La semaine dernière, nous apprenions que les locaux du journal britannique The Guardian avaient été visités par des agents anglais du renseignement. Plusieurs disques durs et ordinateurs avaient été détruits pour supprimer les données envoyées par le lanceur d’alertes Edward Snowden. Le Guardian, pour faire face à la pression, a décidé de s’associer au New York Times, comme à l’époque de la crise WikiLeaks.
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Le Guardian face aux pressions gouvernementales
Les documents dérobés par Edward Snowden ont provoqué de nombreuses conséquences, tant au niveau politique que du grand public. Alors que la commissaire européenne Viviane Reding parlait récemment d’une potentielle crise de confiance des entreprises envers le cloud, des journaux tels que le Washington Post et le Guardian continuaient de révéler l’ampleur du renseignement américain. Le Guardian a dû faire face en conséquence au renseignement anglais, le GCHQ (Government Communications Headquarters), dont des agents ont détruit des unités de stockage dans le but de supprimer les documents reçus d’Edward Snowden en personne. Comme l’indiquait alors Alan Rusbridger, rédacteur en chef, cette action prouvait une méconnaissance totale de l’ère numérique.
Un partenariat avec le New York Times
Le Guardian a donc décidé d’établir un partenariat avec le New York Times. L’objectif annoncé est clairement de pouvoir continuer à travailler sans être inquiété par le gouvernement anglais. Dans l’annonce, qui date de vendredi soir, le journal s’explique en quelques mots :
« Dans un climat d’intense pression de la part du gouvernement anglais, le Guardian a décidé de faire entrer un partenaire américain dans la partie pour travailler sur les documents du GCHQ fournis par Edward Snowden. Nous travaillons en partenariat avec le New York Times et d’autres pour continuer à pouvoir écrire sur ces sujets ».
Le journal explique qu’il est devenu délicat de travailler face aux demandes du gouvernement et la volonté de ce dernier de faire arrêter les sujets qui dérangent visiblement. Des pressions subies depuis plus d’un mois à cause de plusieurs articles pointant vers la machinerie mise en place par le GCHQ. C’est notamment le cas de Tempora, qui agit comme une énorme mémoire tampon, mettant de côté les données qui transitent au Royaume-Uni à des fins d’analyse.
Les journaux déjà associés en 2010 durant la crise WikiLeaks
Pour le Guardian, l’association avec le New York Times est doublement logique. D’une part, le journal estime que les médias américains sont protégés par le Premier amendement de la Constitution américaine, qu’il estime suffisamment puissant pour garantir la sécurité. D’autre part, ce partenariat n’est pas le premier de ce type. Lors de la crise Wikileaks en 2010, des pressions équivalentes étaient apparues sur les médias, et le Guardian, le New York Times et Der Spiegel (journal allemand) s’étaient associés de la même manière pour protéger leur travail.
Si le Guardian ne devait plus écrire sur les sujets touchant aux documents d’Edward Snowden, le contenu pourrait être directement publié par le New York Times. Un puissant pied-de-nez au gouvernement anglais qui aurait bien peu de recours. Un gain également pour le New York Times, moins impliqué dans les fuites de la NSA, Prism, du GCHQ et du renseignement en général que le Guardian et le Washington Post. Et pour cause : le Times n’a jamais reçu une copie des documents de Snowden. Cependant, dans le cadre du partenariat, le journal américain en possède maintenant une partie. Selon le Guardian, Edward Snowden a donné son accord.
Le New York Times disposera d'une partie des documents de Snowden
Cela signifie non seulement que certains articles seront co-écrits, mais également que le Times sera un nouvel acteur dans la médiatisation des informations sensibles. Aux États-Unis, il viendra donc concurrencer directement le Washington Post qui, jusqu’à présent, était la source américaine la plus prolifique. On se souvient effectivement que c’était le Post qui avait publié les premières diapositives d’un document PowerPoint montrant le fonctionnement général du programme de surveillance Prism de la NSA.
Cette nouvelle fait suite à d’autres informations publiées par le journal anglais The Independant. Un article avait pointé en particulier vers une station d’écoute Internet au Moyen-Orient, utilisée par le GCHQ pour établir une première ligne de défense contre le terrorisme, mais pas seulement : les « intentions politiques des puissances étrangères », la prolifération des armes, les mercenaires, les armées privées et mêmes les grandes fraudes fiscales étaient autant de sujets qui intéressaient le renseignement britannique.
Journaux anglais : un jeu de dupes ?
L’Independant indiquait avoir reçu ses informations des documents d’Edward Snowden. Problème : vendredi, le journaliste Glenn Greenwald, à l’origine d’un grand nombre d’articles sur Prism et le GCHQ, démentait cette information. Il publiait un message d’Edward Snowden dans lequel le lanceur d’alertes affirmait ne jamais avoir fourni la moindre information à l’Independant : « Je n’ai parlé, travaillé ou fourni le moindre matériel journalistique à l’Independant. Les journalistes avec qui j’ai travaillés ont, à ma demande, été judicieux et ont fait attention à ce que les éléments publiés soient ce que le public devrait savoir mais sans mettre la vie de personne en danger ».
Snowden émet d’ailleurs une hypothèse : « Il semblerait que le gouvernement anglais cherche désormais à montrer que les révélations du Guardian et du Washington Post sont nocives, et qu’il le fasse en fournissant des informations nuisibles à l’Independant tout en l’attribuant à d’autres ». En clair, le gouvernement aurait lui-même fourni les informations dangereuses à l’Independant tout en laissant penser qu’elles provenaient d’Edward Snowden en personne. Il s’agirait donc d’une manipulation.
Or, l’Independant a indiqué dans un tweet, en réaction à l’article de Glenn Greenwald, que le journal n’avait pas été manipulé par le gouvernement. Mais le rédacteur en chef, Oliver Wright, n’a donné aucun détail supplémentaire. Ce qui laisse évidemment la question en suspens : d’où provenaient les informations acquises par l’Independant ? Aucune source n’a été donnée et si l’Independant a réellement une copie partielle ou complète des documents de Snowden, ce n’est pas par le lanceur d’alertes lui-même.