Hier, la députée Isabelle Attard a relancé le débat Hadopi face à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti. « J’ai du mal à vous suivre, a égratigné la parlementaire EELV. Il y a maintenant plus de quatre mois, vous avez annoncé dans un communiqué de presse la suppression de l’HADOPI et le transfert de la riposte graduée au CSA. Aujourd’hui, nous débattons du budget de la mission Livre et Industrie Culturelle, où se trouvent 6 millions d’euros attribués à l’HADOPI ».
En commission étendue (vidéo), dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, la députée écologiste faisant référence au succès de la série « The Walking Dead » où « de nombreux zombies parcourent les rues », a demandé à la ministre si elle croyait vraiment « que notre république a besoin d’institutions mortes-vivantes pour bien fonctionner ? ».
Au contraire, pour la parlementaire, dont les propos rappellent ceux d’Aurélie Filippetti en 2009, il serait bon d’arrêter les frais : « le mécanisme de riposte graduée a eu amplement le temps de démontrer son inefficacité. Cette Haute autorité a même abandonné d’elle-même une partie de ses missions. Elle a annoncé que la définition et labellisation de « logiciels de sécurisation » était trop compliquée pour elle. « Compliqué » veut dire « impossible technologiquement », en fait. »
Pokemon et légalisation de l'EPO
Dans le même temps, elle marque sa surprise de cette mission sur la légalisation du partage non marchand dont s’est auto-saisie l’autorité publique indépendante. « J’ai eu beau chercher, je ne parviens pas à trouver un rapport avec ses missions officielles. Il ne s’agit pas de l’observation de l’utilisation des œuvres, ni de la lutte contre le piratage, ni de la régulation des mesures techniques de protection des œuvres. Imaginez ce qui se passerait si demain, d’autres autorités administratives indépendantes décidaient de s’attribuer des missions hors du cadre légal qui les a créées… ». Et celle-ci de se moquer, imaginant l’agence française de lutte contre le dopage qui « lancerait une mission de légalisation de l’EPO. L’Autorité des Marchés Financiers [qui] étudierait le phénomène de troc de cartes Pokemon dans les cours de récréation. L’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires lancerait une mission sur la pertinence de la suppression des aéroports », etc.
La seule réussite de la Hadopi
Selon Isabelle Attard, il y a un bien bonus-malus à accrocher au pare-choc arrière de la haute autorité. « La seule réussite d’HADOPI, c’est d’avoir éloigné les internautes des systèmes d’échanges pair-à-pair. Ce sont pourtant les systèmes qui étaient les moins susceptibles de provoquer des engorgements des réseaux qui constituent Internet. Ils ont été remplacés, entre autres, par le streaming, le téléchargement direct et les seedbox. Ces systèmes sont pourtant bien plus profitables à des organisations peu regardantes sur la légalité de leurs activités, et qui en retirent de grands bénéfices. La HADOPI a étudié la possibilité de surveiller ces échanges aussi. Alors qu’il est évident que leur pénalisation provoquerait une nouvelle mutation technologique. »
Plutôt que d’inciter au développement et au financement de logiciels de surveillance des réseaux, alors que l’actualité « nous démontre quotidiennement la nocivité de ces technologies », elle recommande « tout simplement de distribuer le budget de la HADOPI aux artistes. Les mécanismes de redistribution ne manquent pas, et nous sommes persuadés que les créateurs accueilleront avec plaisir ces 6 millions d’euros. »
Le transfert est arbitré
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, Aurélie Filippetti lui a répondu dans le mode du minimal syndical. Si le budget avait été raboté, s'est-elle contentée de dire, c’est tout simplement pour permettre à l’institution de survivre « dans l’attente du transfert des missions et de la réponse graduée vers le CSA ». La ministre assure en tout cas que ce mécanisme sera bien transféré « conformément à l’arbitrage qui a été rendu ». Quand ? « Au cours de la prochaine loi sur la Création ». Si la Hadopi peut continuer son travail, dont l'envoi massif d'avertissements, sans mettre en péril son financement, c'est grâce à « un certain nombre de réserves » (fonds de roulement). La ministre garantit en tout cas aux parlementaires que « nous avons une perspective très nette en matière de transfert de la réponse graduée et donc d’évolution à venir vers le CSA ». Parole d'ancienne opposante au texte.
Mic-mac budgétaire entre la Hadopi et le CSA ?
Revenant sur la diminution du budget de la Hadopi de 8 à 6 millions, Lionel Tardy a lui demandé si cette baisse serait réalisée justement en prévision du transfert au CSA. « Y-a-t-il d’ores et déjà un transfert budgétaire vers le CSA en prévision de cette fusion ? ». Et le député de Haute Savoie de demander des précisions sur le calendrier de ce passage de relai. « Il n’y a pas de transfert de crédit de la Hadopi vers le CSA, lui a rétorqué Filippetti. C’est une diminution rendue possible par une mesure d’économie budgétaire. »
Lors des rencontres cinématographiques de Dijon, Aurélie Filippetti nous avait expliqué qu’elle souhaitait que cette loi sur la Création soit déposée avant le mois de février (notre actualité), « c'est-à-dire avant la pause de l’Assemblée nationale pour les élections municipales ». Et pour cause, « le calendrier parlementaire est surchargé, nous avons du mal à trouver des fenêtres sur les sujets Culture puisque chacun veut faire passer ses textes. Le problème est qu’il y aura cinq semaines de pause avant le rendez-vous municipal, il y a donc encombrement ». Selon l’ancienne opposante à la Hadopi, le débat se fera sous une procédure normale, et non une procédure d’urgence, laquelle aurait considérablement limité les discussions entre l’Assemblée nationale et le Sénat.