Alors que la commissaire européenne Neelie Kroes n'a réglé que partiellement la question des frais d'itinérance en Europe dans son nouveau Paquet Télécom (paru la semaine dernière), c'est finalement la neutralité du Net qui cristallise toute l'attention. Il faut dire que la proposition laisse la porte ouverte à une « priorisation » de certains contenus ainsi qu'à la gestion du trafic.
Neelie Kroes veut unifier le marché télécom européen pour rattraper et doubler les autres continents.
Adieu les frais d'itinérance en cas de réception d'un appel
Depuis de nombreux mois, le nouveau Paquet Télécom de Neelie Kroes fait couler beaucoup d'encre. Dans un premier temps, la mort des frais d'itinérance avait attiré tous les regards. Finalement, à partir du 1er juillet 2014, « vous n'auriez plus à payer de frais supplémentaires lorsque vous recevez un appel sur votre portable alors que vous vous trouvez dans un autre pays de l'UE » explique la Commission européenne. Une très bonne nouvelle pour les consommateurs, mais qui signifie que les autres frais, eux, seront toujours en place.
L'avis de décès complet des frais d'itinérance n'est donc pas pour tout de suite, même si les opérateurs mobiles européens devront proposer aux clients des pays de l'Union des forfaits spécifiques pour l'itinérance. Bruxelles espère ainsi que grâce à la concurrence, les tarifs seront tirés vers le bas et s'approcheront de zéro. Ce qui n'est évidemment pas gagné. Notez que les appels internationaux dans l'Union européenne seront désormais plafonnés à 0,19 € la minute (hors TVA). Mais pour beaucoup d'opérateurs, cela ne devrait pas changer grand chose dès lors que ces appels sont déjà moins chers (quand ils ne sont pas gratuits) dans certains de leurs forfaits.
Les services spécialisés garantis
Passée la question des frais d'itinérance, c'est donc celle de la neutralité du net qui est désormais sur toutes les lèvres. Officiellement, la Commission explique que « le blocage et la limitation du contenu internet seraient interdits, garantissant ainsi aux utilisateurs l'accès à un internet ouvert et sans restriction, indépendamment du coût ou de la vitesse prévus par leur abonnement ». Cela se rapproche bien de la définition de la neutralité du net, même si chacun a sa propre définition en fonction de son point de vue et surtout de ses intérêts.
Mais le Paquet Télécom autorise aussi les opérateurs à pouvoir gérer leur trafic (dans certains cas) et surtout à proposer des services spécialisés de meilleure qualité. Même si un encadrement sera mis en place quant à ces derniers, cela ouvre une boîte de Pandore potentiellement dangereuse en fonction des politiques que choisiront les FAI et les opérateurs mobiles.
La Commission explique que les opérateurs télécoms européens seront « toujours en mesure de fournir des «services spécialisés» à qualité de service garantie, tels que la télévision par internet (IPTV), la vidéo à la demande, certaines applications telles que l'imagerie médicale haute résolution, les salles d'opération virtuelles et les applications en nuage à haute intensité de données d’importance critique pour les entreprises, pour autant que ces services ne freinent pas les vitesses d'accès promises à d’autres clients ». C'est ce dernier point qui suscite de nombreuses inquiétudes.
Le Paquet Télécom explique que les clients pourront toujours quitter leur opérateur si la qualité du réseau ne correspond pas à ce qu'il paie. Le texte précise même que les autorités réglementaires nationales (type ARCEP) « doivent surveiller étroitement et assurer (...) la disponibilité continue d'un Internet non-discriminatoire ». Elles doivent même vérifier que les services améliorés, dits spécialisés (et plus coûteux donc), n'aient pas un impact négatif sur les services standards. « Elles doivent, en coopération avec d'autres autorités nationales compétentes, également surveiller les effets des services spécialisés sur la diversité culturelle et l'innovation » rajoute le Paquet Télécom.
« Le projet de Mme Kroes est biaisé par essence » estime la Quadrature du Net
Pour La Quadrature du Net, ce texte est « biaisé » car il « prétend protéger la neutralité du Net en interdisant le blocage et le ralentissement des communications en ligne mais vide ce principe de son sens en autorisant explicitement la discrimination commerciale par le biais de priorisation ». Jérémie Zimmermann, le co-fondateur et porte-parole de la Quadrature, il s'agit là d'une trahison de la part de Neelie Kroes, « en cédant aux puissants lobbies télécoms ».
« Le projet de Mme Kroes est biaisé par essence afin d'autoriser des violations commerciales de la neutralité du Net, des formes de discrimination mettant en péril notre liberté de communication, par nature anti-compétitives. Passer en force de telles mesures, quelques mois seulement avant les prochaines élections est inacceptable, et démontre la profonde et inquiétante déconnexion entre la Commission et les citoyens. Le Parlement doit remplacer cette section du texte par des mesures garantissant l'application réelle et inconditionnelle de la neutralité du Net afin de défendre l'intérêt général » demande l'association.
La gestion du trafic autorisée dans quatre cas
Enfin, il est important de noter que le Paquet Télécom décrit précisément quatre cas dans lesquels les opérateurs télécoms pourront dégrader certains services, et/ou réduire les volumes de données, et/ou les vitesses de leurs abonnés, point qui là encore fait grincer des dents. Le texte parle ici de « mesures de gestion du trafic raisonnables ». Elles doivent être « non discriminatoires, proportionnées et nécessaires » dans les quatre cas suivants :
- en cas de loi ou d'une ordonnance d'un tribunal, ou afin d'empêcher des crimes graves
- afin de préserver l'intégrité et la sécurité du réseau, ainsi que les services fournis et les appareils des clients (en cas d'attaques, de virus ou d'espionnage par exemple)
- afin de réduire les communications non sollicitées pour les clients ayant donné leur consentement préalable (cela concerne le SPAM par exemple)
- afin de limiter les effets de congestion du réseau
Ce quatrième cas devrait lui aussi faire couler beaucoup d'encre. Le Paquet Télécom précise que cette situation concerne les congestions temporaires ou exceptionnelles et qu'une gestion du réseau ne peut être réalisée « qu'à condition que tous les types de trafic équivalents soient traités de manière égale », ce qui signifie que les contenus devront normalement ne pas être discriminés. Une congestion durable ne pourra évidemment être réalisée sciemment par un opérateur afin de gérer son trafic de manière constante.
Il faudra néanmoins vérifier si ce Paquet Télécom, une fois voté et appliqué, aura une incidence sur les problèmes d'accès aux sites de vidéo par exemple. Tout dépendra si cette congestion est créée artificiellement par les opérateurs ou non. Dans les textes, si cela est fait sciemment, une telle situation sera interdite. Mais encore faut-il le prouver. En juillet dernier, l'ARCEP a d'ailleurs estimé que Free ne discrimine pas YouTube ni aucun autre service de Google, cela malgré la congestion aux heures de pointe qui a bien été confirmée.