Open Data : « La France n’aura aucune difficulté à rejoindre les États-Unis »

Interview du rapporteur Trojette

Mohammed Adnène Trojette, auteur du rapport remis officiellement cette semaine au Premier ministre au sujet de l’Open Data, a accepté de répondre aux questions de PC INpact.

Mohammed Adnène Trojette

C’est ce mardi que Mohammed Adnène Trojette, ingénieur et magistrat auprès de la Cour des comptes, a dévoilé son rapport sur l’Open Data : « Ouverture des données publiques. Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ? » (le rapport est disponible ici, et ses annexes là). Après plusieurs mois de travail, ce haut fonctionnaire explique aux pouvoirs publics qu’il est urgent d’effectuer une transition vers de nouveaux modèles économiques. Il préconise notamment lever ces barrières que sont les redevances réclamées par l'administration aux réutilisateurs de certains jeux de données publiques. En lieu et place, le rapporteur appelle de ses voeux l’expérimentation de « modes de financement alternatifs, notamment coopératifs ».

Deux récents classements ont démontré que la France était à la traîne en matière d’Open Data, notre pays étant parfois situé derrière des États tels que la Moldavie ou la Bulgarie. Qu’est-ce que cela vous a inspiré ?

Je pense qu’un vent de l’Open Data s’est élevé en France. C’est quelque chose qui est visible. Il y a beaucoup d’administrations qui ont mis des données publiques gratuitement sur « data.gouv.fr ». Les comparaisons internationales qui figurent dans le rapport mettent en avant que la France est très attendue sur ce sujet et qu’elle est considérée comme ayant un très fort potentiel en la matière.

Mais cela vous a-t-il surpris ?

En fait, cela dépend de l’angle d’attaque du classement. Si l’on souhaite mettre en évidence le fait que le Royaume-Uni et les États-Unis sont en avance, c’est quelque chose d’indéniable. Mais de toute façon, la France a les moyens de se classer avec ces deux pays.

Justement, comment la France pourrait-elle s’y prendre pour rattraper son retard ?

Comme l’identifie en particulier le classement de l’Open Knowledge Foundation, il y a un certain nombre de domaines dans lesquels la France dispose de données publiques - des données publiques de qualité - avec des administrations compétentes et dont les compétences sont reconnues ici comme à l’étranger. Il y a probablement des voies et perspectives pour faire en sorte que les modèles économiques de mise à disposition de ces données publiques soient plus justes pour les citoyens, plus favorables à l’innovation, mais aussi plus rentables pour l’administration. En faisant évoluer ces modèles économiques conformément aux orientations qui sont précisées dans le rapport, je pense que la France n’aura aucune difficulté à rejoindre le Royaume-Uni et les États-Unis.

À travers votre rapport, vous défendez vivement le principe de gratuité des données publiques. Or, on a l’impression que ce principe est porté haut et fort de longue date par l’exécutif. Qu’est-ce qui explique ce décalage ?

Il peut y avoir plusieurs explications. Ce décalage que vous constatez, je le vois plutôt comme une continuité parce qu’il y a un effort de pédagogie à faire aussi bien au niveau de l’opinion publique que des administrations. Progressivement, les administrations (l’INSEE, l’IGN,...) prennent conscience de l’enjeu. C’est un effort qui est continu et qui est toujours en cours.

Pour reprendre le titre de votre rapport, quelles sont aujourd'hui les exceptions au principe de gratuité qui ne sont pas légitimes ?

Le rapport se concentre sur un certain nombre de types d’exceptions qui ne sont pas légitimes. Lorsqu’une redevance sert à financer une activité de service public, on peut s’interroger, plus que sur la légitimité de cette redevance, sur sa légalité ! Pour parler très clairement, le salaire d’un fonctionnaire ne peut pas être payé par une redevance, mais par le budget de l’État.

Avez-vous des exemples de telles redevances à nous donner ?

Il faudrait que je me replonge dans les détails du rapport...

Quels sont les freins à la disparition des redevances ?

Les freins sont de plusieurs ordres. Le premier est budgétaire, en ce qu’il y a un certain nombre d’administrations qui dépendent de ces redevances pour équilibrer leur budget. C’est le cas notamment de certains opérateurs dont le métier est de produire et collecter des données publiques. C’est compliqué de leur demander du jour au lendemain, en un claquement de doigt, de se passer de cette ressource.

 

Ensuite, il y a des difficultés techniques qui sont liées à la maturité des technologies permettant de mettre à la disposition de manière efficace ces données publiques. Une fois que l’on arrive à utiliser des technologies matures, à ce moment là une stratégie de plateforme peut se déployer et c’est ce que j’appelle de mes vœux dans mon rapport. L’objectif est de faire en sorte que l’État, les administrations publiques en général, mettent à disposition une interface où se rassemblent toutes les forces vives afin de contribuer à l’amélioration continue du service public.

La suppression de certaines redevances, comme semble l’envisager le Premier ministre, suffirait-t-elle à ce que la France rattrape son retard ?

Je pense qu’en mettant en place des modèles économiques innovants et plus justes, la France pourra rattraper son retard sans difficulté. Il faut bien insister sur la dimension « nouveaux modèles », parce qu’en supprimant les redevances, l’on met en difficulté des administrations qui ont besoin d’être accompagnées pour mener à bien cette évolution. Par ailleurs, les nouveaux modèles n’ont pas pour objectif final de mettre des barrières, mais au contraire de faire en sorte que l’innovation soit favorisée et que l’administration voie aussi les fruits de son investissement dans la mise à disposition des données publiques.

Comment expliquez vous que le reflexe « Open Data » soit si compliqué à acquérir ?

Je ne pense pas que le réflexe soit compliqué à acquérir au niveau de l’administration. Mais à côté de ça, il y a quand même des difficultés techniques, doublées par des difficultés budgétaires que tout le monde connaît. L’idée, maintenant, c’est d’identifier les leviers qui nous permettront de dépasser ces difficultés techniques et de dégager des marges de manœuvres qui feront que l’ouverture des données publiques améliorera la situation pour la société en général et l’administration en particulier.

Comment pourrait-on inciter les administrations à davantage libérer leurs données ?

À mon avis, le principal levier c’est le fait d’accompagner les administrations, de les rassurer dans cette démarche. L’objectif, c’est bien de moderniser l’action publique, et ce en faveur de la transparence. La confiance est quelque chose qui va dans les deux sens. Il faut donc faire en sorte que le citoyen ait confiance en l’action publique et que l’administration ne craigne pas que les données soient utilisées pour fragiliser les institutions républicaines.

Cet effort d’accompagnement semble pourtant mené depuis plusieurs années par la mission Etalab, ou plus récemment au travers du vademecum du Premier ministre. Est-ce que ce genre d’initiatives a amélioré le mouvement d’ouverture des données publiques ?

Oui, c’est indéniable. Ce genre de chose a favorisé la démarche parce que les administrations ont de plus en plus spontanément le réflexe de l’ouverture des données publiques. La mission Etalab est d’ailleurs identifiée comme un interlocuteur pour cet accompagnement.

Quand on voit que Regards Citoyens affirme avoir proposé depuis plusieurs années les modèles de financement alternatifs que vous appelez de vos vœux, n’avez-vous pas peur que cette option reste dans les cartons ?

Je pense qu’il s’agit peut-être d’une proposition innovante, mais ce que je propose c’est d’expérimenter. L’expérimentation permettra de s’assurer des modalités de mise en œuvre d’une telle proposition. Avec un petit peu de temps et une expérimentation, l’on arrivera à la mettre en œuvre de la manière la plus efficace qui soit, autant pour la société civile que pour les administrations.

Peut-on savoir ce que vous a dit le Premier ministre hier, lorsque vous lui avez remis votre rapport ?

C’est un sujet qui tient à cœur au Premier ministre, qui sera attentif à ses évolutions. Le gouvernement s’en est saisi pour y donner les suites dans les semaines et mois qui viennent.

Ne sera-t-il pas trop tard, étant donné que vous soulignez l’urgence de la situation dans votre rapport ?

La situation est urgente mais les administrations ont souvent largement engagé leur réflexion voire, dans certains cas, leurs mutations.

Vous a-t-il parlé des suites qu’il comptait y donner ?

Pas avec moi. Je me suis consacré à l’analyse des enjeux et du contexte. J’ai essayé de faire en sorte de mettre les chiffres sur la table pour objectiver le débat. Ensuite vient le temps de la décision et une fois qu’elle sera prise, je pense que vous connaîtrez les résultats.

 

Merci Mohammed Adnène Trojette.

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