C'est la nouvelle majeure de la semaine dernière : Steve Ballmer, le patron de Microsoft, quittera ses fonctions d'ici ces douze prochains mois. Depuis cette annonce, son action a grimpé (avant de retomber), certains journalistes n'ont pas hésité à rappeler les échecs sous son règne (2000-2013), tandis que d'autres ont tenté de lister les possibles prétendants au trône. Mais les problèmes de Microsoft ne sont-ils pas plus profonds qu'une simple question d'homme ?
Steve Ballmer.
38 ans d'existence, seulement deux PDG
Microsoft fait partie, avec IBM, Intel, AMD, Western Digital, Seagate ou encore Apple, des entreprises historiques du secteur informatique. Numéro un mondial des logiciels, la firme s'est illustrée par des stratégies très agressives, tuant parfois la concurrence. Elle a aussi tiré son épingle du jeu en affichant une stabilité rare au sein de sa direction. Bill Gates a ainsi occupé le poste de PDG de la firme entre 1975 (année de sa création) et 2000, Steve Ballmer prenant la suite. Seulement deux patrons en 38 (voire 39) ans, c'est une réelle performance, faisant passer IBM et ses changements de PDG par décennie pour une boite instable.
Le poids sur les épaules du successeur de Steve Ballmer est donc énorme, égal si ce n'est plus encore que celui qui a pesé et pèse encore sur celles de Tim Cook, le remplaçant de Steve Jobs. En effet, Cook a repris une entreprise dont il savait pertinemment qu'elle allait écouler plus de smartphones et de tablettes à l'avenir, ceci malgré une concurrence qui ne cesse de se renforcer. Pour le futur PDG de Microsoft, l'avenir semble moins doré et les objectifs on ne peut plus complexes.
Le prochain patron (ou la prochaine patronne) de la firme de Redmond aura ainsi la rude tâche de sauvegarder les parts de marché de Windows dans le secteur PC, d'augmenter les parts de marché de Windows Phone ainsi que celles de Windows RT et 8 dans les tablettes tactiles. Il devra veiller à ce que Google ne devienne pas un concurrent trop important dans les PC ou encore la bureautique. Il lui faudra conserver son importance chez les professionnels tout en courtisant le grand public.
Il lui faudra aussi gérer une crise des PC qui s'annonce durable. Il devra trouver une solution pour stopper la chute d'Internet Explorer. Il sera chargé de gérer le développement de la Xbox One. Il aura pour immense défi de trouver une solution pour faire adopter Bing et surtout pour capter un marché publicitaire phagocyté par Google. Il devra continuer de développer sa branche Serveurs, ainsi qu'Office 365 et Yammer. Et, si possible, il lui faudra trouver de nouveaux marchés à conquérir ou à créer.
Avec de la chance, s'il arrive tardivement (l'an prochain), il n'aura pas à gérer les stocks des premières Surface, ni les ventes des Surface 2 ni même l'arrivée de Windows 8.1. Il n'aura pas non plus à gérer le lancement de la Xbox One, qui pourrait être assez délicat au regard de la communication calamiteuse de Microsoft à son sujet.
PDG de Microsoft, « c'est un boulot incroyablement difficile, voire infaisable »
Le futur dirigeant devra surtout supporter une pression gigantesque, non seulement parce qu'il ne sera que le troisième PDG de l'histoire de Microsoft, non seulement parce que le climat dans le secteur des PC ou encore d'internet n'est pas des plus favorables pour l'entreprise, mais aussi parce que le poste en lui-même est particulièrement complexe.
Brad Silverberg, qui a travaillé pour MS durant les années 90 sur des projets qui sont aujourd'hui la base de la firme (Windows, Office, etc.), a ainsi déclaré au micro de Reuters : « Je ne suis pas sûr que quelqu'un puisse faire mieux le boulot de Steve (Ballmer). C'est un boulot incroyablement difficile, voire infaisable. Peut-être faudra-t-il changer la définition même du poste, ce qui sera le prélude à des changements bien plus importants. »
Cette dernière remarque est importante, pour ne pas dire majeure. Si un patron a généralement pour rôle de communiquer avec les médias et d'établir une stratégie d'ensemble, il doit aussi trancher les décisions vitales de l'entreprise. Cela passe par exemple par l'aval ou non d'un projet initié par un employé particulier ou par le centre de recherche et développement de l'entreprise. Or le créateur de la Xbox est connue pour être une société disposant d'un pôle de R&D très développé et vivant. D'innombrables projets y sont développés, ceci grâce à des budgets très élevés. Malheureusement, seule une faible portion des produits et logiciels issus de ces recherches voit le jour. Un exemple parmi tant d'autres : un concept de tablettes a été annulé par Microsoft peu avant le lancement de l'iPad.
Si Microsoft veut resplendir à nouveau, il ne doit donc pas seulement changer de tête. Après tout, ce serait trop simpliste. Une entreprise n'est pas comme un club de sport collectif où le changement d'entraineur modifie totalement l'esprit d'une équipe et ses performances, parfois en un temps record. Son futur président n'aura en effet qu'un bien faible pouvoir sur le marché des PC. Il ne pourra pas pousser d'un coup de baguette magique les internautes à se rendre sur Bing et à abandonner Firefox, Chrome et Safari pour Internet Explorer. Et il ne pourra pas convaincre aisément la population des bienfaits de l'interface de Windows 8. Il ne sera pas un super-héros.
Le futur patron de Microsoft peut par contre insuffler une nouvelle culture à son entreprise. Un esprit neuf, qui impliquera un fonctionnement interne différent, un processus décisionnel plus réfléchi, plus osé et en même temps plus rapide, et en définitive une stratégie moderne. Steve Ballmer a d'ailleurs déjà réalisé des changements importants en ce sens, mais il n'est pas certain que le travail soit terminé. Microsoft souffre de façon évidente d'une image vieillissante. Apple a su éviter cette situation malgré son grand âge. IBM est peu présent dans le marché grand public et souffre donc moins d'une telle image. Mais face à Google, Apple et d'autres sociétés plus ou moins récentes, le créateur de Windows est loin de réussir à faire rêver, ou même de susciter l'enthousiasme, ceci malgré un budget marketing astronomique.
Si le prochain patron de Microsoft doit avoir un objectif, c'est bien celui-ci : faire retrouver à son entreprise une image plus dynamique, capable de surpasser ses concurrents dans tous les secteurs. Et cela passe à la fois par un changement d'état d'esprit interne et une nouvelle façon de communiquer. Nous ne pouvons que lui souhaiter bonne chance, tant la tâche s'annonce complexe.