Le transfert de la Hadopi au CSA se fera finalement dans un projet de loi sur la création, qu’a confirmé Aurélie Filippetti. Celle-ci décrit déjà l’avenir de la régulation en France avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel aux manettes des contenus du Net.
Dans un entretien au magazine Le Film Français pointé par l’AFP, la ministre de la Culture a confirmé notre information : « La réponse graduée sera reprise par le CSA (...) Un grand projet de loi sur la création est en préparation (...) Y intégrer la question du transfert de la réponse graduée, donc de l'outil de défense du droit d'auteur, est en effet envisagé ».
L’amendement de David Assouline qui devait orchestrer au plus vite ce passage de relai n’a finalement pas vu le jour, alors que la colère montait dans les rangs du PS. Que ce soit chez le député Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, son collègue Christian Paul ou dans le mouvement des jeunes socialistes, tous avaient condamné cette tentative de court-circuitage. Le projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel a en effet déjà été examiné à l’Assemblée nationale. Il doit maintenant être voté par les sénateurs qui disposent d’un droit d’amendement.
Puisque le texte passe par une procédure d’urgence, les éventuelles différences entre les versions votées à l’Assemblée et au Sénat seront arbitrées au sein de la Commission mixte paritaire, au pas de course (notre actualité). S’il avait été déposé, l’amendement Assouline aurait alors évité à Aurélie Filippetti la douloureuse expérience subie par Christine Albanel et Frédéric Mitterrand lors des débats sur les projets de loi Hadopi 1 et 2.
Le CSA, gendarme des contenus culturels dès 2014
Dans son interview, Aurélie Filippetti confirme l'enjeu soulevé par ce futur grand texte sur la Création dont le dépot en Conseil des ministres serait programmé pour décembre selon Electron Libre. Il s'agira alors de mettre en musique les préconisations du rapport Lescure. Le CSA sera ainsi « doté de compétences économiques » mais surtout « chargé de conventionner des sites légaux pour valoriser des bonnes pratiques, encourager des offres légales et favoriser avec les acteurs de l'internet une meilleure exposition des œuvres européennes. »
Ce conventionnement est l’une des pierres angulaires du rapport Lescure. L’idée ? Les sites de vidéo par exemple qui mettront davantage en avant les créations françaises et/ou européennes se verront offrir une série d’avantages sous le contrôle du CSA. Même sort pour ceux qui soutiendront la création en prenant des engagements financiers en faveur de la création, de la diversité, des tarifs sociaux, etc. Les mauvais élèves seront ensuite obligés de rembourser partiellement les aides voire se verront interdire d’en solliciter de nouvelles. « Le bénéficiaire de l’aide serait contraint d’apporter à l’organisme qui lui a accordé l’aide la preuve de l'exploitation, dans un délai à déterminer. Cette obligation serait expressément mentionnée dans la convention signée au moment de l’attribution de l’aide et/ou dans les textes qui régissent l’octroi des aides » dit le rapport Lescure.
Dans une logique du donnant donnant, les ayants droit profiteront d’aides publiques à la création ou à la numérisation (CNC, CNL, crédit d’impôt des producteurs phonographiques…) s’ils garantissent par exemple la disponibilité de l’œuvre sur ces services culturels numériques conventionnés.
La régulation étendue aux plateformes de partage vidéo
Pour Lescure comme Filippetti, cette logique du conventionnement permettra au CSA d’aiguiser sa mainmise sur tous les contenus culturels numériques, quelles que soient les plateformes. Ces accords lui permettront par exemple « d’assurer, sur les sites de partages de vidéo en ligne, le respect de règles de déontologie, d'éthique des contenus et de préservation du pluralisme notamment les associations familiales. »
Ce levier permettra dans le même temps de contourner une règle qui agace les ayants droit : le droit européen n’envisage en effet la régulation des contenus qu’à l’égard des SMAD (services de médias audiovisuels à la demande, VOD et TV de rattrapage en ligne) non des plateformes comme YouTube ou Dailymotion. Voilà pourquoi dans les pages du Film Français, Filippetti considère qu’ « il faut intégrer les nouveaux acteurs de la diffusion dans les mécanismes de financement des œuvres qu'ils diffusent ». C’est là, très exactement, le souhait du CSA qui milite pour mettre son nez dans les serveurs des services de partage vidéo.
Si les ayants droit français ne peuvent changer les règles européennes, ces contrats destinés à mettre le CSA aux manettes de la régulation du net devraient faire l’affaire. Et pour cause : « Rien dans le droit de l’Union européenne ne semble s’opposer à un conventionnement des services culturels en ligne, plus encore s'il est facultatif et repose sur le volontariat » affirme Lescure.
Des pastilles pour identifier les bons sites dans les moteurs
Ce mécanisme de régulation des contenus culturels numériques peut aller loin, très loin puisque le rapport sur l’Acte 2 prévoit que les moteurs de recherche – s’ils sont d’accord – gratifient les sites conventionnés d’une signalétique spécifique, histoire de bien différencier les bons sites vertueux des autres, comme The Pirate Bay. « Il s’agirait d’informer l’internaute, par un moyen simple et visible, tel que des icônes ou des codes-couleurs ».
La mesure permettra là encore de contourner toutes les règles liées à la responsabilité des intermédiaires techniques – qui agacent les ayants droit - en allant solliciter leur concours actif. Pour les plus « vertueux », Lescure va jusqu’à proposer « une priorité dans la gestion des débits », le tout « sous le contrôle de l’ARCEP et dans le respect des règles qui seront adoptées concernant la neutralité du net. »
Une mainmise, étape par étape
Pour identifier ces acteurs, la mise sous pression du Net se fera petit à petit. Dans l’actuel projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel, un amendement de Catherine Morin-Dessailly veut ainsi que les membres du CSA soient aussi désignés selon leur compétence dans le domaine des communications électroniques. Selon la sénatrice, il est nécessaire de « cibler cette exigence en la polarisant sur l’audiovisuel et les communications électroniques, notamment pour préparer l’évolution prochaine des missions du CSA ».
Surtout, David Assouline veut obliger tous les SMAD à une déclaration préalable d’activité. Ce n’est là qu’un premier pas, puisqu’au-delà du court terme, Pierre Lescure pense que tous « les distributeurs de services culturels numériques devraient être soumis à une obligation de déclarer leur activité. »
La fronde des plateformes et les craintes de Philippe Aigrain
La mesure est cependant tributaire de la bonne volonté des acteurs du numérique. Ceux-ci refusent par exemple l’assimilation au statut des SMAD : « Le CSA, de peur d'être un jour démantelé, continue à rêver au jour fou où il pourrait avoir vocation à regarder ce qui passe sur Internet (ce qui serait une vraie découverte pour ses membres) » avait estimé Giuseppe de Martino, secrétaire général de Dailymotion et président de l’ASIC, l’association des acteurs du web 2.0.
Pour Philippe Aigrain, cofondateur de la Quadrature du Net, le mouvement de la « télévisionnisation de l’internet » est la pire des choses. « On est (...) passé d’un monde où un petit nombre d’émetteurs « parlait » à des milliards de récepteurs à un monde où ces émetteurs centralisés sont toujours là, mais où, en parallèle des milliards d’émetteurs échangent entre eux, parfois directement et parfois à travers différentes formes d’intermédiation qui peuvent elles-mêmes être sources de nouveaux pouvoirs. Télévisionniser l’internet, espace de l’abondance (des sources, des contenus, des interactions) en le plaçant sous la tutelle d’une autorité administrative dont la nature est précisément de gérer l’allocation de la rareté, constitue une violence symbolique majeure. »