Au Sénat, une disposition a été ajoutée au projet de loi destiné à lutter contre la fraude fiscale pour traquer l’évasion par des logiciels de comptabilité volontairement troués. Explications.
Pour payer moins d’impôt, l’une des techniques bêtes et méchantes est évidemment pour l’entreprise de ne pas enregistrer ses recettes. Plus subtile, une autre solution consiste à enregistrer docilement ses recettes pour les effacer ensuite sans laisser de trace. Une comptabilité fantôme permise grâce à des logiciels de caisse conçus à cette fin.
L'affaire des pharmaciens
Fantasme ? Un scandale a éclaté à partir de 2010 dans le milieu des pharmaciens. Quatre mille officines étaient alors mises en cause pour une fraude estimée à 400 millions d’euros chaque année. À l’index, un logiciel permettant de raboter les recettes pour dégonfler l’impôt à payer. Le procureur de la République expliquait à l’époque le caractère hors du commun de cette affaire : « Ce qui est exceptionnel, c'est que le mode de minoration se trouve inclus dans le logiciel lui-même et est fourni par la société qui prépare les logiciels de comptabilité des pharmacies, sous réserve de demander l'accès au code informatique. » Avec ce code magique, le fameux logiciel démultipliait ses fonctionnalités. Par exemple, corriger et reconstituer les recettes automatiquement a posteriori en fixant un montant déterminé de recettes à éluder, ou en ne comptabilisant pas les recettes en liquide. Pratique !
Des logiciels permissifs, des logiciels frauduleux
L’an passé, la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales avait marqué son intérêt à l’élimination de ces « pourriciels ». Message transmis au Sénat. Dans le cadre du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, les sénateurs ont adopté à l’unanimité, sous l’avis « très favorable » du gouvernement, un amendement du GRC (Groupe communiste républicain et citoyen) contre ces logiciels dits permissifs et ceux qualifiés de frauduleux.
« Au cours de la période récente, cette fraude s’est développée et a été encouragée et facilitée par la commercialisation de certains logiciels de comptabilité ou de gestion de système de caisse qui comportent des failles de sécurités permettant d’effacer des recettes préalablement enregistrées sans laisser de trace (logiciel permissif) voire organisent la fraude par des fonctions permettant de rectifier et de reconstituer les recettes automatiquement a posteriori un montant déterminé de recettes à éluder (logiciels frauduleux) » expliquent les parlementaires en appui de leur amendement.
Malheur à celui qui égarera l'administration fiscale
L’arsenal sera le suivant : les éditeurs seront tenus de présenter à l'administration fiscale, sur sa demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui de rattachent à leur logiciel de comptabilité ou de gestion. Ces informations seront mises à disposition durant trois ans. En cas de violation de ces obligations (défaut de réponse, non-conservation), l’éditeur risquera une amende de 1 500 euros par logiciel vendu.
Quand le fisc parviendra à démontrer que ces éditeurs ont permis d’esquiver l’impôt « par une manœuvre destinée à égarer l'administration », ces faits seront passibles d’une lourde amende : 15 % du chiffre d’affaires de ces éditeurs. L’amende pourra même être infligée aux distributeurs s’il est démontré qu’ils « savaient ou ne pouvaient ignorer » ces failles volontaires. Et pour faire bonne mesure, les éditeurs seront enfin responsables solidairement des impôts finalement dus par ceux qui se sont servis abusivement de leurs logiciels.
Le texte doit encore subir un examen en Commission mixte paritaire avant un vote définitif et une publication au Journal officiel.