De la pilule, du beurre et de la sémantique. Hier devant la commission des affaires culturelles, Olivier Schrameck et Aurélie Filippetti ont tous les deux milité pour un transfert rapide des compétences de l’Hadopi au CSA. À cette occasion, le président du CSA a réajusté son discours sur les rapports entre numérique et audiovisuel.
Pas plus tard que le 24 juillet 2013, le président du CSA tentait de justifier le déploiement tentaculaire du CSA sur le net par ces mots fleuris : « Internet n’a pas de frontière, mais précisément il est à l’intérieur des frontières de l’audiovisuel, par tous les canaux d’accès, les ordiphones, les tablettes, les ordinateurs, la télévision connectée qui se développe de plus en plus. C’est bien Internet qui surgit au sein de la télévision, qui l’accompagne même avec ses écrans compagnons qui permettent d’assurer une réactivité. » Bref, l’audiovisuel englobant le numérique, le CSA qui contrôle l’audiovisuel doit contrôler le numérique. Compris ?
La théorie des ensembles, version Inception
Cette envolée a sans doute provoqué trop de remous si on en croit la mise à jour de Schrameck. Lors des échanges hier en commission de la Culture au Sénat, Schrameck a tout juste affirmé l’inverse de ce qu’Olivier nous disait fin juillet : « le secteur de l’audiovisuel est un secteur immergé dans le monde du numérique. Le numérique n’est pas un média parmi d’autres, il est un média englobant. Non seulement il englobe le secteur de l’audiovisuel, mais il le pénètre par tous les ports des canaux techniques, des contenus, des nouvelles chaines qui se créent. ».
Le président du CSA milite ainsi pour une « régulation globale » où évidemment le CSA prétend être au premier poste. Bel exercice de style qui consiste à affirmer l’inverse de ce qu’on a dit pour arriver à la même conclusion : que le numérique englobe l’audiovisuel ou que l’audiovisuel englobe le numérique, ne discutez pas, le CSA doit réguler tout ça.
Alléger, supprimer, réorienter
Ces efforts pour faire passer la pilule connaissent un autre expert : le ministère de la Culture. Trois exemples.
Quand la Rue de Valois envisageait des sanctions administratives au lieu et place de la suspension, on y présentait cet avenir comme l’allègement des sanctions. « Alléger, quel terme bien choisi ! » rétorquait la députée écologiste Isabelle Attard face à Aurélie Filippetti. Vous proposez de remplacer la sanction de déconnexion de l’accès internet par une amende légère. Cela reviendrait à distribuer des amendes à tour de bras sans que les faits soient solidement établis ». Le projet d’amende administrative a finalement été abandonné pour laisser intacte la contravention de 1500 euros prononcée par un tribunal de police.
Justement. Lorsque la suspension fut finalement supprimée par décret, la même Aurélie Filippetti annonçait sur Twitter : « La coupure internet c'est finie. Le changement c'est maintenant ». L’essentiel est d’y croire, car manque de chance, la coupure n’est pas seulement finie, elle n’aura surtout jamais été appliquée comme révélé dans nos colonnes.
Devant chaque audition en commission des affaires culturelles, Aurélie Filippetti annonce enfin une « réorientation très nette de la politique de lutte contre le piratage vers la lutte contre la contrefaçon commerciale. » La réorientation laisse entendre un changement de cap. On abandonne une route pour une autre. On file vers l’Ouest quand hier on voguait vers l’Est. En réalité, il n’en est rien : la riposte graduée sera dédoublée d’une action contre les sites. Un cumul, non une réorientation. Qu’ils soient commerciaux ou non marchands, il y aura surveillance, analyse et sanction de ces deux fronts d’échange.
Ce méli-mélo sémantique est sans doute inévitable pour toute ancienne opposante à la politique pénale de son prédécesseur qui compte aujourd’hui l’amplifier, la muscler, la démultiplier.