Surveillance : la France échangerait avec les États-Unis depuis des années

Une Bricq dans la mare

Les différents rebondissements de l’affaire Prism, suite aux révélations d’Edward Snowden, ont tourné les regards vers la surveillance imposée par les États pour les besoins de la lutte antiterroriste. Alors que le Monde avait déjà révélé en partie le programme de la DGSE en la matière, des propos récents de la ministre du Commerce extérieur montrent que le gouvernement français était au courant des activités de la NSA.

France

Crédits : Eric delcroix, licence Creative Commons

À l’ombre de Prism et de la NSA 

Depuis plusieurs mois, les documents dérobés par Edward Snowden dessinent un portrait toujours plus précis de la surveillance imposée par la NSA au reste du monde pour des besoins de lutte antiterroriste. Infrastructure titanesque, budgets secrets, récupération des données et métadonnées, tribunal secret, cartographie complète des contacts ou encore répercussions politiques avec la Russie, l’Amérique du Sud et l’Europe : les révélations sont nombreuses.

 

Et dans l’Hexagone ? Le Monde révélait en juillet que la France possédait une « infrastructure de mutualisation », un Prism fonctionnant sur une base relativement différente. En effet, la loi américaine est très claire : la section 702 de la FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) stipule clairement que la surveillance ne peut se faire que sur des données étrangères lorsqu’elles transitent par des serveurs au sein des frontières. En France, selon le Monde, c’est bien l’ensemble des communications (emails, téléphones…) des Français qui seraient ainsi passés au crible.

« On sait très bien que l’intelligence économique ça existe » 

Le gouvernement n’a officiellement jamais confirmé ou même communiqué sur la question. Il est aisé de se douter que la France possède une infrastructure pour sa propre lutte contre le terrorisme, voire que l’État collabore activement avec certains pays pour échanger des informations sensibles. Cependant, le passage récent de la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, devant les caméras de TV5 Monde, a apporté quelques bribes de réponses.

 

 

Interrogée sur la question de la surveillance américaine, et en particulier sur ce que savait exactement le gouvernement français, la ministre répond : « On sait très bien que l’intelligence économique ça existe ». Elle martèlera « ça existe » avant de confirmer que l’important est d’être « à armes égales ». Elle souhaite visiblement un discours posé puisqu’elle affirme ne pas pousser des « cris d’orfraie », ajoutant que ces derniers ne servent à rien et qu’il « faut agir ».

 

La ministre rappelle qu’à son arrivée à Bercy, elle avait demandé un rapport sur l’intelligence économique à Claude Revel, devenue depuis déléguée interministérielle à cette même intelligence économique, après que Jean-Marc Ayrault a pris « les choses au sérieux ». Les mots choisis par Nicole Bricq sont particulièrement éloquents. Elle parle ainsi de « nos alliés américains », un titre qui ne doit rien au hasard, quelques jours après le coup de fil de François Hollande à Barack Obama pour la mise en place d’un accord bilatéral sur la surveillance électronique.

« Nous ne sommes pas dépourvus en la matière »

Nicole Bricq ne tarde pas à justifier ce qu’elle entend par « à armes égales » : « Parce que quand vous discutez avec quelqu’un, quand vous négociez avec quelqu’un, il vaut mieux quand même qu’on soit à armes égales ». Et comme le journaliste insiste sur la possibilité pour la France d’espionner les autres pays, elle n’hésite pas à répondre : « Mais j’espère bien que l’on se défend ! J’espère bien que quand je parle d’intelligence économique, on sait ce qui se passe chez les autres ».

 

La ministre était toutefois arrivée au bout de ce qu’elle avait l’intention de révéler. Interrogée en effet sur d’éventuels détails pour préciser sa pensée, elle indique ne « pas avoir d’informations », mais ajoute : « je trouve qu’un grand pays comme la France doit aussi avoir son outil concernant… C’est pour ça que je vous parle de l’intelligence économique ». Elle réaffirmera d’ailleurs quelques secondes plus tard : « Nous ne sommes pas dépourvus en la matière ».

Nouvel éclairage sur d'anciens discours 

Le problème de cette interview est qu’elle met en évidence une série de réactions gouvernementales qui ne sont clairement plus alignées avec le discours très pragmatique de la ministre. Réaliste lorsqu’elle aborde les « cris d’orfraie », elle épingle pourtant son propre gouvernement puisque les réactions indignées ont plu chez plusieurs ministres, notamment Laurent Fabius, aux Affaires étrangères. François Hollande lui-même avait vertement critiqué l’attitude américaine, tout comme Angela Merkel en Allemagne.

 

Et le contexte a toute son importance. On apprenait ainsi la semaine dernière que le président français avait téléphoné à son homologue américain pour discuter de la surveillance exercée par les États-Unis. Comme l’a confirmé la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, il a ainsi été question d’une collaboration bilatérale pour un échange régulier d’informations sur la lutte antiterroriste. Il n’est pas question de faire cesser la pratique, simplement d’en tirer parti.

Lustre, la connexion avec les Five Eyes 

En outre, le langage de la ministre évoque clairement une connaissance du sujet dans les plus hautes instances. Un constat que vient renforcer des révélations faites par un quotidien allemand qui soulignait ce week-end le rôle « ambigu de la France dans le cadre des activités de surveillance ». Sous le nom de code « Lustre », la France disposerait ainsi de son propre programme de surveillance, possédant par ailleurs un lien privilégié avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Australie. Et si ce regroupement de cinq pays est évocateur, c’est que nous l’avons abordé plusieurs fois dans nos colonnes : ce sont les Five Eyes, pays anglo-saxons liés par un accord d’échanges d’informations sur la lutte antiterroriste.

 

De là, il est aisé de sauter à l’étape suivante : l’échange secret d’informations sensibles car personnelles. On rappellera ici qu’un mémorandum dérobé par Edward Snowden montrait le mois dernier que les États-Unis envoyaient des données brutes en Israël, la NSA communiquant directement avec son équivalent. Ces données brutes causaient d’évidents problèmes de respect de la vie privée car des données de citoyens américains y étaient agrégées. L’agence israélienne du renseignement avait alors pour consigne de ne pas en tenir compte.

Des connexions troublantes 

Et nos confrères de Reflets.info notent de leur côté une série de points troublants. Par exemple, le rapport demandé par la ministre sur l’intelligence économique l’a été à Claude Revel. Or, la même Claude Revel est directrice de son propre cabinet d’analyse spécialisé dans l'intelligence internationale professionnelle, IrisAction. Ils notent également le rôle joué par Bull-Amesys, dont les technologies sont fortement utilisées dans le monde de la surveillance. Or, l’un de ses actionnaires est la Banque Publique d’Investissement, dirigée par Ségolène Royal, et l’un de ses plus gros clients est le Maroc, dont le roi avait pour conseillère Najat Vallaud-Belkacem avant qu’elle n’entre au gouvernement Ayrault.

 

Reflets.info aborde d’ailleurs la véritable question : pourquoi les États-Unis s’intéresseraient-ils à un tel accord bilatéral ? Nos confrères ont ressorti l’un des premiers diaporamas de Prism, qui exposait les canaux de communications entre les principaux continents. On y voyait clairement la bande passante entre l’Amérique du Nord et le reste du monde, avec une communication privilégiée vers et depuis l’Amérique Latine ainsi que l’Europe. Cependant, ce n’est pas le cas avec le continent africain, dont le plus gros lien est avec… l’Europe.

 

prism

 

 

Les choses iraient même encore plus loin : en dépit des propos de François Hollande, l’accord « Lustre » aurait en fait été négocié depuis plusieurs années avec les États-Unis d'après le quotidien allemand. L’accord bilatéral existerait donc déjà, aurait été mis en place durant le mandat de Nicolas Sarkozy et le président actuel ferait donc « semblant » de l’instaurer. Objectif ? Tirer parti d’une situation trouble pour légitimer un accord secret déjà existant.

 

Notez que nous avons contacté la CNIL ainsi que le bureau de la ministre Nicole Bricq pour obtenir des informations ainsi que des réactions complémentaires. À l’heure actuelle, nous n’avons pas encore reçu de réponse.

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