Exclusif PC INpact. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon, Mireille Imbert Quaretta nous expliquait qu’elle débutait depuis peu ses auditions en préparation de son rapport contre la contrefaçon en ligne. PC INpact a pu obtenir le support envoyé aux personnes auditionnées. Un document intéressant puisqu’il dévoile les coulisses de la future régulation contre les sites de streaming, de direct download et des autres acteurs en ligne.
À Dijon, Mireille Imbert Quaretta nous avait donné quelques pistes sur son rapport contre la contrefaçon commerciale commandé par la ministre de la Culture. Le document est attendu pour le 15 janvier, soit quelques semaines avant les discussions, programmées, autour de la loi Création qui doit orchestrer le passage de relai de la riposte graduée de la Hadopi au CSA. Les auditions ont commencé depuis la mi-octobre. « MIQ », présidente de la commission de protection des droits, ne nous a pas caché sa volonté de proposer des outils pour certains rapidement opérationnels.
En préparation de ces auditions, Mireille Imbert Quaretta fait envoyer aux acteurs un support garni de questions qui laissent entrevoir la future régulation en ligne mise en musique par le ministère de la Culture. Sans détour, le document explique que MIQ va s’appuyer sur son précédent rapport contre le streaming et le direct download (téléchargement direct) de contenus illicites, sur lequel s’est lui aussi inspiré le rapport Lescure. Autant dire que ses préconisations seront toujours au goût du jour le 15 janvier prochain.
Une autorégulation, pistolet sur la tempe
Le premier rapport de MIQ proposait une armada d’outils afin de faire cesser les atteintes aux ayants droit. Ou du moins tenter. À cette fin, elle demande le concours actif des intermédiaires techniques (FAI, moteurs, hébergeurs), financiers (Paypal, etc.) et les acteurs du secteur de la publicité (régies). L’objectif est de mettre en place une autorégulation en rapprochant cet univers de celui des contenus, le tout sous l’œil d’une autorité publique (CSA, cyberdouane, Hadopi, etc.). Si les mesures patinent, cette autorité aurait la capacité de saisir le juge afin de contraindre par le droit ce qu’elle n’avait voulu accepter de sa main.
Parmi les pistes ébauchées lors de sa « Mission d’élaboration d’outils opérationnels permettant d’impliquer efficacement les intermédiaires techniques et financiers dans la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne » (ouf !), MIQ insiste sur la problématique de la réapparition des contenus en ligne. « L’un des problèmes principaux auxquels se heurtent les ayants droit est la réapparition des contenus supprimés après notification. Des solutions devraient dès lors être recherchées visant à permettre le retrait durable de contenus notifiés ».
Notification et retrait durable
MIQ envisage toujours la mise en place d’une procédure d’alerte en cas de manquements répétés (notifications de contenus illicites sur un site). L’autorité publique appuierait alors de tout son poids pour inciter à la généralisation « des pratiques de retrait durable volontaires déjà mises en œuvre (utilisation des technologies de reconnaissance de contenus). » En somme, un dispositif de filtrage permettant d’éviter le retour des contenus une première fois retirés.
Dans ce cadre, « l’autorité publique pourrait alors agir comme médiateur et accompagner la généralisation de dispositifs de reconnaissances de contenus auprès des plateformes objets de la procédure d’alerte et, le cas échéant et à l’issue d’une procédure contradictoire, tirer les conséquences des comportements des plateformes non diligentes. Ainsi, en cas d’échec de la médiation, le site non diligent serait inscrit sur un index dédié, qui pourrait servir de socle à l’implication des intermédiaires techniques, financiers ou des acteurs de la publicité en ligne ».
En somme, soit le site coopère, soit l’autorité publique agit auprès des intermédiaires (hébergeurs, Paypal, etc.). Au besoin, cette autorité pourrait saisir le juge sur le fondement d’un article L.336-2 CPI remodelé, qui permet d’exiger la mise en œuvre de toute mesure à l’égard de toute personne afin de faire cesser et même prévenir l’atteinte à un droit.
Pour ses auditions et donc son futur rapport, MIQ demande justement l’avis des acteurs entendus (la liste n’est pas encore connue, même si on sait que Visa fait partie du lot). Elle envisage déjà quelques dispositions musclées : « agents assermentés pouvant s’inscrire à des plateformes de contenu sous pseudonyme, droit de communication de documents, saisine du juge, etc. »
Parmi les indices qui permettraient de savoir à partir de quand une plateforme « n’a pas fait preuve de diligence » et risque donc des mesures plus énergiques, MIQ esquisse « la non mise en œuvre de technologies de reconnaissance de contenus à partir d’empreintes, la non mise en œuvre de mesures de restrictions d’accès territoriales, la fréquence des réapparitions des contenus. »
Elle demande aussi aux acteurs auditionnés s’ils verraient « des difficultés, notamment techniques, à la généralisation des technologies de reconnaissance des contenus déjà utilisées, dans le cadre d’accords entre ayants droit et plateformes ». Une fois un contenu retiré, elle demande aussi quel pourrait être le périmètre du « stay down », c'est-à-dire la période durant laquelle le même contenu ne peut plus être reposté sur tel site. Elle envisage aussi bien un filtrage limité à un fichier ou un contenu. Pour les sites de référencement, elle envisage un blocage de mots clés, voire un blocage du nom de domaine d’un site de contenu.
Mise à l’index
MIQ veut inciter également les intermédiaires « à prendre des mesures adaptées vis-à-vis des sites ayant fait l’objet d’une procédure d’alerte pour faire cesser les actes illicites et en les accompagnant dans cette démarche ». Mieux : « la même démarche devrait pouvoir être poursuivie à l’égard des réseaux organisés de pair à pair ». Ceux qui traineraient de la patte se verraient inscrits sur une liste noire qui sera traitée auprès des autres acteurs : « L’index des sites non diligents pourrait être communiqué notamment à des intermédiaires, financiers ou aux acteurs de la publicité qui auraient signé des chartes de bonne conduite sous l’égide de l’autorité publique en les incitant à prendre des mesures adaptées à l’égard des sites. »
MIQ veut donc inciter à l’adoption d’un « droit mou », décidément à la mode et qu’on retrouve dans une consultation du ministère de la Culture. Au-delà de cette auto-régulation des acteurs, elle ne ferme cependant pas la porte à une modification des normes, françaises et/eu européennes si besoin était. C’est en tout cas la question soulevée dans son support d’audition.
Face aux moteurs, elle demande d’ailleurs « quelles mesures préventives et/ou curatives pourraient être prises par ces acteurs ? ». Parmi les idées qui trottent en tête, le blocage par mot-clef, le déréférencement des offres non licites, et le surrréférencement de l’offre légale. « Seriez-vous disposé à signer une charte et à quelles conditions ? » pose l’actuelle présidente de la commission de protection des droits qui rêve déjà d’un joli bonus : « estimez-vous que des dispositions légales devraient être introduites pour prévoir que la responsabilité des moteurs de recherche ne pourrait être engagée pour les mesures prises dans le cadre d’une telle charte ? ». En somme, voilà un droit mou qui se durcit et là encore tout est fait pour inciter très fortement les acteurs à s’engager dans le nettoyage volontaire.
Blocage par DNS, IP, filtrage dans les navigateurs
Pour les FAI, elle table toujours sur plusieurs pistes se demandant notamment si une forme de blocage (DNS, IP, combinaison, etc.) devrait être imposée. Autre question, « pensez-vous que des mesures préventives et/ou curatives pourraient être prises par les « hébergeurs au niveau infrastructure », les opérateurs de nommage, les éditeurs de navigateurs et/ou par d’autres acteurs et, le cas échéant, dans quel cadre ? »
Pour les opérateurs de paiement (« follow the money »), là encore MIQ reprend encore et toujours sa base de travail. L’enjeu est d’inciter les établissements financiers à couper les vivres de ceux qui vivent de la contrefaçon commerciale. « Si ces mesures devaient s’appuyer sur une charte de bonne conduite, quels intermédiaires de paiement devraient signer ladite charte pour qu’elle ait le meilleur impact possible ? Que devrait prévoir la charte ? Quid de la suspension des paiements et leur placement sous séquestre ? De la suspension temporaire des relations contractuelles avec le site litigieux voire la résiliation ? Concrètement, comment seraient mises en œuvre les mesures prévues par la charte ? »
Une charte signée avec non loin, une menace claire et nette. « Estimez-vous que des dispositions légales devraient être introduites pour prévoir que la responsabilité des intermédiaires de paiement ne pourrait être engagée pour les mesures prises dans le cadre d’une telle charte ? » (Même démarche pour les acteurs de la publicité en ligne).
Empêcher la réapparition d’un contenu bloqué par le juge
La présidente de la CPD rappelle aussi son vif intérêt pour empêcher la réapparition d’un contenu déjà bloqué par le juge (l’actuel dossier Allostreaming est évidemment surveillé comme le lait sur le feu). « Quel suivi des mesures de blocage prononcées par le juge pourrait être envisagé sous le contrôle de l’autorité publique ? »
Enfin, le périmètre de l’article L335-2-1 du CPI, fruit de l’amendement Vivendi, pourrait bien être redéfini. Celui-ci permet de condamner celui qui édite ou diffuse d’une manière ou d’une autre un logiciel « spécialement destiné à la mise à disposition du public non autorisée » d’œuvres ou d’objets protégés. MIQ voudrait ainsi que cet article soit étendu aux sites internet « manifestement destinés à commettre des actes de contrefaçon ». « La redéfinition du périmètre de l’article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle pour y inclure les services de communication au public en ligne manifestement destinés à commettre des actes de contrefaçon et y incitant vous semble-t-elle nécessaire ? » demande-t-elle, avant une dernière question : « Quelles seraient les garanties à apporter pour veiller à ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication sur internet ? »