Faudra-t-il payer pour avoir le droit de lire du texte en ligne ? C’est en substance la question qui a été soulevée devant les juridictions anglaises dans un procès mettant en cause une agence de relations publiques et la Newspaper Licensing Agency Limited (NLA), société de gestion collective représentant des éditeurs de presse.
En 1997, Richard Stallman mettait en évidence la notion de droit de lire dans un texte d'anticipation. « Dans ses cours sur les logiciels, Dan avait appris que chaque livre avait un moniteur de copyright qui rapportait quand et où il était lu, et par qui, à la Centrale des licences. (Elle utilisait ces informations pour attraper les lecteurs pirates, mais aussi pour vendre des renseignements personnels à des détaillants.) La prochaine fois que son ordinateur serait en réseau, la Centrale des licences s'en rendrait compte. Dan, comme propriétaire d'ordinateur, subirait les punitions les plus sévères — pour ne pas avoir tout tenté pour éviter le délit »(extrait du Droit de Lire, février 1997).
Quelques années plus tard, le sujet est très sérieusement posé outre-Manche, dans le cadre d’un contentieux mettant en cause la NLA. Quand l’internaute lit un texte en ligne et procède du même coup à une copie temporaire sur son ordinateur, peut-on évoquer la mise en jeu d’une exception au droit d’auteur ou est-on dans le droit exclusif ? L'alternative n'est pas sans effet puisque dans ce dernier cas, cela exigerait l’autorisation des ayants droit qui seraient du même coup en capacité de monnayer cet accès. Cela reviendrait finalement à faire payer le droit de voir, le droit de lire sur le Net.
Droit de lire et exceptions au droit d'auteur
Dans cette affaire, l’agence Meltwater utilise un robot pour explorer les différents sites de presse. Elle adresse alors une veille presse par mails à ses propres clients avec des liens vers ces articles. Problème : quid lorsque ces données sont seulement accessibles depuis le site web de l’agence ? La Cour d’appel a déjà considéré qu’aucune exception ne couvrait cet accès pas même la copie temporaire et technique qui ne vise que la copie fortuite et intermédiaire (commentaire en anglais). Selon l’article 5§1 de la directive 2001/29, en effet, un acte de reproduction n’est exempté du droit de reproduction que s’il remplit une série de conditions, notamment si « l’unique finalité de ce procédé est de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé. » Cette notion d’utilisation « licite » joue ici les grains de sable.
Le 17 avril dernier, la Cour Suprême du Royaume Uni a quelque peu atténué les solutions dégagées par les juges du fond en posant clairement les termes du débat : « si le simple fait de voir un contenu protégé par le droit d’auteur sans téléchargement ou impression est une contrefaçon, estime-t-elle, alors ceux qui naviguent sur internet « sont susceptibles involontairement d’engager leur responsabilité, au moins en principe » (le jugement, une présentation de cette affaire en français).
On devine sans mal les effets d’une telle jurisprudence à l’échelle européenne puisqu’il suffirait de se promener sur une page web protégée par le droit d’auteur pour être éligible à la sanction. « Cela semble être un résultat inacceptable qui conduirait à qualifier de contrefacteurs des millions d’utilisateurs ordinaires de l’Internet à travers l’Europe, ceux qui utilisent des navigateurs ou des moteurs de recherches à des fins privées ou commerciales » écrit déjà la Cour suprême.
Celle-ci a donc déposé une question préjudicielle dont on connait désormais le contenu (voir la capture ci-dessus). Elle vise à savoir si le simple fait de surfer sur des contenus protégés tombe ou non sous le coup de l’exception de copie technique. En cas de réponse négative, cela pourrait signifier un passage obligé par le tiroir-caisse et un bel et radieux avenir pour les ayants droit.