Lors de la présentation de son projet de résolution sur la Copie privée, l’eurodéputée Françoise Castex a défendu une nouvelle fois une extension de la copie privée aux échanges non marchands. L’idée a cependant été combattue par Marielle Gallo, membre du Parti Populaire Européen.
« Je vais proposer la suppression du paragraphe 27 sur la législation du P2P ! Cette disposition ne fait l’unanimité de personne, ni les titulaires de droit ni la société civile ne le soutient » a estimé lundi Marielle Gallo lors d’un débat en commission des affaires juridiques du Parlement européen.
Ce fameux paragraphe 27 dénoncé par Gallo « demande à la Commission et aux États membres d'étudier la possibilité d'une légalisation du partage d'œuvres à des fins non commerciales afin de garantir aux consommateurs un accès à une grande variété de contenus et un choix réel en matière de diversité culturelle ». Cette mesure est spécialement issue du projet de résolution de Françoise Castex (PS) sur la copie privée, défendue devant l’instance européenne.
Rémunérer les échanges non marchands au titre de la copie privée reviendrait à indemniser les ayants droit par ce biais, alors même que les sources sont illicites. Les fichiers ont en effet été distribués et téléchargés sans autorisation et constituent juridiquement des contrefaçons. Sur Twitter, Gallo a d’ailleurs martelé : « ne lions pas copie privée et usages illicites ! ».
@reesmarc @koolfy @FelixTreguer: Ne lions pas #copieprivée et usages illicites! Confère @EDRi_org : http://t.co/SP4Xwkp2BW
— Marielle Gallo (@MarielleGallo) October 14, 2013
La tentative DADVSI
En France, l’idée a cependant eu plus de succès dans le passé. Souvenons-nous de ces deux amendements adoptés en cette nuit du 21 décembre 2005 lors du débat DADVSI. Le premier était défendu par Alain Suguenot, député maire de Beaune (voir son interview dans nos colonnes) :
« l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4. »
Le second enclenché par les députés socialistes dont Didier Mathus, Patrick Bloche et Christian Paul :
« Il ajoute, dans le paragraphe consacré à l’exception pour copie privée, une précision importante concernant les copies réalisées pour un usage privé par téléchargement sur Internet », copie autorisée en contrepartie de redevance pour copie privée. « Cette écriture confère, sans équivoque possible, le bénéfice de l'exception pour copie privée aux copies réalisées par téléchargement sur les services de communication en ligne aux personnes physiques qui se sont acquittées de la rémunération dues aux ayants droit. »
On connait la suite. Après soulèvement des ayants droit, les amendements furent expulsés le 6 mars 2006 dans la continuité des débats. De même, les ayants droit de l’audiovisuel, mécontents, déplacèrent les rencontres cinématographiques de Beaune dans le fief voisin, à Dijon.
Le PS n’avait cependant pas abandonné ce terrain.
Les souhaits d'Aurélie Filippetti, les voeux de François Hollande
Quelques années plus tard, lors des débats Hadopi 2 en juillet 2009, le PS proposera encore cette fameuse contribution créative. Vainement. Malgré ce rejet dans l'hémicycle, Aurélie Filippetti, encore opposante à Hadopi, insistait à la clôture des débats :
« Ce n'est pas par la peur du gendarme et au moyen d'une usine à gaz que nous réglerons la question du droit d'auteur, mais grâce à l'émergence d'un nouveau modèle économique associant artistes et internautes, c'est-à-dire toutes les parties concernées, et fondé sur une contribution créative associée à des budgets publics massifs de soutien à la création » (Débat Hadopi 2, Assemblée nationale, 22 septembre 2009, voir sur la contribution créative les travaux de Philippe Aigrain)
En 2011, François Hollande s’était lui-même souvenu de ce généreux projet à quelques encablures de l’élection présidentielle. Dans une tribune, il affirmait ceci aux oreilles aux futurs électeurs prêts à mettre un bulletin dans l’urne :
« Je propose une faible redevance couplée à la réorientation de la taxe sur les Fournisseurs d’accès à internet (FAI), qui permettra de dégager jusqu’à un milliard d’euros annuels pour rémunérer les droits d’auteurs. Ainsi la liberté ne sera pas entravée tandis que les créateurs percevront une juste rémunération pour leurs créations.
Notre responsabilité en 2012 sera de mettre un terme au plus vite au conflit entre créateurs et internautes en abrogeant le dispositif Hadopi et en le remplaçant par ce nouveau mécanisme qui assurera des financements pérennes au monde de la culture sans entraver le principe de liberté qui doit prévaloir en matière d’accès à la culture sur Internet. »
Le temps et les pressions ont fait depuis leur œuvre. En octobre 2011, nous remarquions que le billet avait été discrètement gommé lors de la migration du site du candidat Hollande. Le lien renvoie depuis à une belle page d’erreur sur Facebook. On en trouve encore cependant quelques traces dans des sections locales notamment celle du PS de… Dijon. Une page chapeautée par trois mots : « Unité », « Volonté » et « Vérité. ».
Quant à Aurélie Filippetti, devenue ministre, celle-ci botte désormais en touche quand une intrépide parlementaire ose la relancer sur le sujet qu'elle a désormais oublié.
Une licence globale mais pour les seuls ayants droit
C’est évidemment la satisfaction et le soulagement des ayants droit qui ont toujours été vent debout contre une telle ouverture des vannes sur les échanges non marchands. Ces mêmes SACEM & co ont pourtant une longue expérience dans le milieu, et pour cause, ils ont bel et bien pratiqué une légalisation des échanges non marchands… mais pour leur seul avantage.
Explication.
Pendant des années, ils ont tenu compte des pratiques de copies illicites pour gonfler les études d’usage qui servent à quantifier ce qu’ils perçoivent au titre de la copie privée. Plus les gens copiaient même illicitement, plus ces ayants droit étaient en droit d’exiger une compensation importante.
Les débats du 16 janvier 2007 au sein de la Commission copie privée sont particulièrement riches. Thierry Desurmont, alors représentant la SACEM et président d’une des deux sociétés civiles aspirant la copie privée, affirmait sans nuance : pour les iPod, « on sait très bien que moins de 3 % des contenus qui y sont copiés provient d’une source licite. Nous n’aurions évidemment pas fixé les rémunérations telles que celles que nous avons fixées si on avait exclu ce qui est copié sur les iPod en provenance du Peer to peer ». C’est clair, net, précis même si cette archive est absente du site du ministère de la Culture.
En 2008, le Conseil d’État a finalement sanctionné la Commission copie privée pour ces mélanges entre copie privée et source illicite. Il reste qu’avant cela, les sociétés de gestion collective, qui ont tout fait pour empêcher la libéralisation des échanges non marchands, ont pu prélever en douce des sommes gonflées par ces mêmes pratiques.
La vieille histoire du beurre, de l’argent du beurre et du cul de la crémière.