Citée régulièrement en exemple, parfois de manière un brin caricaturale, pour son économie, son industrie automobile ou encore son système politique, l'Allemagne est malgré tout un pays méconnu. Pourtant, si l'on se concentre uniquement sur l'aspect high-tech au sens large (internet, téléphonie, etc.), nos voisins d'outre-Rhin révèlent certaines particularités.
L'Allemagne, la GEMA et YouTube (donc Google)
Alors qu'à l'image de nombre de ses consœurs étrangères, la SACEM, qui gère les droits des auteurs français entretient depuis quelques années d'assez bonnes relations avec YouTube, pour son équivalente allemande la situation est tout autre. La GEMA, moins connue sous son nom de Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte, mène la vie dure au site de vidéos appartenant à Google.
Leurs rapports sont catastrophiques et, depuis trois ans maintenant, les internautes résidants en Allemagne ne peuvent voir aucun clip officiel sur YouTube, hormis en passant par des proxies et des VPN. Le conflit est simple, la GEMA est bien trop gourmande selon YouTube, la société allemande demandant 0,375 centime par clip vu.
L'image de la GEMA outre-Rhin est ainsi déplorable, au point que si l'on tape "I hate gema" dans Google, ce dernier nous propose automatiquement comme autre recherche "we hate gema" et "gema i hate you". De multiples vidéos sur YouTube déclarent leur amour pour la société. Des groupes Facebook assez explicites lui sont consacrés. Les forums pullulent de plaintes contre elle, les internautes en ayant assez de tomber sur des messages leur disant qu'ils ne peuvent pas voir telle ou telle vidéo. Certains créent des T-shirts montrant leur haine pour la GEMA. Et d'autres vont jusqu'à manifester contre elle.
Si vous pensiez que l'industrie du disque et les représentants des ayants droit en France étaient difficiles, vous ne connaissez pas la GEMA. Cette dernière s'est d'ailleurs illustrée en janvier dernier en censurant momentanément sur YouTube la vidéo de la conférence de presse de Mega, le service de Kim Dotcom, invoquant le copyright.
Le problème Street View (donc Google)
Si le service Street View de Google Maps a connu de nombreux problèmes à travers le monde, que ce soit pour une question de « floutage » mal réalisée ou la collecte de données personnelles via les réseaux Wi-Fi, l'Allemagne a régulièrement été pionnière en la matière et a souvent mis le feu aux poudres.
2010 a été une année charnière pour Street View en Allemagne. Tout d'abord, le commissaire allemand à la protection des données a révélé que les Google Cars collectaient des informations via les réseaux Wi-Fi, ce qui a entrainé une affaire durant trois longues années dans le pays ainsi qu'en France et aux États-Unis notamment.
Qui plus est, cette même année, des centaines de milliers de demandes venant d'Allemagne ont été déposées afin que Google ne rende pas visible la façade de leur habitation, sachant que le pays est l'un des rares au monde (si ce n'est le seul) à permettre à ses résidants de pouvoir envoyer des demandes de floutage à Google avant même que le service Street View ne publie en ligne ses photos.
Toujours en 2010, un véhicule de Google en train de réaliser ses photographies a été vandalisé en Allemagne, preuve de la réelle tension présente dans le pays. Enfin, en 2011, afin justement de calmer les tensions, Google a annoncé qu'il ne comptait plus actualiser Street View dans le pays d'Albert Einstein.
La presse allemande et Google News (et donc encore Google)
Concernant l'opposition entre la presse et Google Actualités (News), les politiques ont été différentes selon les pays. Certains n'ont rien fait, d'autres ont trouvé des accords (Belgique et France) et enfin, il y a l'Allemagne. Le pays, qui n'a pas caché ne pas vouloir trouver un simple accord contrairement à ses homologues belges et français, a dès l'année 2012 menacé de mort le service en imposant par la loi une rétribution financière pour la moindre citation.
La réaction de Google a été des plus limpides, en juin dernier, la filiale allemande a mis en place un système de confirmation demandant aux sites et éditeurs de presse germaniques s'ils veulent ou non être affichés sur son service. Ces sites doivent ainsi consentir de ne recevoir aucune compensation financière s'ils veulent être présents sur Google News. Dans le cas contraire, ils seront tout simplement absents, ce qui profitera aux sites germaniques étrangers, et en particulier autrichiens et suisses.
Téléchargement illégal : pas de riposte graduée, mais de lourdes amendes
Contrairement à la France et à d'autres pays dans le monde, l'Allemagne s'est toujours refusée à appliquer des systèmes ressemblant à la riposte graduée. Outre-Rhin, on ne prévient pas, on inflige des amendes. Alors qu'en France, l'idée a déjà été émise il y a peu, mais sans suite et à des niveaux plus légers (60 ou 120 euros), en Allemagne, cela peut atteindre des milliers d'euros.
La méthode est en fait proche de celle qui a longtemps été appliquée aux États-Unis : les internautes, repérés par diverses sociétés spécialisées dans le pistage d'actes illégaux, reçoivent un petit message où on leur demande de payer une certaine somme. Un montant élevé, 1200 euros par exemple, souvent payé par les internautes, dès lors que le message indique que des poursuites seront réalisées s'il n'y a pas de réponse pécuniaire de leur part. La peur guidant leur esprit, nombreux sont ceux à payer sans même contacter un avocat ou s'opposer à cette méthode. Notez que les FAI allemands participent sans rechigner à cette opération, en divulguant toutes sortes de données personnelles sur leurs clients.
Le succès du Piratenpartei
Les Allemands étant très soucieux du respect de leur vie privée, mais les entreprises en Allemagne n'hésitant pas à la bafouer régulièrement, le Parti Pirate a de quoi argumenter outre-Rhin. Résultat, alors que le mouvement est né en Suède et qu'il y a connu quelques succès politiques (tout comme en Autriche), c'est bien en Allemagne que le parti a réalisé ses meilleurs résultats.
Ardent défenseur de la vie privée, de la liberté d'expression, de l'anonymat et de la neutralité du Net, en faveur d'une refondation du droit d'auteur, et contre les brevets en règle générale (entre autres), le Piratenpartei a frappé très fort en 2011 en décrochant 15 sièges au Parlement de Berlin. Il ne s'est toutefois pas arrêté là en gagnant des sièges dans d'autres Länder (ici, là et encore là). Reste à savoir si cela sera durable et si les autres pays suivront.
Un « Fair use » sur les forfaits internet fixes
Si de nombreux pays, notamment ceux où le câble est très présent, imposent des limites de téléchargement à leurs abonnés internet, en Allemagne, tout comme en France, les forfaits fixes sont depuis longtemps illimités, peu importe la technologie employée. Mais cette période appartient désormais au passé, tout du moins pour Deutsche Telekom (et ses partenaires comme 1&1).
L'opérateur historique allemand a ainsi commencé à imposer une limite de 100 Go par mois à ses abonnés ADSL, ou 200 Go pour les abonnés VDSL, 300 Go pour les abonnés FTTH à 100 Mb/s, et 400 Go pour ces mêmes abonnés à 200 Mb/s. Au-delà, le débit est réduit. En somme, DT a appliqué au fixe le concept du « Fair use » pour la téléphonie mobile. Selon le comportement des clients, cela pourrait faire tache d'huile auprès des autres opérateurs nationaux, voire du continent tout entier.
L'histoire d'amour avec Firefox
Si malgré la montée fulgurante de Chrome, Firefox n'a plus la croissance qu'on lui connaissait auparavant, il est bon de rappeler qu'historiquement, l'Allemagne a très rapidement épousé le navigateur de Mozilla. En 2005, soit il y a déjà huit longues années, Firefox pouvait se vanter de capter plus de 20 % du marché allemand. Une véritable performance qui se confirmera par la suite, puisque Firefox deviendra numéro un, devant Internet Explorer.
Encore aujourd'hui, alors que Chrome fracasse tout sur son passage dans de nombreux pays du globe, Firefox domine de la tête et des épaules le pays, avec près de 39 % du marché, loin devant IE (27 %), Safari (13,9 %) et Chrome (13,3 %). Si ces deux derniers progressent assez rapidement outre-Rhin, Firefox devrait garder sa couronne encore plusieurs années.
Salons, jeunes pousses, personnalités, etc.
Enfin, bien d'autres choses pourraient décrire l'Allemagne. Nous pensons à ses forfaits mobiles parfois très onéreux, à ses nombreuses personnalités et notamment ses hackeurs, le fameux Kim Schmitz, plus connu sous le nom de Kim Dotcom, ses grands salons (Gamescom, CeBIT, IFA, etc.), son rejet du brevet de Microsoft sur la FAT, sa redevance TV imposée à chaque foyer (même ceux qui n'ont qu'un PC), et bien sûr ses start-ups.
Concernant les jeunes pousses justement, elles profitent à plein des bas prix des logements à Berlin pour s'y établir. Les sociétés allemandes les plus connues sont certainement SoundCloud, même si à la base créée en Suède, RapidShare (bien qu'établie ailleurs), Zalando, Xing (concurrent du Français Viadeo et de l'Américain LinkedIn), Twago ou encore eDarling, un site de rencontre qui s'est rapidement internationalisé et qui a diffusé quelques publicités un peu partout.