En fin de semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi sur l’Indépendance de l’audiovisuel. Au fil de la discussion, la régulation des contenus culturels en ligne a été approchée, sans que le transfert de la réponse graduée au CSA n’ait été remis sur le tapis.
La députée EELV Isabelle Attard
En commissions mixtes paritaires, les députés ont finalement adopté sans changement l’ensemble du projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel. Si le texte consacre plus d’indépendance dans les nominations au sein de cette autorité publique, il permet aussi au CSA de muscler son influence sur les réseaux.
Déclaration préalable, juge-arbitre des différends
Selon Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes, cette régulation « modernisée [est] adaptée à l’ère du numérique ». Le remplaçant en séance d’Aurélie Filippetti cible notamment l’obligation de déclaration préalable qui pèsera à l’avenir sur l’ensemble des services de médias audiovisuel à la demande (ou SMAD, soit VOD, TV de rattrapage en ligne, etc.). Ce n’est pas tout. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel pourra aussi « régler les différends portant sur la distribution de ces services » en ligne.
Cette capacité à connaître l’intégralité des SMAD ne permettra pas seulement au CSA d’avoir un puissant outil statistique. C’est aussi une condition préalable à la mise en musique d’autres préconisations du rapport Lescure. Celui-ci compte en effet inciter les plateformes à caresser l’exception culturelle dans le sens du poil (surréférencement des œuvres européennes ou françaises, participation financière, etc.). En devenant juge des litiges entre les acteurs des contenus en ligne (édition, distribution), il pourra aussi influencer de tout son poids pour pousser ces mêmes plateformes dans ce sens.
Face à ces nouveaux pouvoirs, la députée EELV Isabelle Attard fait part de ses doutes et ses craintes. « Les nouvelles obligations faites aux services de médias audiovisuels à la demande, notamment le dépôt d’une déclaration préalable au CSA, nous interpellent. Par définition, le réseau internet est mondial. »
Pas assez de débats
Cette obligation de déclaration préalable n’a plus eu beaucoup d’opposition entre les parlementaires, contrairement à ce que nous avions vu en amont de la procédure législative. En Commission mixte paritaire, seul finalement le sénateur Jean-Pierre Leleux s’est dit « défavorable à cette disposition » au motif que « la question des services de télévision et de médias audiovisuels à la demande [n’a] pas été suffisamment débattue au sein de nos assemblées ».
David Assouline, rapporteur du texte au Sénat, avait tenté durant les débats de soulager ces inquiétudes : « Il ne s’agit pas d’un contrôle a priori, mais de la fixation de règles minimales. Les réflexions menées dans le présent projet de loi ne visent absolument pas à instituer une forme de « gendarme de l’Internet », risquant de se transformer en néo Big Brother. »
Pas de contrôle a priori ? Il pèse à ce jour une série d’obligations sur les épaules des SMAD : protection des mineurs avec notamment un dispositif de signalétique, obligation d’isoler les programmes « déconseillés ou interdits aux mineurs de 18 ans » dans un espace verrouillé, soutien à la création pour les plus gros acteurs du secteur, etc.
Les critiques des acteurs du web
L’Asic, qui rassemble Google, Facebook et d’autres géants, avait du coup émis de fortes réserves à l’encontre de cette future obligation déclarative. « Demain, ce sont les blogueurs, les sites de e-commerce, les journaux en ligne, les jeunes créateurs, tous ces acteurs qui ont décidé d’avoir recours à la vidéo pour faire usage de leur liberté d’expression, qui vont se retrouver soumis à une censure préalable ». Justement. A ce jour, la directive e-commerce interdit de conditionner les activités des prestataires en ligne à un mécanisme d’autorisation préalable ou ayant « un effet équivalent ». Pour les acteurs du web, nous sommes effectivement dans le cadre de « l’effet équivalent » au regard du nombre d’obligations pesant sur les SMAD.
Au Sénat, cependant, David Assouline a repoussé par anticipation ces critiques estimant que « la déclaration constitue une simple mesure d’information de l’autorité auprès de laquelle cette formalité doit être accomplie, sans qu’elle puisse, de ce seul fait, s’opposer à l’exercice de l’activité en question. Il ne s’agit donc pas d’une exigence contraignante ou restrictive de liberté, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 juillet 1971, à propos de la liberté d’association. »
Une mesure qui « porte en elle de nombreux dangers »
Lors des discussions en commission mixte paritaire, Isabelle Attard a pour sa part souligné que la régulation des contenus d’Internet par le CSA, une des préconisations du rapport Lescure, « porte en elle de nombreux dangers ». Elle souligne ainsi que « les écologistes seront très attentifs à ce qu’une législation modifiant les missions du CSA ne vienne pas restreindre indûment les libertés individuelles des citoyens qui utilisent internet ». Si le socialiste Marcel Rogemont temporisera (« Ce n’est pas la NSA, tout de même ! »), la députée fera ce petit rappel : « n’oublions pas que ce moyen de communication est le premier à rendre effectif le principe de liberté d’expression, deux cents ans après sa définition dans la loi par les révolutionnaires de 1789. »