Devant la commission des affaires culturelles, celle qui s’apprête à confier la riposte graduée au CSA, la Hadopi défendait ce matin son bilan, marquant une opposition ferme à un tel transfert et déployant une pluie d’arguments pour conserver ses pouvoirs arrachés après une censure du Conseil constitutionnel.
David Assouline s’est dit « surpris » des propos qu’il aura entendus. Marie François Marais et Mireille Imbert Quaretta n’allaient évidemment pas applaudir la mort annoncée de leur Hadopi devant la Commission de la Culture. Et quelle mort peu glorieuse ! Le vice-président de la commission s’apprête en effet à confier au CSA le mécanisme de la riposte graduée, dépossédant la Rue de Texel par un simple amendement, de son ADN. Un amendement justifié par « un piratage massif », argument martelé par le secteur de l’audiovisuel dans les oreilles d’Olivier Schrameck, président du CSA.
Une telle dépossession est peu appréciée par la présidente venue défendre son bilan. Avant les derniers clous enfoncés dans les planches de sapin, Marie François Marais aura beau jeu de souligner les travaux de cette institution qu’elle a présidée. Avis sur VLC, la régulation des MTP, le développement de l’offre légale, son actuel chantier– lancé en un temps record – sur la modélisation d’un système de rémunération proportionnelle du partage… « Quel acteur public serait le mieux à même d’assurer des missions rénovées » s’interrogera-t-elle en ayant évidemment l’Hadopi comme seule réponse en tête.
Selon MFM, la Hadopi n’est pas le CSA, avant tout parce que l’audiovisuel « est structuré autour d’un nombre restreint d’opérateurs économiques, identifiés et territorialisés » alors que la Rue de Texel s’adresse à tous les citoyens et tous les contenus, films et musiques, mais également jeu vidéo et livre. « L’Hadopi n’est pas seulement compétente pour la musique ou le film : elle protège tous les droits d’auteurs : livre numérique, jeu vidéo, photographie, logiciel… Elle n’est donc pas en charge d’un secteur, elle est en charge de la création. En conséquence, tout transfert de ses missions à un autre organisme entrainera de facto la compétence de celui-ci sur ces domaines ».
Pas de filtrage
Le rapport Lescure sur les genoux, Marie Françoise Marais affichera sa différence rappelant d’abord « notre refus le plus catégorique de recourir à des méthodes intrusives. Toute politique d’Internet s’appuyant sur une démarche de surveillance, de régulation excessive, ou de priorisation des flux me paraît à la fois risquée et incompatible avec la nature même du réseau, qui tient à sa neutralité ». Quoi qu’en dise Marie Françoise Marais, l’hypothèse fut bien envisagée entre les murs, au moins un temps. Il suffit de se souvenir de cette mission confiée au Pr. Michel Riguidel, lequel a justement déposé – bel hasard – un brevet sur le deep packet inspection.
Marie Françoise Zimmermann
La présidente du collège soulignera une autre différence de compétence : « Le sujet dont l’Hadopi a la responsabilité est le respect du droit d’auteur sur Internet. À l’heure actuelle, il n’est pas question sur Internet de réguler les contenus en veillant par exemple à la qualité des programmes, au respect du pluralisme politique ou à l’utilisation de la langue française » sujets de prédilection du CSA.
Rappelons que le rapport Lescure a envisagé une priorisation des débits pour les plateformes qui voudraient bien entendre ses recommandations… Levier que n’a pas ouvertement envisagé la Haute autorité. Il envisage aussi d’orchestrer des mesures de nettoyage et de prévention sans intervention du juge. « N’effrayez pas le chaland en disant qu’on va surveiller les contenus » en cas de transfert au CSA rétorquera David Assouline.
Habillé du costume mal taillé d’un Jérémie Zimmermann, Marie Françoise Marais assènera : « l’audiovisuel est un régime d’autorisation alors qu’Internet est un espace où, plus encore qu’ailleurs, la liberté est la règle et la contrainte, l’exception. Pas question sur Internet de délivrer des autorisations préalables, d’octroyer des fréquences, ou des noms de domaine, de nommer des directeurs de plateformes de diffusion ».
Bref, pour Marais, ne nous empressons pas à noyer la Hadopi avec un simple amendement accroché à ses pieds, jeté dans le projet de loi sur l’audiovisuel. Travaillons le sujet en profondeur avant de se dépêcher de changer de structure laquelle pourrait ne pas être le CSA : « Une autorité dédiée au numérique, telle que celle recommandée en mai dernier par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dans son étude « La dynamique d’internet » pourrait également être envisagée ».
Indépendance de la Hadopi. Quid du CSA ?
Avec un CSA noyé dans l’audiovisuel, Marie François craint d’ailleurs « des contradictions, des incompatibilités, des conflits d’intérêts ou, à tout le moins, des difficultés ». Pour ceux qui n’auraient pas entendu le message, la présidente du collège lustrera le vernis de l’indépendance de son institution : « Les règles de gouvernance doivent permettre d’assurer les objectifs d’indépendance, de représentativité et d’expertise (notamment sur les questions liées au droit d’auteur), mais aussi d’impartialité vis-à-vis de tous les acteurs économiques de l’offre culturelle, afin d’écarter tout soupçon de conflit d’intérêts. La gouvernance de l’Hadopi a été spécialement conçue pour offrir ces garanties. Par exemple, son président est élu, par le collège, parmi les trois membres qui sont magistrats ou chargés de fonctions juridictionnelles. »
« La composition de l’Hadopi et l’organisation de sa gouvernance visent à garantir son indépendance, sa représentativité et son expertise en matière de droit d’auteur sur internet embrayera un peu plus tard Mireille Imbert Quaretta. Contrairement à ce qu’on a pu lire sur le net, l’Hadopi n’est et n’a jamais été dépendante de personne et notamment des ayants droit.»
Et si David Assouline ou le PS étaient vraiment durs de l’oreille, MFM insistera encore plus lourdement : « Un transfert des missions auprès d’une institution n’offrant pas le même niveau de garanties constituerait un recul en matière d’indépendance. (…) il nous paraît essentiel qu’une autorité puisse mettre en œuvre ses missions de façon optimale et, pour cela, que sa gouvernance offre des garanties suffisantes pour exclure toute suspicion ». Ambiance.
Indépendance ? « C’est ce que nous voulons que soit le CSA » lui répondra le sénateur socialiste, rapporteur du projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel. « Le mode de nomination présenté dans la loi permet que nous soyons concentrés dans le choix des personnes à partir de critère dépossédé de toute considération politique. »
Conserver les emplois
Que deviendront d’ailleurs les emplois de la Hadopi si le transfert est décidé ? On sait qu’Olivier Schameck a prétexté un risque de démobilisation de ces agents si le sort de l’institution n’était pas réglé au plus vite. « J’entends que les agents de l’Hadopi pourraient se démobiliser. Qu’ils pourraient partir. Rassurez-vous ! Ils sont là, et bien là, lui répond Marie Françoise Marias. Ils n’en sont pas à leur première tempête. Ils sont mobilisés, impliqués, déterminés. Pour information, en 2012, le taux d'absentéisme des agents de l'Hadopi était plus de 5 fois inférieur à la moyenne des agents de la fonction publique ».
Pour la même présidente de la Hadopi, il n’y aurait donc aucun risque de risque de dispersion ou d'affaiblissement des compétences. « À nos yeux, ce risque pourrait être levé aisément. Il suffirait que le gouvernement réponde clairement aux sollicitations des représentants du personnel, et qu’il adresse un message sans ambigüité : la préservation de tous les emplois. Nous l’attendons depuis plus de 3 mois maintenant ». MIQ se souviendra d’ailleurs du discours du Bourget du candidat Hollande qui avait promis qu’Hadopi serait bien remplacée à terme, preuve que la menace de l’extinction existe depuis des mois sans que cela empêche ces agents de mener à bien leurs missions.
Pas de piratage massif contrairement à ce qu'annonce le CSA
Pour répondre encore à Olivier Schrameck qui prétextait d’un retour au « piratage massif » pour justifier la mainmise du CSA sur les réseaux, la présidente assène un joli coup de pelle : « J’entends qu’en raison des incertitudes actuelles, le piratage aurait « massivement augmenté ». Je répondrais qu’il faut raison garder. Il y a les chiffres. Et il y a les fantasmes. Observe-t-on une évolution « massive » ? Non. Y’a-t-il un risque qu’elle soit irréversible comme cela a été dit ? Non. L’argument est spécieux, je le dis tout net. »
Bref, il n’y a pas d’augmentation massive du piratage comme le soutient le secteur de l’audiovisuel et le répète docilement le CSA - ce qui est déjà le signe du degré d’indépendance de l’institution. « Dois-je rappeler que lors de notre création nous avons hérité de 10 ans de laisser-faire, et que ceux-là mêmes qui expriment ces craintes saluent notre efficacité. Alors si en 3 ans nous avons inversé 10 ans de pratique, ce n’est pas en quelques mois d’incertitudes qu’elles vont tout d’un coup devenir irréversibles. Il faut savoir de quoi on parle. »
En toute évidence, un transfert des compétences de la Hadopi au CSA ne changerait rien. Au contraire, elle présentait un fort risque : « L’opinion retiendrait que l’Hadopi est supprimée. Aujourd’hui, elle est identifiée, connue. La vocation pédagogique de la réponse graduée repose largement sur la notoriété de la Haute Autorité. » Mauvais signe, mauvaise interprétation de la part des internautes qui pourraient croire qu’Hadopi, c’est fini.
Un transfert source d’économies ?
Elle doute enfin que le transfert au CSA soit source d’économies. « J’entends que le transfert serait source d’économies. Quelles économies ? Le premier poste de dépenses, c’est évidemment la masse salariale. Le projet implique-t-il de détruire des emplois. Alors là, oui, il y aura des économies. Mais que ce soit dit clairement. Et sinon ? Le loyer ? Il représente moins de 2% du budget annuel du CSA. Si le CSA a des locaux vides, s’il a trop de place et se propose d'héberger l'Hadopi, c'est bien volontiers que nous étudierons la question ». Elle signale au passage qu’aucune étude n’a été faite pour comparer les grilles salariales de la Hadopi au CSA ou le coût d’un transfert physique des installations.
« Pour rappel, le budget de l’Hadopi représente un millième du budget du ministère de la Culture et de la Communication » signale cette présidente, qui n’a jamais cependant percé la problématique du remboursement des fournisseurs d’accès, appelés encore aujourd’hui et depuis les origines à travailler à l’œil pour ses bons soins.
Des mesures contre le piratage « commercial »
Mireille Imbert Quaretta, à qui Aurélie Filippetti a confié une mission sur le filtrage, le blocage et le déréférencement des sites illicites, défendra ce nouveau front considérant déjà qu’il serait bon d’armer la future autorité des moyens nécessaires.
« Il faudrait compléter les outils existants notamment sur l’offre légale et les MTP, et d’autre part imaginer un dispositif de prévention de la contrefaçon commerciale impliquant tous les acteurs de l’écosystème sur Internet, notamment les hébergeurs, plateformes, sites de référencement, acteurs de la publicité en ligne, opérateurs de paiement. C’est cette piste innovante qui est de plus en plus étudiée à l’étranger et c’est le sens de la mission qu’a bien voulu me confier la ministre de la Culture. Quelle que soit l’institution qui aurait en charge les missions de l’Hadopi, si elle ne disposait pas de nouveaux outils, elle rencontrerait elle aussi les mêmes limites que celles auxquelles s’est heurtée l’Hadopi et ferait l’objet des mêmes critiques ».
Mireille Imberte Quaretta semble ainsi plus réservée que Marie-Françoise Marais, pour autant que le CSA soit correctement armé contre les sites de streaming et de direct download.
« Le plus vite sera le mieux »
« Toutes les missions que vous avez décrites, je veux vraiment dire que cela n’invalide pas le fait qu’elles soient transférées au CSA puisque dans cette loi nous renforçons son indépendance » conclura David Assouline, laissant entendre que tout est déjà joué. « Le transfert est arbitré, les autorités ont décidé ça, ça va avoir lieu. Elles n’ont pas décidé de maintenir la Hadopi, mais de son extinction et du transfert de ses missions. Comme ça ne se fait pas vite, il me semble évident que cela pèse sur le personnel et l’autorité que dégage cette institution. »
Enfonçant le dernier clou dans les planches en sapin, David Assouline dira à Marie Françoise Marais et Mireille Imbert Quaretta ce qu’a dit la ministre de la Culture : « Je pense que le plus vite sera le mieux. »