La mission parlementaire sur l'optimisation fiscale des entreprises, dirigée par Éric Woerth (UMP) et Pierre-Alain Muet (PS), a rendu son rapport hier soir. Et si les très grandes entreprises françaises sont relativement épargnées, ce n'est pas le cas des géants internationaux du web et de l'informatique, dont Google, Apple, Microsoft, Amazon ou encore Facebook.
Depuis plusieurs années, les nouvelles se multiplient quant aux optimisations fiscales de grandes entreprises américaines présentes à l'international. La technique, légale, est la même partout : via un jeu de filiales et de holdings situées dans des territoires à la fiscalité très avantageuse, les multinationales s'arrangent pour facturer leurs services réalisés en France (et dans tous les grands pays) au nom de ces filiales. Un moyen de déclarer de très faibles chiffres d'affaires et bénéfices dans ces pays riches, et ainsi de payer de ridicules impôts sur les bénéfices, quand des impôts sont payés.
Apple et Facebook refusent de communiquer avec les parlementaires
Pointées du doigt en France, mais aussi au Royaume-Uni, en Allemagne et dans bien d'autres pays du globe, ces méthodes font l'objet d'enquêtes au niveau politique. En France, une mission parlementaire composée de huit députés et dirigée par Éric Woerth et Pierre-Alain Muet est menée depuis plusieurs mois. 70 personnes ont été auditionnées selon l'AFP, néanmoins, plusieurs entreprises, dont Apple et Facebook, ont tout simplement refusé de répondre aux questions des parlementaires.
« Apple et Ikea ont opposé une fin de non-recevoir : sans autre forme de procès pour la première, la seconde affirmant dans un courrier au président de la mission qu'elle ne disposait malheureusement pas de compétence dans ce domaine très technique, ce qui apparaît soit improbable soit inquiétant pour une entreprise de cette taille. Cette attitude est bien évidemment inacceptable » a expliqué Pierre-Alain Muet. Éric Woerth a pour sa part confirmé que Facebook en avait fait de même.
Un manque à gagner de plusieurs milliards d'euros pour l'État
Le rapport, qui se base notamment sur les données de la Fédération française des télécoms, indique que Google, Facebook, Amazon, Apple et Microsoft réunis n'ont déclaré qu'un milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2011, pour un impôt sur les sociétés de seulement 37,5 millions d'euros. Des sommes ridicules alors que ces cinq sociétés ont réalisé un chiffre d'affaires de 8 milliards d'euros selon des estimations. Un bilan qui aurait entrainé près de 800 millions d'euros d'impôts. Sur plusieurs années, le manque à gagner pour l'État est donc considérable.
Si Pierre-Alain Muet confesse que le phénomène de l'optimisation fiscale est « difficile à quantifier », il n'empêche que « lorsque l'optimisation utilise les failles de certaines législations nationales pour s'affranchir de l'impôt sur les sociétés, comme le font certaines multinationales (...), on n'est plus très éloigné de l'évasion fiscale à grande échelle ». Et à ce jeu-là, les multinationales étrangères et en particulier américaines sont les meilleures.
Pourtant, tout le monde sait que l'optimisation fiscale est loin d'être une exclusivité américaine. De très nombreuses sociétés françaises ont aussi des filiales dans des pays où elles ne proposent aucun service. Le CAC 40 en regorge. Malgré cette situation, le rapport est particulièrement clément envers ces très grandes entreprises nationales. Sans toutefois nier qu'il y a bien une optimisation fiscale de leur part, les parlementaires expliquent que l'impact fiscal de ces optimisations est « beaucoup moins important » que celui des sociétés comme Google, Microsoft et Amazon.
Cette situation, explique Éric Woerth, serait liée à « un secteur du numérique moins important » chez les sociétés françaises, or « les problèmes d'optimisation fiscale se sont fortement développés avec l'essor de l'économie numérique » note-t-il. Plus étonnant, l'ex-ministre du Budget remarque « qu'une certaine forme de civisme fiscal prévaut encore » parmi les grandes entreprises nationales.
Redéfinir la notion d'établissement stable
Afin de contrer toutes ces optimisations fiscales, vingt propositions ont été dévoilées dans le rapport parlementaire. Outre une renégociation des conventions fiscales internationales de l'OCDE, il est proposé de redéfinir la notion d'établissement stable. Une proposition qui n'est pas nouvelle, puisqu'au début de l'année, que ce soit dans le rapport de Collin et Colin sur les données personnelles, le séminaire gouvernemental sur le numérique, ou encore dans le rapport sur la fiscalité du numérique, cette idée avait déjà été émise. Le concept est simple : l'actuelle définition de l'établissement stable implique une présence physique afin de pouvoir être imposé par un État, ce qui n'a aujourd'hui plus aucun sens à l'heure d'Internet. La nouvelle définition voudrait tout simplement prendre en compte l'activité locale de l'entreprise, même virtuelle. Mais il faut nécessairement une négociation internationale pour atteindre cet objectif. Dans le cas contraire, les risques de double imposition sont élevés.
Il est aussi préconisé d'harmoniser la fiscalité européenne, avec notamment une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Pierre-Alain Muet a aussi tenu à déclarer que « l'Union européenne devrait faire pression sur l'Irlande et les Pays-Bas pour qu'ils arrêtent de ne pas prélever à la source les revenus partant vers des paradis fiscaux ».
Enfin, le rapport a repris les grandes lignes de celui dévoilé le mois dernier par l'Inspection générale des finances (ici), et qui pointait notamment du doigt les facturations entre filiales françaises et étrangères des multinationales, dans le but d'éviter un maximum d'impôt. Des pénalités plus fortes envers les entreprises en cas de manquement à l'obligation documentaire seraient par exemple un moyen pour le fisc d'être plus dissuasif. Enfin, dans le but d'éviter la « double non-imposition » via des exonérations à la fois en France et dans un autre pays, les deux rapports ont avancé l'idée de renverser la charge de la preuve en matière de transfert entre filiales d'une même société, ceci en contraignant les multinationales à démontrer elles-mêmes la justesse des prix de transfert.