Le 24 et 25 octobre, le Conseil européen organisera une discussion autour de l’économie numérique. L’institution, qui réunit les chefs de l’État ou de gouvernement des états membres, a déjà esquissé les pistes de cette réunion. Il s’agira notamment de « formuler des orientations visant à l'achèvement du marché unique numérique d'ici 2015 ». La France a d’ores et déjà dévoilé ses pistes de réflexion où se mêlent, entre autres, promotion d’un internet non discriminatoire et soutien de la culture face aux acteurs du numérique.
En préparation de ces travaux, l’Élysée a déjà fait connaitre sa contribution à cette réunion. Les propos ratissent larges, sans éviter les poncifs : « Afin de créer des emplois, de favoriser l’innovation et le développement de services numériques et d’infrastructures, de garantir des règles du jeu équitables, l’Union européenne doit se doter d’une stratégie volontaire et efficace pour devenir un acteur majeur dans la compétition mondiale et de ne pas subir les évolutions technologiques et économiques venues d’autres continents ». Le financement des start up, la question de la normalisation, ou le sujet de la surveillance des réseaux par la NSA devraient également faire l'objet de discussions à cette occasion.
Un internet ouvert et non discriminatoire
Cependant à y regarder de plus près, l’exécutif français se veut déjà l’étendard d’un internet ouvert et non discriminatoire, jugé comme « une condition indispensable pour promouvoir l’innovation en Europe, le développement de nouveaux services et le respect des valeurs fondamentales de l’Europe ». François Hollande prône ainsi une régulation des plateformes de services et d’applications « pour garantir un accès ouvert aux services et utilisateurs d’Internet et permettre l’émergence d’acteurs européens de niveau mondial », considérant que « les conditions d’accès, de transparence et de non-discrimination devraient être définies dans ce contexte. »
Ces termes rappellent le rapport du Conseil national du numérique sur la neutralité des réseaux. « La neutralité des réseaux de communication, des infrastructures et des services d’accès et de communication ouverts au public par voie électronique garantit l’accès à l’information et aux moyens d’expression à des conditions non discriminatoires, équitables et transparentes » dit le document qui veut inscrire ce concept dans le cadre de la loi de 1986 sur la liberté de communication laquelle décrit les pouvoirs de sanction du CSA.
Dans son rapport sur l’exception culturelle, Pierre Lescure demande justement grande place au CSA pour la régulation du net. Page 161, il milite même pour une priorisation de l’accès aux plateformes les plus généreuses avec l’exception culturelle. « Une priorité dans la gestion des débits pourrait même être envisagée, sous le contrôle de l’ARCEP et dans le respect des règles qui seront adoptées concernant la neutralité du net ». Invitation à laquelle le régulateur a répondu avec quasi bras d’honneur : « L’ARCEP ne laissera pas faire ce hold-up de la priorisation de trafic sur internet » (Jean-Ludovic Silicani, colloque annuel de l’Autorité).
Soumettre à l‘impôt les transferts de données hors UE
La France demande également à ce qu’une autre institution européenne, la Commission, revoie les règles fiscales en vigueur afin de soumettre à l’impôt les entreprises du numérique qui réalisent un profit en Europe. Entre les lignes, ce sont bien entendu les GAFA, Google, Amazon, Facebook et Apple qui sont dans le viseur, alors que ces entreprises multiplient les astuces fiscales pour passer entre les mailles du filet, comme d’ailleurs toutes les entreprises mêmes non liées au numérique.
Inspiré par le rapport Collin et Colin, Paris réclame « un rapport sur la possibilité de soumettre à une contribution les transferts de données hors d’Europe ». Le rapport sur la fiscalité du numérique recommandait pour sa part de revoir les règles du droit fiscal : celui-ci accepte depuis longtemps de relocaliser en France les entreprises étrangères qui y ont un « établissement stable ». Pour la définition de ce principe, Colin et Collin voudraient qu’on tienne désormais compte « du rôle central joué par les données et le « travail gratuit » des utilisateurs ». À ce jour, ces variables « ne sont pas pris en compte aujourd’hui dans les raisonnements fiscaux – alors même qu’ils sont au cœur de la création de valeur. »
Propriété intellectuelle : TVA réduite...
Sur le terrain de la propriété intellectuelle, Paris sollicite une révision du cadre communautaire de la TVA « afin de pouvoir mettre en place des taux réduits de TVA sur certains biens et services culturels en ligne », une revendication claironnée en boucle par les ayants droit.
La France sollicite aussi « des mécanismes d’octroi de licences équilibrés et efficaces au sein du marché intérieur, tout en favorisant l’interopérabilité des services et des appareils ». Notons que Paris ne va pas jusqu’à promouvoir des licences européennes...
Elle porte d’autres pistes de réflexion pour faire payer les acteurs du numérique au profit de la Culture. « Une réflexion devra être lancée sur la mise en place d’une politique européenne permettant de pérenniser la création audiovisuelle européenne ». Il s’agira notamment d’offrir la possibilité pour les États membres « de diversifier les sources de financement de la création de contenus en faisant contribuer de manière plus équitable tous les acteurs qui bénéficient de leur diffusion et de leur distribution. »
... et lutte contre le piratage accentuée
L’attention se porte aussi sur l’application de la propriété intellectuelle dans le numérique. Là, le discours est plus musclé puisque François Hollande demande que soit relancée « au plan européen la lutte contre la contrefaçon et le piratage ».
Parmi les pistes envisageables figurent en particulier : « le partage des meilleures pratiques sur la base des travaux de l’Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage et le développement d’accords entre acteurs d’Internet et titulaires de droits de propriété intellectuelle. »
Ces accords entre les acteurs sont justement une pierre angulaire du rapport Lescure. Parmi les nombreuses pistes envisagées, celui-ci demande ainsi de rapprocher les acteurs du Net avec les ayants droit afin de trouver les solutions pour nettoyer les réseaux des fichiers considérés comme illicites.
Ces mesures volontaristes pourraient être monnayées contre divers avantages voire sous la menace d’action en justice (article 336-2 du code de la propriété intellectuelle). Elles auraient plusieurs avantages pour les ayants droit puisqu’elles ne nécessiteraient pas de modification du droit de l’hébergement, lequel est encadré par une directive de 2000, et surtout cumulerait vitesse de réaction avec discrétion, en faisant l’économie de la bruyante et parfois longue étape judiciaire.
ACTA toujours à l’esprit
Dans une réponse parlementaire, qui fait justement état de plusieurs travaux menés à l’échelle européenne et notamment au Conseil, Aurélie Filippetti rappelle d’ailleurs que la ratification du traité ACTA, l’accord anticontrefaçon, a été interrompue suite aux « contestations fortes des partisans de l'internet libre ». Celles-ci ont engendré le « rejet du texte par le Parlement européen le 4 juillet 2012, malgré une saisine de la CJUE par la Commission pour confirmer que cet accord était conforme au droit communautaire et notamment à la charte des droits fondamentaux. »
La ministre de la Culture rassure cependant les députés inquiets en soulignant que les dix autres pays tiers signataires d'ACTA « pourront toutefois appliquer le traité, car il suffit que six pays le ratifient pour qu'il entre en vigueur. »