Si les sénateurs ont approuvé avant-hier le contrôle accentué du CSA sur la vidéo en ligne, ils sont également revenus sur la tentative avortée du sénateur David Assouline de transférer en douce la riposte graduée de la Hadopi au régulateur de l’audiovisuel, et ce par voie d’amendement. Un essai tué dans l'oeuf mais malgré tout vertement critiqué en public, certains parlementaires n'ayant pas manqué de railler « la cacophonie » autour de cette éventuelle passation de pouvoirs.
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Les bruits de couloir concernant cette tentative avaient rapidement fait grand bruit. La manoeuvre consistait pour rappel à confier la riposte graduée de la Hadopi au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) par voie d’amendement au projet de loi sur l’audiovisuel, lequel arrivait devant le Sénat dans le cadre d’une procédure accélérée. L’avantage était double. D’une part, il permettait d’économiser du temps, l’entrée en vigueur de cette recommandation du rapport Lescure n’ayant pas à attendre un véhicule législatif propre, lequel ne serait pas arrivé avant 2014 au bas mot. D’autre part, il offrait au gouvernement la possibilité de faire passer la pilule avec un minimum de casse en évitant les débats à l'Assemblée nationale.
L’on apprenait quelque temps plus tard que le sénateur de Paris, David Assouline aurait pu déposer cet amendement. L’intéressé, chargé de rédiger au nom de la commission de la Culture un rapport sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel public, a d’ailleurs mené plusieurs auditions, dont celle du président du CSA, Olivier Schrameck, mais aussi de Marie-Françoise Marais et Mireille Imbert-Quaretta, respectivement présidentes de la Hadopi et de sa Commission de protection des droits.
Sauf que ce passage en douce a suscité de vives critiques du côté des députés. Finalement, le sénateur Assouline a décidé de laisser son amendement dans les cartons. « La procédure accélérée, dont le présent texte fait l’objet, aurait interdit à l’Assemblée nationale, si des amendements relatifs à l’Hadopi avaient été déposés, de débattre de ce transfert ce qui, compte tenu de l’importance de la mesure, ne semble pas respectueux de nos collègues députés » reconnaissait-il au travers de son rapport.
Mais dans la nuit de lundi à mardi, lors du vote sur le projet de loi relatif à l’audiovisuel public, certains des collègues de David Assouline n’ont pas manqué de condamner publiquement la tentative avortée du sénateur socialiste.
Indélicatesses vis-à-vis des députés
« Nous nous félicitons que, après quelques hésitations, le projet de loi ne comporte plus aucune disposition visant à transférer au CSA certains pouvoirs d'Hadopi » a ainsi déclaré André Gattolin au nom du groupe écologiste. Aux yeux du parlementaire, co-auteur du récent rapport sur les jeux vidéo, « l'introduction de tels transferts aurait été indélicate par rapport à nos collègues de l'Assemblée nationale, qui n'auraient pas pu en débattre de manière satisfaisante, le projet de loi étant examiné en procédure accélérée ».
Au-delà de la forme, l’intéressé a affirmé - sans surprise - que lui et ses collègues verts étaient « tout simplement opposés à un tel transfert, pour des raisons de principe ». Il n’a cependant pas voulu s’étendre davantage sur le sujet, se disant « certain » d’être amené à en débattre de nouveau prochainement.
Pratiques cavalières, cacophonie
Du côté de l’UMP, c’est le sénateur Jean-Pierre Leleux qui s’est adressé à David Assouline : « Vous avez très cavalièrement envisagé, monsieur le rapporteur, lors des auditions, un passage en force sur le sujet sensible de l'Hadopi, vous posant la question "pragmatique" de "profiter de cette loi". En ne donnant pas suite à une telle interrogation, vous avez, me semble-t-il, bien fait » lui a-t-il lancé. L’élu, membre de l’opposition, n’a pas manqué d’insister sur le fait que le sénateur socialiste avait auditionné la présidente de la Hadopi, ouvrant ainsi selon lui « un débat qui n'était pas lié au projet de loi, celui de la défense des droits d'auteur ». « Tout cela ne paraît pas constituer une bonne méthode législative » en a-t-il conclu.
La sénatrice (UDI) Catherine Morin-Desailly, qui avait déposé de nombreux amendements au projet de loi sur l’audiovisuel, a pour sa part blâmé « la cacophonie autour de l'éventuel transfert de la riposte graduée de l'Hadopi au CSA par un simple amendement ». Cette dernière n’a pas manqué d’égratigner la majorité socialiste. « L'épisode de l'Hadopi, que l'on défende ou non le principe de cette instance, est à cet égard consternant, a-t-elle ainsi poursuivi. Annoncer sa mort dès la campagne présidentielle sans avoir méthodiquement procédé à son évaluation, à la fois indépendante et nécessaire, puis se dire, juste après la remise des conclusions de la mission Lescure, qu'il y a urgence à sauver le bébé parce que le piratage a repris, et donc se dépêcher de confier au CSA les missions de l'autorité, en l'occurrence la riposte graduée... Tout cela relève d'une impréparation et d'une improvisation politique dont nous ne voulons pas » a-t-elle asséné.
Un sujet bientôt de retour devant le Parlement ?
L’élue centriste a quoi qu’il en soit appelé de ses vœux « un véritable travail de fond associant le gouvernement et le Parlement » au sujet des propositions du rapport Lescure. L’intéressée a affirmé qu’il faudrait réfléchir dans ce cadre « à l'ensemble des complémentarités ou articulations à effectuer, non seulement entre le CSA et l'ARCEP, mais aussi dans un cadre plus large prenant en compte les missions de la CNIL et de l'Hadopi ».
Mais si l’amendement Assouline est bel et bien resté dans les cartons, cela ne change rien aux plans de l’exécutif, qui entend toujours transférer la riposte graduée au CSA. Le processus devrait juste prendre un peu plus de temps. La Rue de Valois opte en effet désormais pour une grande loi sur la création, laquelle devrait être présentée au Parlement l’année prochaine. Cependant, les élections municipales vont priver les députés de cinq semaines de débats, ce qui ne risque pas d’arranger la tâche d’Aurélie Filippetti, comme l’expliquait récemment BFM Business.