Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) poursuit ses travaux sur la mission sur les œuvres transformatives (mashup, etc.). Un questionnaire a été adressé aux membres de cette instance rattachée au ministère de la Culture en préparation d’une vague d’auditions.
Faut-il créer une exception au monopole du droit d’auteur concernant les mashup et autres œuvres transformatives non commerciales ? La question avait été soulevée dans le cadre du rapport Lescure, lequel demandait au CSPLA de plancher sur le sujet. Sur le papier, la problématique est simple : est-ce qu’un mashup de plusieurs œuvres doit être protégé en tant que tel des revendications des ayants droit sur les bouts de cette mosaïque ? Pour l’heure, la gestion de ces revendications se fait selon le bon vouloir des ayants droit qui utilisent des systèmes de détection comme Content ID (système d’empreinte numérique) pour tracer ces reprises et exiger, s’ils le souhaitent, le retrait des contenus ou un partage des revenus.
En juillet dernier, Aurélie Filippetti emboîtait le pas au rapport Lescure pour réclamer une mission sur ces œuvres composées d’autres œuvres. En octobre, le CSPLA passait le relai à la juriste Valérie Laure Benamou, en proposant plusieurs pistes « telle que l’amélioration des procédures d’identification des ayants droit, la conclusion d’accords entre les sociétés de gestion collective et les plateformes de partage de contenus » ou encore « l’encouragement du recours aux licences libres » et en tout bout de course « l’extension éventuelle de certaines exceptions. »
Mashup, une mosaïque d’œuvres et de questions
La professeure des universités, assistée de Fabrice Langrognet, conseiller au tribunal administratif de Paris, va maintenant enclencher une série d’auditions collectives ou, sur demande, individuelles avec différents acteurs. À cette fin, le CSPLA a adressé un questionnaire pour flécher quelque peu les discussions au titre de cette mission « créations transformatives ».
Il s’agira d’abord de définir cette notion et ses principales caractéristiques. Spécialement, le questionnaire demande de définir les « difficultés » rencontrées à leur propos et surtout quelle est la politique de chacun lorsqu’une œuvre emprunte des éléments préexistants. « Cherchez-vous à obtenir les autorisations des auteurs des œuvres employées ? Si oui, comment procédez-vous ? Recherchez-vous les coordonnées des ayants droit pour un contact direct ? Passez-vous par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective ? Quelle est la nature de l’assistance offerte par ces sociétés ? Comment procédez-vous au paiement des redevances exigées ? Pourcentage, forfait ? Avez-vous essuyé des refus d’autorisation ou des acceptations soumises à des conditions excessives ? Comment faites-vous en sorte de respecter le droit moral des auteurs ? Avez-vous déjà eu recours à la théorie de l’abus de droit pour dépasser le refus d’autorisation opposé ? »
La problématique des licences d’exploitation
Le questionnaire pointe également l’épineuse question des licences d’exploitation attachées aux éléments de la mosaïque du mashup. « Utilisez-vous de manière préférentielle ou exclusive des œuvres mises en circulation dans le cadre de licences libres ? Quel type de licences employez-vous ? Veillez-vous effectivement au respect des termes de ces licences, et si oui, comment ? Utilisez-vous de manière préférentielle ou exclusive des œuvres faisant partie du domaine public ? Comment vous assurez-vous que c’est le cas (calcul de la durée ? éléments dépourvus d’originalité…) ? »
Autres interrogations, « Utilisez-vous des œuvres d’origine étrangère en considérant que le risque juridique est moindre ? Comment faites-vous pour vous défendre contre la reprise d’une œuvre transformative ? Quels sont les arguments opposés qui gênent cette défense (absence d’originalité, preuve de la titularité…) ? »
Exiger une loi ou se contenter de contrats
Point plus intéressant, le CSPLA se demande s’il est opportun de légiférer ou si on peut se contenter des pratiques contractuelles. Parmi les pistes, il envisage « un système d’allègement des autorisations au stade de la création ou de l’exploitation voire une vraie exception « permettant, dans certains cas de se passer de l’autorisation. »
Le sujet met également en mouvement « une inflexion du droit moral en cas d’œuvre transformative » tout en envisageant entrevoyant « une licence implicite d’utilisation » ou à défaut « un registre indiquant les autorisations requises et l’identité des ayants droit à contacter, un élargissement des missions des sociétés de gestion collective pour délivrer les autorisations » et « la promotion d’un système privé/public de métadonnées. »
Commercial ou non ?
La réponse donnée par cette instance du ministère de la Culture considère également de faire varier le régime juridique selon que l’exploitation est commerciale ou non. Une question intervient dans la foulée : « quel est, à votre avis, le critère d’une exploitation commerciale ou quel critère serait le mieux à même de rendre compte de cette dichotomie ? ». On peut déjà se demander par exemple si la présence de publicités autour du mashup devrait faire varier son traitement juridique. Le CSPLA se demande aussi s’il ne serait pas judicieux de tenir compte du critère de la source, selon que la mise à disposition de l’œuvre émane d’un particulier, d’un auteur, ou d’une société commerciale.
Des redevances sur les mash-up ?
Le Conseil plonge un peu plus dans le dédale de ce régime en s’interrogeant sur la problématique des licences. « Pensez-vous que la réutilisation d’œuvres préexistantes dans une œuvre transformative doit faire l’objet d’un paiement de redevances ? ». Là encore, les questions s’enchaînent sur le fait générateur du paiement, son assiette, le mode de rémunération (pourcentage du C.A. ou forfait).
De même, « auprès de qui pensez-vous qu’il faille percevoir la rémunération lorsque l’œuvre est utilisée sur des plateformes 2.0. ? Le créateur de l’œuvre transformative ? L’utilisateur qui propose sa diffusion ? La plateforme qui héberge les contenus ? La plateforme qui tire directement/indirectement des revenus de la mise à disposition de ces œuvres ? »
Quid enfin des reprises non autorisées ? « Faut-il prévoir des conditions spécifiques pour la défense des œuvres transformatives en cas de réutilisation non autorisée ? Si oui, lesquelles ? »
Ces questions, qui mettent en exergue la complexité de ce régime en gestation, vont servir de bases aux prochains échanges sous le toit de la Rue de Valois. Sur ce point, on se souvient que la SACEM, qui est membre du CSPLA, avait déjà freiné des quatre fers pour éviter tout emballement. Et pour cause, « la perspective d’une nouvelle exception est préoccupante, car elle pourrait permettre aux internautes de s’approprier des créations préexistantes dans des conditions injustifiées, de les transformer, avant de les remettre en circulation et les exploiter. »