Si comme le révélait PC INpact, le sénateur Assouline va renoncer à transférer tout de suite au CSA les pouvoirs de la Hadopi, des amendements déposés dans le cadre du projet de loi sur l’audiovisuel témoignent du mouvement dénoncé par Philippe AIgrain. Celui de la « télévisionnisation de l’internet ».
Le projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel restructure la procédure de nomination des membres du CSA. Un article 4 prévoit ainsi que ce Conseil supérieur de l'audiovisuel comprend sept membres nommés par décret du Président de la République. Trois sont désignés par le Président de l'Assemblée nationale et trois autres par le Président du Sénat, sur avis conforme de chacune des commissions des affaires culturelles.
Ces six membres choisis au parlement « sont désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication ».
« Dans celui des communications électroniques »
Un premier amendement au projet de loi, déposé par Catherine Morin-Dessaily, est symptomatiquement d’un mouvement visant à confier au CSA la régulation du Net. La vice-présidente de la commission de la Culture du Sénat veut en effet que cette désignation soit faite en raison de leur compétence non seulement dans le domaine de la communication, mais aussi « dans celui des communications électroniques ».
Pourquoi ? En guise de motivation, la sénatrice explique que l’actuel article 4 est trop générique : « l’exigence en matière économique, juridique ou technique n’évoque pas spécifiquement ce que l’on attend des membres de cette instance ». Catherine Morin-Dessaily explique alors que son amendement vise à « préciser » et même « cibler cette exigence en la polarisant sur l’audiovisuel et les communications électroniques, notamment pour préparer l’évolution prochaine des missions du CSA ».
L’expression « communication électronique » est juridiquement une expression très large qui englobe outre la communication audiovisuelle (radio, TV, SMAD), Internet dont le web ou les mails (voir notre actualité).
Pour mieux marquer encore cette évolution, la même sénatrice demande dans un autre amendement à ce que le CSA établisse « un bilan des coopérations et des convergences obtenues entre les instances de régulation audiovisuelles nationales des pays de l’Union européenne ». L’exposé des motifs est on ne peut plus clair : « La régulation des activités audiovisuelles et électroniques impose nécessairement la mise en œuvre de nouvelles collaborations entre les instances nationales des pays d’Europe. »
La télévisionnisation de l’internet
Ces deux amendements sont à raccrocher directement à un récent billet de Philippe Aigrain. Celui-ci dénonce justement « la télévisionnisation de l’internet », véritable « Arlésienne politique ». Pour l’auteur de Sharing, « la transformation d’une autorité de l’audiovisuel (entendre la télévision et la radio) en « autorité de l’internet et de l’audiovisuel » constituerait un véritable saccage d’un bien commun précieux. C’est bien pour cela qu’elle est désirée conjointement par des groupes d’intérêts des industries de la rareté et par les politiques qui ont besoin de contrôler l’espace public au moins avant quelques élections clés. »
Le cofondateur de la Quadrature du net rappelle que « l’informatique, internet et les pratiques numériques des individus permettent à tout un chacun de produire et traiter de l’information, de l’échanger, de la diffuser, de communiquer entre eux à travers elle, de coordonner leurs actions à des échelles qui étaient autrefois réservées aux grandes organisations de l’État et des entreprises. »
Avec Internet, nous avons basculé dans le champ de l’éparpillement où une myriade d’émetteurs est aujourd’hui en capacité de diffuser de l’information pour concurrencer une poignée de médias de flux qui orchestrait autrefois la mise en musique de l’information. « On est donc passé d’un monde où un petit nombre d’émetteurs « parlait » à des milliards de récepteurs à un monde où ces émetteurs centralisés sont toujours là, mais où, en parallèle des milliards d’émetteurs échangent entre eux, parfois directement et parfois à travers différentes formes d’intermédiation qui peuvent elles-mêmes être sources de nouveaux pouvoirs. Télévisionniser l’internet, espace de l’abondance (des sources, des contenus, des interactions) en le plaçant sous la tutelle d’une autorité administrative dont la nature est précisément de gérer l’allocation de la rareté, constitue une violence symbolique majeure. »
Le recul de David Assouline... en attendant le plan B
Confirmant nos informations, David Assouline a finalement laissé tomber son idée de transférer au plus vite par voie d’amendement les pouvoirs de la Hadopi au CSA. Malgré cette reculade, les propos d’Aigrain conservent toute leur actualité. Dans les colonnes du Monde, le rapporteur du projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel a déjà exposé son souhait de « trouver le moyen, dans mon rapport, voire dans la loi, que la question du transfert de la Hadopi au CSA ne soit pas remise aux calendes grecques ». Et le CSA attend cette passation avec impatience, la main sur la souris, espérant puiser à l’occasion la légitimité du contrôle des contenus. Olivier Schrameck n’a pas dit autre chose : « ce relai permettra au CSA de devenir un interlocuteur légitime des acteurs du numérique. »