensez-vous des solutions de type « licence globale » ?
Je ne vois pas bien comment c’est faisable... Parce qu’en France on reverse des droits d’auteur. Le système de la VOD est déjà compliqué pour ça. Je ne suis pas favorable à ça pour les films récents, pour les nouveautés qui viennent de sortir en salles. Payer juste un peu par mois et avoir un accès illimité, ça ne laisse pas de possibilités de tracer le film. Je ne vois pas comment on peut faire des remontées de recettes à partir de ça.
Certains acteurs et même jeunes réalisateurs semblent pourtant y être favorables, à l'image de Jérémie Elkaïm...
C’est drôle que les réalisateurs ne soient pas plus effrayés par le piratage, parce que ça leur prend quand même beaucoup d’entrées. Nous, en tant que producteurs, on ne peut pas approuver, ce n’est pas possible. Pour Nicolas Seydoux, c’est clairement à terme la mort du cinéma. Donc je peux difficilement avoir un discours contraire.
D’une manière plus large, quels seraient selon vous les moyens de lutter davantage contre le piratage ?
Améliorer l’accès aux sites de VOD, qu’il soit plus facile de chercher sur un site VOD, parce que ça reste difficile de naviguer sur un site tel que Canal Play ou celui de TF1. Il y a iTunes qui se débrouille très bien. Il faudrait d'ailleurs plutôt aller sur ce modèle là : navigation fluide, interactive,... Pour moi, c’est le seul moyen : avoir une offre plus facile d’accès et des prix qui restent raisonnables. Mais la gratuité au film, pour nous c’est un non-sens. On ne peut pas continuer à produire des films si l’on y accède gratuitement, il faut que l’offre soit rémunérée, que l’auteur soit rémunéré.
Merci Françoise Védrine.