Petit coup de froid dans le régime de la responsabilité de l’hébergeur ? Le TGI de Brest a condamné Overblog pour ne pas avoir retiré des propos outranciers jugés manifestement illicites. L’hébergeur refusait un tel retrait estimant qu’il n’avait pas à entrer dans le débat de la licéité de ces contenus. Mais les juges ont répondu qu'un contenu manifestement illicite doit être retiré, même si l'illicéité n'est pas certaine.
L’auteure du blog « un petit coucou », hébergé par Overblog, avait posté un texte rempli d’injures et de diffamations publiques à l’égard d’une autre femme. L’hébergeur avait rapidement eu connaissance de ces propos sulfureux, mais refusait de les retirer, malgré plusieurs demandes en ce sens adressées par la victime.
Manifestement illicite n'est pas certainement illicite
Appliquant strictement la loi sur la confiance dans l’économie numérique, Overblog estimait ne pas avoir à se prononcer sur le caractère illicite des contenus publiés. Et pour cause : selon l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel, l’hébergeur ne doit retirer que les contenus manifestement illicites. Or, dans le domaine de la diffamation, on ne sait pas toujours si les propos ne sont pas en réalité vrais. Traiter quelqu’un d’escroc n’est pas diffamatoire si le concerné est vraiment un escroc. Mais de fait, la seule certitude doit venir du juge qui doit dire si oui ou non telle affirmation est finalement vraie ou outrancière. Entre temps, l’hébergeur doit héberger et surtout ne pas se mêler de ces échanges sous peine de menacer la liberté d’expression.
Ce 11 juin 2013, le tribunal de grande instance de Brest va donner un nouvel éclairage à cette approche (le jugement sur Legalis). Selon les magistrats, pour qu’un hébergeur ait l’obligation de retirer un contenu, il n’est pas nécessaire que ce contenu soit « certainement illicite, mais seulement qu’il le soit manifestement ». Nuance ! Du coup, quand les propos accusent une personne de faits « très improbables » en raison du caractère outrancier et du contexte, l’hébergeur n’a pas à hésiter : il doit supprimer sans attendre. En d’autres termes, il ne doit pas attendre un éventuel jugement pour être certain que ces propos soient vrais ou faux : il doit retirer.
Une guenon, des cochons
Dans ce blog, des propos comme « guenon », « malade bouffie de haines » ou « immonde » seront considérés par le TGI comme des termes outrageants et « manifestement illicites ». Ce même blog accusait encore la plaignante d’être à la tête d’une bande d’assassins, de manipuler des malades mentaux, de l’espionner par des écoutes téléphoniques, de l’avoir fait harceler elle et sa mère sexuellement par des malades mentaux, de vouloir prostituer des femmes ou les faire « violer par des porcs ».
Selon les juges, ce cumul d’accusations délirantes aurait dû conduire Overblog à considérer le tout comme dénué de fondement et donc « manifestement illicite ». Mis en demeure par la victime, l'hébergeur aurait dû retirer sans attendre, ce qu’il n’a pas fait, La société sera condamnée finalement à 10 000 euros d’amende et solidairement avec l’auteur des propos, à 5 000 euros de dommages et intérêts. Celle-ci sera en outre condamnée à 8 000 euros avec sursis.
Effets d'une telle décision ?
Overblog, toujours combatif sur le terrain de la responsabilité des hébergeurs, a cependant fait appel devant la cour d’appel de Rennes. Cette décison est importante : si elle fait jurisprudence, elle pourrait obliger l'hébergeur à retirer un contenu qui finalement pourrait être parfaitement licite.
Avec ce genre de jugement, il faudra pas s'étonner qu'on crée des réflexes de censure par les hébergeurs #lapeurauventre
— Olivier Iteanu (@iteanu) August 29, 2013
Un peu de science-fiction : un blog s’en prend à l’ancien président d’une organisation internationale spécialisée dans la coopération monétaire. De source sûre, il l’accuse d’agressions sexuelles, de tentatives de viol, de séquestration à l’encontre, disons, d’une femme de ménage. Le lendemain, il enchaîne avec un nouveau post où il soupçonne ce même personnage d’organiser des parties fines avec une brochette de prostituées et les notables du coin. Que doit faire l’hébergeur face à ces accusations manifestement délirantes mais peut-être bien certaines ?