Les sites Cheesevideo et Cheesemusic ont pour ambition de devenir le vide-grenier numérique, selon l’expression de son responsable, Thomas Peyraut. Présentation de cette offre unique, qui permet de profiter du cloud, tout en disposant d'une place de marché pour revendre ses CD et DVD.
Le projet est né voilà deux ans, dans l'esprit de Julien et Chris Navas. L’un est concepteur de site web, le second avait fait ses classes chez Alcatel. Il est désormais architecte technique de ces deux composantes. Après une première levée de fonds, le site poursuit son développement en conservant un moteur simple mêlant cloud, numérisation et occasion.
Le client apporte ou envoie ses CD audio ou ses films DVD à Cheesevideo et Cheesemusic où ils sont numérisés. Les supports sont ensuite stockés dans l’entreprise. Les contenus sont mis à disposition du consommateur sur son ordinateur, sa TV connectée ou son smartphone. Il y accède en streaming ou téléchargement direct (MKV, H.264 et pour la musique MP3 320 Kb/s, prochainement peut être du FLAC). Au menu des films, VF, sous-titres, VO, bonus, etc.
L’accès dans le cloud perdure tant que l’utilisateur n’a pas récupéré ou remis en vente ses contenus. C’est là le modèle d’affaire de CheeseVideo et CheeseMusic : si le client décide de revendre ces supports d’occasion, la plateforme s’occupe de la transaction en prenant une commission de 80 centimes. « On se rémunère à la transaction, lors de l’achat-revente » nous précise Thomas Peyraut.
En cas de revente, le vendeur perd son accès numérique qu’il transmet au nouvel acheteur. Celui-ci peut décider de laisser le DVD en stock afin de profiter des fonctionnalités du cloud ou de récupérer ce support contre 3 euros. Une récupération très rare en pratique. Aujourd’hui, 15 000 CD et 3 000 films composent son stock. Les prix sont généralement autour de 2,90 euros le DVD, parfois un peu plus cher pour les nouveautés. La société se veut l’un des moteurs de la circulation de la culture, où l’accès aux contenus est facilité par une approche collaborative. Elle se confronte cependant à un droit balbutiant.
Copie et DRM sur les supports
Légalement, d’abord, les supports sont parfois protégés par des DRM. Comment se passe la numérisation dans un tel contexte ? « On ne fait pas de Blu-ray prévient Thomas Peyrault. Pour les CD, il n’y a pratiquement plus de verrou. Sur les DVD, nous avons mis en place un procédé de lecture-enregistrement. Nous utilisons des briques de logiciels libres. On fait une copie ISO bit à bit du support physique, nous lisons ensuite le support, le travail s’achève par une compression. » On se souvient que la Cour de cassation, sous les bons conseils de Marie Françoise Marais, avait sacralisé le DRM tout en niant l’existence d’un droit à la copie privée.
Pour valider son modèle, la société se drape derrière de multiples règles : le droit de l’achat-revente des biens d’occasion, le principe de la copie privée comme celui de l’interopérabilité, « qui dit que lorsque j’ai un DVD je dois pouvoir le lire sur le lecteur de mon choix ». Cependant, elle sait qu’elle défriche un univers en quête de règles, face à des ayants droit soucieux de leur rémunération dès lors qu’est évoqué le cloud.
Copie privée, revente d'occasion, interopérabilité
« On n’entre pas dans les cases absolument concède le PDG de la société. Quand on prend par exemple les critères de la copie privée, certains points peuvent faire débat ». Et pour cause, les esprits sont encore frappés par la jurisprudence née de l’arrêt Rannou Graphie du 7 mars 1984. La Cour de cassation avait estimé que la copie n’est privée que lorsque le copiste et l’utilisateur de la copie sont les mêmes. Ici, Cheesevideo et Cheesemusic réalisent ces duplications pour le compte d’un tiers. « Des jurisprudences plus récentes à la CJUE, rendues dans l’arrêt Padawan ou Amazon, introduisent le principe d’un prestataire qui réaliserait des copies pour le compte de tiers » tempère Thomas Peyraut qui préfère regarder vers l’avenir que rester vissé dans ce passé lointain.
Rencontres avec Lescure, la Hadopi, le CSPLA, le CSA et les ayants droit
L’entreprise veut déminer le terrain. Elle démultiplie les échanges. « On a rencontré la mission Lescure dont le rapport traite de la synchronisation cloud et milite pour une taxe sur les appareils connectés liée aux usages de copie dans le cloud ». La société a également présenté son projet à la Hadopi, au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ou au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique au ministère de la Culture.
« Globalement, toutes les institutions ont accueilli de façon très enthousiaste ce projet. Il y a une vraie problématique de l’offre légale existante de vidéo à la demande. Le catalogue est largement insuffisant et des prix ne sont pas accessibles à toutes les bourses ». D’autres échanges se sont noués avec les sociétés de gestion collective, les ayants droit et les producteurs. « Les négociations sont diverses et variées, parfois très positives ». Une certitude : « le cadre réglementaire va évoluer parce que l’usage est là. Il s’agit de déterminer le cadre juridique de ces copies » anticipe Thomas Peyrault. « On cherche à accompagner ces travaux réglementaires. »
Et la revente de fichiers numériques ?
À cette fin, l’entreprise ne cache pas son désir de participer à la commission sur l’occasion numérique récemment installée au ministère de la Culture. Que pense-t-elle de ce marché ? Citant l’exemple de ReDigi outre-Atlantique, la société estime qu’« il y a légitimité à ce qu’on soit capable de revendre ce qu’on achète numériquement. En revanche on doit garantir la traçabilité de ce qui est acheté et revendu. Si je copie 20 fois un morceau de musique que je revends sur les places de marché, le modèle ne dure pas et s’écroule sur lui-même. »
La question mérite une attention particulière, car elle soulève aussi des problèmes concurrentiels. « Apple et Amazon déposent des brevets sur des procédés de revente d’occasion chacun de leur côté. Nous militons pour l’interopérabilité. Il ne s’agit pas de dire j’achète chez iTunes et je revends d’occasion sur iTunes, j’achète chez Amazon, je revends d’occasion chez Amazon. Je comprends que ce soit leur stratégie, nous, nous sommes sur une logique beaucoup plus ouverte. On doit pouvoir revendre sur la place de marché de son choix avec la bonne interopérabilité et la bonne traçabilité. »
Contrat de confiance
Justement. Lorsqu’un client revend son DVD sur Cheesevideo, qu’est-ce qui garantit qu’il a effacé le fichier du film, préalablement téléchargé par direct download ? « C’est un contrat de confiance » tempère le CEO, qui rappelle une évidence : « aujourd’hui lorsque vous achetez un CD à la FNAC, que vous le numérisez sur iTunes et le revendez sur eBay, de la même façon vous devriez effacer les copies. Ce point fait partie des discussions. Je parlais de traçabilité. Entre autres pistes de travail, nous avons mis en place un watermarking où dans la version numérique on sait qui est le propriétaire, dont le nom est associé au DVD. »