La nouvelle est officielle depuis hier : Alcatel-Lucent compte licencier près de 10 000 personnes dans le monde d'ici la fin de l'année 2015. La France sera durement touchée avec 900 départs et 200 arrivées en 2014, et l'externalisation de plusieurs centaines de postes. Les syndicats, qui s'attendaient à cette nouvelle, ont vivement réagi, tout comme le gouvernement ainsi que le président français.
Un air de déjà-vu
Depuis quelques années et la montée en puissance de ses concurrents chinois ZTE et Huawei, le Franco-Américain Alcatel-Lucent tranche durement dans ses effectifs. L'an passé déjà, la société annonçait le licenciement de 5 490 personnes, dont 1 430 en France, pays le plus durement touché. À cette époque, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'Économique numérique, se sont dits dans un communiqué commun « préoccupés par les difficultés d'Alcatel-Lucent ».
Avec Michel Sapin, ministre du Travail, les locataires de Bercy annonçaient même qu'ils seraient « extrêmement vigilants à ce que le projet d’Alcatel-Lucent préserve les fonctions les plus stratégiques du groupe en France. Ils veilleront à ce qu’un dialogue exemplaire soit mis en place avec les organisations syndicales afin notamment de trouver une solution d'emploi à chaque salarié qui pourrait être concerné par le projet annoncé. »
L'Europe et la France trinquent
Cette année, les chiffres changent, mais les dialogues ne varient guère. Dans son communiqué officiel, Alcatel-Lucent explique donc vouloir économiser 1 milliard d'euros voire plus, ceci en tranchant dans certaines branches, et donc sur des emplois bien précis mais néanmoins nombreux. 4 100 salariés en Europe devront donc plier bagage d'ici deux ans, tandis que 3 800 en Asie-Pacifique et 2 100 en Amérique devront en faire de même, soit un total de 10 000 départs. En réalité, ce sont 15 000 personnes qui partiront, tandis que 5 000 autres seront recrutées dans le même laps de temps.
Parmi les 4 100 licenciements européens, la France, qui compte le plus d'employés sur le continent, sera le pays le plus touché avec 900 départs l'an prochain, principalement dans l'administratif, le commercial et le support. Un Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sera mis en place. Alcatel recrutera en même temps 200 ingénieurs et techniciens pour travailler sur les nouvelles technologies, sachant que l'équipementier télécom cherche à concentrer sa recherche et développement (R&D) sur les technologies de prochaines générations (5G, etc.), tout en réduisant celle sur les anciennes générations. Toujours concernant la France, Alcatel précise que 900 autres postes pourraient d'ici fin 2015 être transférés ou redéployés. La société n'est néanmoins pas affirmative à ce sujet.
Il s'agit du sixième plan social d'Alcatel en sept ans. L'effectif français devrait être quasi divisé par deux depuis la fusion entre Alcatel et Lucent en 2006.
« La direction générale a la main lourde, très lourde »
Du côté des syndicats, la nouvelle n'est pas si surprenante, bien que décevante. En effet, depuis plusieurs mois déjà, nous savions que la nouvelle direction cherchait à réduire ses coûts. La somme d'un milliard d'euros d'économies était déjà avancée. En juin dernier, la CFDT pensait ainsi que cela « passera certainement par des réductions d'effectifs », tout en se demandant « combien et dans quel périmètre ? »
Cette même CFDT rappelait à l'époque que « les salariés ne peuvent pas payer à nouveau au prix fort les erreurs des directions générales précédentes. Ils ne sont pas non plus responsables des milliards d’euros évaporés sans effet dans les plans de restructuration précédents. L’articulation avec le plan social en cours, extrêmement douloureux, devra aussi être prise en compte. » Des vœux qui n'ont pas été écoutés.
Hier, le syndicat ne cachait pas son désarroi suite à cette nouvelle. Estimant que « la direction générale à la main lourde, très lourde », la CFDT explique que les salariés ont pris de nouveau « un coup sur la tête » après déjà cinq plans de licenciement en six ans. « C’est une réelle hécatombe ! » considère même le syndicat, lequel assure qu'il « combattra et fera des propositions pour changer ce plan. La CFDT avec l’intersyndicale se mobilisera avec les salariés parce qu’il est impensable de laisser cette saignée supplémentaire se réaliser sans réagir. »
Pour conclure son communiqué, la CFDT affirme que le gouvernement doit aider le syndicat à pousser la direction d'Alcatel-Lucent à rééquilibrer les suppressions d'emplois en faveur de la France, alors que cette dernière est le pays à le plus souffrir des derniers plans de départs.
« Un tsunami social inacceptable » pour la CFE-CGC
Pour la CFE-CGC, la nouvelle est un véritable « tsunami social », qu'il juge « inacceptable ». Le syndicat précise que les sites de Toulouse, de Rennes et de Paris (Avenue de Suffren) seront fermés, et que les sites d'Ormes, de Eu et d'Orvault risquent d'être abandonnés, cédés ou externalisés. En France, « Alcatel-Lucent aura perdu d’ici fin 2015 30 % de ses effectifs actuels sur son cœur de métier (les marchés opérateurs) ainsi que la plupart de ses sites » explique-t-on.
Face à une telle situation, et à l'instar de la CFDT, la CFE-CGC en appelle directement au gouvernement et en particulier à Arnaud Montebourg afin d'inverser la tendance. « Monsieur Montebourg, il ne suffit pas de déclarer à propos de La Nouvelle France Industrielle : "Nous construisons la France qui défend sa souveraineté en retrouvant sa capacité d’innovation et de déploiement des nouvelles infrastructures numériques... La France dispose de nombreux atouts grâce à un leader mondial, Alcatel-Lucent...", il faut des actes MAINTENANT ! »
« Le plan social est excessif »
Le ministre du Redressement productif a justement réagi, notamment à l'Assemblée nationale hier. « Nous avons reçu le président d'Alcatel, nous lui avons dit que la première des choses était que le plan social (...) est excessif. (...) Nous avons demandé à la direction d'Alcatel-Lucent de reformater à la baisse le plan social, de le réduire » s'est-il ainsi expliqué devant les députés.
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a pour sa part déclaré que le gouvernement serait « particulièrement vigilant et exigeant » sur la mise en place du plan social d'Alcatel-Lucent. L'ex-maire de Nantes a non seulement rappelé qu'Alcatel avait reçu des aides publiques et donc que la société avait des devoirs, mais il a même affirmé que selon l'entreprise, il s'agit de son tout dernier plan de licenciement. « Le gouvernement sera particulièrement attentif pour que ce qui nous est dit soit la vérité et nous allons procéder à des vérifications » a-t-il ainsi indiqué lors d'une conférence de presse organisée à Matignon.
Enfin, le président de la République François Hollande lui-même s'est exprimé sur le sujet. Il a ainsi déclaré que « les pouvoirs publics devaient tout faire pour qu'il y ait le moins de suppression d'emplois possible », imposant ainsi une certaine pression sur le dos du gouvernement. Néanmoins, comme rappelé en début d'article, lors des précédents plans sociaux, les paroles ont rarement été transformées en actes.