Comment le numérique pourrait éviter le bonnet d'âne à l'école

Qui a eu cette idée folle...

Comment structurer, en France, une filière du numérique éducatif ? Voilà le sujet sur lequel ont planché différents services de l’État avant de rendre un rapport complet sur le sujet, lequel fut d'ailleurs publié avec une série de recommandations. Formation des enseignants, gouvernance, fiscalité, interopérabilité... L'ensemble de ces questions est abordé. 

panneau école

 

« Il n’existe pas aujourd’hui de véritable filière industrielle identifiée et économiquement puissante du numérique éducatif scolaire ». Tel est le postulat de base du rapport dévoilé avant-hier par l’Éducation nationale (PDF). Missionnés par l’exécutif afin d’aider à la mise en œuvre de la stratégie numérique du gouvernement en matière d’éducation, l’IGF (Inspection générale des finances), le CGIET (Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies) l’IGEN (Inspection générale de l’éducation nationale) et l’IGAENR (Inspection générale de l'administration, de l'éducation nationale et de la recherche) présentent au travers de ce volumineux document 27 mesures censées favoriser la structuration d’une filière industrielle et la généralisation des usages pédagogiques numériques des élèves et des enseignants.

 

Cependant, la tâche s’avère encore fastidieuse avant que la France ne parvienne à rattraper son retard en matière de numérique à l’école. Les auteurs de ce rapport ont en effet identifié une quantité importante de freins, qu'ils soient pédagogiques, économiques, techniques, juridiques ou industriels.

 

Mais la première proposition phare du rapport repose sur la gouvernance. Les enjeux numériques étant décrits comme gérés « par des entités nombreuses et pas toujours coordonnées au sein même de l’État, sans pilote identifié et dédié », les auteurs du rapport estiment qu’il est aujourd'hui nécessaire d’instaurer « une direction du numérique éducatif au sein du ministère de l’Éducation nationale, reliant l’enseignement scolaire (DGESCO) et le cadre d’administration et de gestion (SG / STSI) ». Cette nouvelle gouvernance pourrait ensuite se décliner au niveau déconcentré.

Une meilleure gouvernance et davantage de mutualisation dans les achats

Le rapport prône également la mise en place d’une instance de dialogue spécifique au numérique, la « Conférence nationale des financeurs du numérique éducatif », laquelle associerait les représentants des régions, des départements et des communes, ainsi que les services de l’État en charge du numérique. Son secrétariat serait d'ailleurs assuré par la nouvelle direction du numérique éducatif. Principalement tournée vers les aspects économiques et budgétaires (acquisition de matériel), cette institution pourrait notamment « harmoniser les choix d’équipements des différents acheteurs publics ».

 

D’ailleurs, le rapport appelle de ses vœux davantage de mutualisation en ce qui concerne justement les achats publics. Il préconise ainsi de « généraliser les enceintes de coopération locale, telles que les syndicats mixtes ou les groupements d’intérêt public (GIP), regroupant les acheteurs de ressources, équipements et services numériques éducatifs afin de favoriser la coordination de leurs achats ». Dans le même ordre d’idée, il est recommandé aux autorités de favoriser les mutualisations d’achats de ressources éducatives numériques sous forme de groupements de commandes ou de recours à des centrales d’achat telles que l’UGAP (l'Union des groupements d'achats publics). À la clé : des avantages pour les entreprises, qui groupent les commandes, mais surtout pour les pouvoirs publics, qui peuvent prétendre à davantage de qualité et à une baisse des prix - liée à l’effet volume.

 

S’agissant des acquisitions d’équipements justement, le rapport estime que les moyens qui y sont consacrés devraient être alloués en priorité « aux matériels de visualisation collective, aux terminaux individuels des élèves et aux ressources logicielles à caractère pédagogique ». En particulier, il encense les tablettes numériques : ces dernières offriraient « sans doute le meilleur compromis entre performance techniques, mobilité et coûts ». Sans prendre de position ferme s’agissant du partage du coût de ces appareils entre les différents contributeurs publics et les ménages, il est néanmoins bien souligné que « compte tenu du développement de l’équipement des ménages et de la baisse des prix prévisible, les tablettes doivent être intégrées à toute réflexion en matière de déploiement numérique destiné aux élèves ».

 

ipad enfants école CC BY 2.0 Crédits : Flickingerbrad - CC BY 2.0

Formation des enseignants : faire plus et mieux

Avant de former les jeunes au numérique, encore faut-il que leurs professeurs le soient eux-aussi ! Même si l’exécutif avait promis de mettre le paquet sur cet aspect, les auteurs du rapport vont bien plus loin sur cette question. Ils proposent en effet de repenser totalement le « C2i2e », la certification propre aux enseignants, dans « le double objectif de former "au" numérique et "à enseigner par" le numérique ». La formation continue des enseignants à l’informatique, est également critiquée, en ce que celle-ci « a montré ses limites ». Le rapport préconise ainsi d’améliorer la formation des professeurs « en volume comme en qualité », et ce « en articulation avec les plans d’équipement des établissements ».

Un portail unique d’accès aux ressources éducatives

En matière de ressources éducatives, les auteurs du rapport jugent que la France dispose « d’un acquis important », mais que celui-ci demeure encore difficile d’accès. Et ce tant pour le public (enfants, parents, enseignants) que pour les nouveaux acteurs qui souhaiteraient entrer sur ce marché. Ils envisagent ainsi la création d’un portail unique national d’accès aux ressources numériques éducatives, même si celui-ci devra passer selon leurs voeux par une « mission de préfiguration ». L’idée est également de contrer les grandes plateformes commerciales actuellement dominantes. 

 

Trois types de plateformes sont quoi qu’il en soit évoqués. Premièrement, il est fait référence à un moteur de recherche « éducation », lequel permettrait de sélectionner puis de localiser sur Internet des ressources indexées via leurs métadonnées. Deuxièmement, « un portail regroupant l’ensemble des ressources numériques éducatives disponibles, de façon à ce que les utilisateurs disposent d’un "guichet unique", un "EduStore", pour accéder à l’offre » est mis en avant. Troisièmement, c’est un ensemble de portails et de services numériques plus spécialisés dont il est question. Ces derniers, présentés comme principalement destinés aux enseignants, permettraient de recenser, mutualiser et « coter » les ressources disponibles, qu’elles soient payantes ou non.

Davantage d’ordre au niveau de la TVA

Les auteurs du rapport ce sont également penchés sur certains problèmes de fiscalité. Grâce à la loi Lang sur le prix unique du livre, les manuels scolaires traditionnels bénéficient de longue date et dans certains cas de rabais supérieurs à ceux consentis habituellement. Or ce n’est pas le cas pour les versions numériques des manuels scolaires... Il est donc préconisé d'étendre cette exception afin que les deux types de biens puissent en profiter.

 

Toujours au rayon fiscalité, les autorités sont invitées à « harmoniser les taux de TVA applicables aux différents contenus éducatifs, quels que soient leur nature et les supports sur lesquels ils sont déployés ». En cause : la distorsion entre les livres numériques, auxquels est appliqué un taux réduit de TVA, tandis les autres ressources numériques sont généralement assujetties à un taux normal de 19,6 %.

 

À noter qu’afin de faire face au manque à gagner des auteurs, suscité par le recours croissant aux fichiers numériques en lieu et place des photocopies, le rapport conseille de « mettre en place, via un véhicule législatif, une gestion collective obligatoire des droits des œuvres numériques couvertes par l’exception pédagogique ».

Plaidoyer en faveur de l'interopérabilité

Sans faire de recommandation particulière en faveur du libre, le rapport salue néanmoins ses avantages. « La reconnaissance de la place des produits libres [que ce soit des logiciels ou des ressources, par exemple sous licence Creative Commons, ndlr] dans le monde éducatif est nécessaire, car l’utilisation de ces produits permet d’accroître à la fois les usages, l’appétence et la compétence des enseignants, ces trois éléments étant par ailleurs indispensables au développement d’une filière industrielle du numérique éducatif » est il ainsi observé.

 

Interviewé dans nos colonnes, Richard Stallman, père de GNU.org, regrette pour sa part que l'école soit si attentive aux logiciels propriétaires :  «  il y a des entreprises qui offrent des copies gratuites ou pas chères des programmes privateurs aux écoles, comme il existe des marchands de drogue qui t’offrent ta première dose gratuite pour t’habituer, te rendre addict et dépendant. L’école ne doit jamais accepter cette offre, car enseigner l’utilisation d’un programme privateur, c’est enseigner la dépendance envers quelqu’un. Cela va à l’encontre de la mission sociale de l’école.»

 

S’il n’est pas question de logiciels libres au sein des propositions du rapport, celui-ci en appelle néanmoins à valoriser les formats ouverts. Pourquoi ? Afin de favoriser l’interopérabilité, mais aussi pour conserver une certaine indépendance vis-à-vis des plateformes de distribution de contenus numériques. D’autre part, les auteurs de ce document prônent un « assouplissement des contraintes et procédures de contrôle des produits et ressources numériques protégées ». Autrement dit, il souhaitent qu'il y ait moins de mesures techniques de protection (les fameux DRM) sur les manuels scolaires numériques, sans s’avancer toutefois sur les façons d’atteindre cet objectif.

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