Le site Groklaw est connu depuis plusieurs années pour son travail sur l’environnement juridique autour du monde open source. Mais sa fondatrice, Pamela Jones, a annoncé hier soir que l’aventure était désormais terminée. La raison invoquée en inquiètera plus d’un : la surveillance totale des communications internet ne lui permet plus d’assurer convenablement sa mission.
Crédits : Neil Turner, licence Creative Commons
Une référence dans le domaine légal pour l'open source
Groklaw a été fondé en 2003 par la paralégale Pamela Jones comme un blog centré sur les lois qui touchaient de près ou de loin l’univers open source. Le site s’est particulièrement fait un nom durant les nombreux affrontements entre la société SCO et les revendeurs de solutions Linux, l’entreprise s’estimant en possession de brevets fondamentaux sur le système d’exploitation Unix. Pour rappel, en mars 2010 et après bien des péripéties, un juge avait déclaré Novell comme détenteur légitime de ces brevets.
Le site est intervenu sur de nombreux sujets polémiques, ayant notamment trait à Microsoft. Ce fut ainsi le cas pendant les années de tension entre la firme et l’Europe, en particulier lors des procès antitrust et de la normalisation ISO du format de document Open XML de la suite Office. Mais le dernier billet posté hier soir par Pamela Jones raconte comment, à la lumière des évènements entourant le scandale Prism et la fermeture du service d’emails sécurisés Lavabit, elle a décidé de mettre un terme à l’aventure de Groklaw.
Une atmosphère délétère
Dans un très long billet explicatif, elle raconte comment elle est arrivée sur New York et la manière dont elle s’est sentie quand elle s’est fait cambrioler peu de temps après. Le sentiment de viol de l’intimité est désormais comparable selon elle à ce que l’on peut vivre sur Internet : « Et la vérité toute simple est qu’importe la qualité des motivations pour la collecte et l’enregistrement de tout ce que nous pouvons dire à une autre personne, qu’importe que nous n’ayons rien à nous reprocher du point de vue de nos observateurs, je ne sais pas fonctionner dans une telle atmosphère ». En d’autres termes, elle s’oppose au classique « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre ».
Elle indique également se rappeler du traumatisme profond des évènements du 11 septembre, élément déclencheur d’une politique de la peur aux États-Unis et du vote de plusieurs lois anti-terroristes et liberticides, dont le Patriot Act. Car le créneau de Pamela Jones est précisément la liberté individuelle et le respect de la vie privée : « Ce que je sais, c’est qu’il est impossible d’être totalement humain si vous êtes surveillé 24h/24, 7j/7 ».
« Internet est terminé »
Estimant désormais qu’« Internet est terminé », elle cite un passage d’un livre de Janna Malamund intitulé Private Matters : In Defense of the Personal Life décrivant comment notamment la surveillance est un puissant moyen de contrôle :
« L’une des fonctions de la vie privée est de fournir un espace sûr loin de toute terreur ou agression. Lorsque vous enlevez à une personne sa capacité à s’isoler ou à conserver des informations intimes pour elle-même, vous la rendez extrêmement vulnérable…
L’état totalitaire surveille tout le monde, mais garde ses plans secrets. La vie privée est considérée comme dangereuse, car elle favorise la résistance. Espionner continuellement puis poursuivre les gens pour ce qui ne sont souvent que de petites transgressions de la loi, est une façon de maintenir un contrôle sur la société, de troubler et d’affaiblir l’opposition…
Et même si l’on se débarrasse de ceux qui nous harcèlent réellement, il est souvent difficile de ne pas se sentir soi-même surveillé : c’est pourquoi la surveillance est un moyen de contrôle extrêmement puissant. Cette tendance qu’a l’esprit de se sentir toujours surveillé même lorsqu’on est seul… peut vous inhiber. ... Quand ils se sentent surveillés sans en être vraiment sûrs, sans savoir ni si, ni quand, ni comment l’hostile surveillant agira, les gens se sentent effrayés, contraints, préoccupés ».
Sans vie privée, pas de liberté ni d'autonomie
La démonstration de Pamela Jones se focalise sur un thème régulièrement abordé : la nécessité du respect de la vie privée comme composante essentielle de l’autonomie et de la liberté. Un thème régulièrement abordé par le journaliste Jean-Marc Manach ou encore par Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net. Et si elle insiste autant sur ce point, c’est parce qu’elle estime désormais que ce qui faisait « la fondation de Groklaw est fini ».
Le site fonctionne en effet sur une base collaborative, les lecteurs envoyant un grand nombre d’emails pour fournir et échanger des informations. Certaines contributions revêtent des aspects particulièrement sensibles et Jones considère que l’espionnage fait sur les communications ne garantit justement plus aucune vie privée. Elle cite d’ailleurs le cas de la fermeture du service d’emails sécurisés de Lavabit, son fondateur ayant récemment indiqué avoir arrêté d’utiliser les emails en ajoutant : « Si vous saviez ce que je sais sur les emails, vous ne vous en serviriez plus non plus ».
La cessation d’activité de Groklaw est une nouvelle conséquence des ondes de choc du scandale Prism. Le programme de surveillance américain, révélé par les documents dérobés par Edward Snowden, est l’objet de nombreuses réactions depuis plus de deux mois maintenant. Les gouvernements, notamment américain et anglais, sont sur le qui-vive et interceptent tout ce qui a trait au lanceur d’alerte. C’est ainsi que les locaux du journal anglais The Guardian ont été visités par des agents du renseignement britannique pour exiger la destruction de disques durs et d’ordinateurs. La raison en était simple : le Guardian était en possession des fameux documents.
Quant à Pamela Jones, elle annonce qu’elle se tiendra aussi loin d’Internet que possible.