Reprochant à Google d’associer automatiquement son nom avec les termes « escroc » et « secte », un internaute a obtenu le 23 octobre dernier du tribunal de grande instance de Paris 4 000 euros au titre de son préjudice moral. Le géant de l’internet a été sanctionné pour avoir refusé de retirer ces suggestions, mais aussi pour ne pas avoir suffisamment expliqué à ses utilisateurs comment celles-ci fonctionnaient d’une manière plus générale. Explications.
Début 2011, Bruno L. s’aperçoit que lorsqu’il commence à tapoter son nom dans Google, le célèbre moteur de recherche lui propose automatiquement les termes « bruno l. escroc » ainsi que « bruno l. secte ». La fonction de saisie semi-automatique de Google, censée aider l’utilisateur à trouver des mots proches de ceux qu’il recherche, est ainsi dans le collimateur de l’intéressé, qui estime qu’elle est ainsi responsable d’injures envers un particulier. L’homme regrette également que ces mêmes expressions apparaissent au sein de la rubrique « Recherches associées » de Google - habituellement en bas de la première page des résultats de recherche.
Estimant que ces associations de termes portent atteinte à son image ainsi qu’à celle de sa société, Bruno L. demande le 29 janvier 2011 à Google de bien vouloir supprimer ces suggestions automatiques. En vain. Un refus adressé à l'intéressé quelques semaines plus tard par le géant de l’internet le conduit à assigner l’entreprise américaine devant le tribunal de grande instance de Paris dès le mois d’avril 2011.
Pour résumer, le plaignant demande trois choses aux juges français :
- qu’ils reconnaissent que ces associations de termes constituent une injure envers un particulier,
- qu’ils reconnaissent et évaluent le préjudice causé à son égard par Google,
- qu’ils ordonnent au géant de l’internet la suppression de ces associations de termes.
De son côté, Google se défend en affirmant que les associations de termes sont déterminées par ses algorithmes. Sur le premier point, le tribunal de grande instance a donné raison au géant de l’internet en suivant cet argument. Les magistrats ont en effet retenu qu’en raison « du caractère automatique du choix des suggestions qui s’affichent » au travers du moteur de recherche, « l’élément intentionnel du délit d’injure n’est pas caractérisé ». Dès lors, sans intention de nuire à Bruno L., « ce processus automatique d’apparition des suggestions litigieuses exclut l’application » des dispositions législatives relatives à l’injure.
Ce raisonnement n'est guère surprenant, et cadre parfaitement avec la récente décision de la Cour de cassation au sujet de Google Suggest. Pour mémoire, la plus haute juridiction judiciaire française a considéré en juin dernier qu'un moteur de recherche tel que Google ne pouvait pas être tenu pour responsable des mots proposés d'après un algorithme construit par ses soins (voir notre article).
Deux fautes : défaut d'information et refus de supprimer les suggestions
Toutefois, si la responsabilité pénale de Google ne peut pas être engagée dans cette affaire, il n’en va pas de même s’agissant de sa responsabilité civile. Selon le tribunal de grande instance de Paris, même si l’entreprise n’est pas coupable d’injures envers un particulier, elle fut tout de même à l’origine d’un préjudice - qu’il lui incombe désormais de réparer.
En l’occurrence, les magistrats vont estimer que Google a commis deux fautes. D’une part, ils ont considéré que l’entreprise avait commis une négligence, en ce qu’ils ont observé un « défaut d’information de l’internaute quant au sens qu’il convient de donner aux propos qui s’affichent spontanément sur l’écran ». Autrement dit, ils reprochent au géant de l’internet de ne pas expliquer suffisamment à ses utilisateurs comment fonctionnent ses « Recherches associées » ainsi que sa fonction « Google Suggest », de telle sorte que « les suggestions litigieuses sont entendues dans leur sens commun soit, la première, “bruno l. escroc”, comme une invective et, la seconde, “bruno l. secte”, comme évoquant des liens qui pourraient exister entre le demandeur et de tels groupements dont les pratiques sont condamnées ».
D’autre part, le tribunal de grande instance de Paris a considéré que Google avait commis une faute en refusant de retirer les suggestions litigieuses, contrairement à ce que lui avait demandé par courrier Bruno L. Pour les juges, ce refus « au seul motif du caractère “automatique” et “statistique” de ces suggestions, caractérise la faute commise au sens de l’article 1382 du Code civil ».
Google doit supprimer les suggestions incriminées pendant une durée d'un an
Résultat : les magistrats ont reconnu et évalué le préjudice moral de Bruno L. à 4 000 euros, et ce « compte tenu de la durée pendant laquelle ces suggestions ont été affichées, la première demande de suppression datant du mois de janvier 2011, et compte tenu également du fait que les propos litigieux figurent, non seulement sur le système de “Saisie semi-automatique“, mais également sur la page de résultats, dans la rubrique “Recherches associées” ». Bruno L. a également obtenu 4 000 euros au titre des frais de justice.
Le tribunal de grande instance a également ordonné la suppression des suggestions litigieuses. Au-delà d’un délai d’un mois à compter de la signification du jugement, Google devra s’acquitter d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ou par manquement constaté vis-à-vis de cette obligation. Celle-ci ne vaut cependant que pour une durée d’un an.
Contacté, Google a refusé de nous indiquer s'il comptait faire appel.