Lundi, la décision d’un tribunal américain a relancé l’espoir chez les groupes de défense des libertés civiles. Un juge a en effet rendu un verdict important : le gouvernement ne peut pas toujours se cacher derrière les privilèges de « secrets d’État » pour bloquer un procès qui toucherait la NSA d’un peu trop près. Une première.
Crédits : EFF, licence Creative Commons
Le mur du secret d’État
L’affaire remonte à plusieurs années, bien avant qu’Edward Snowden ne commence à publier des informations sur le programme Prism grâce à des documents dérobés à la NSA (National Security Agency), via des articles sur The Guardian et le Washington Post. En 2006, un lanceur d’alertes, Mark Klein, révèle que l’opérateur AT&T est de mêche avec l’agence de sécurité : des équipements spécifiques ont été installés dans un local de San Francisco pour espionner toutes les données qui transitent par le réseau.
Une plainte est alors déposée et soutenue activement par l’EFF (Electronic Frontier Foundation). Pourtant, l’affaire se heurte à un véritable mur : un privilège du gouvernement qui consiste à déclarer qu’un procès révèlerait des « secrets d’État » et mettrait donc la sécurité du pays en danger. Un élément récurrent depuis les attentats du 11 septembre 2001 et l’institutionnalisation de la surveillance qui a suivi, grâce notamment à plusieurs lois telles que le Patriot Act et le Foreign Intelligence Surveillance Act. C’est d’ailleurs la loi FISA qui sert de base légale au programme Prism révélé par Edward Snowden.
Un privilège efficace
Pour comprendre la difficulté d’un tel procès pour les plaignants, un bref historique s’impose. La plainte a été déposée en 2006 mais il aura fallu deux ans pour que des décisions significatives soient annoncées. C’est ainsi qu’en 2008, le Congrès américain confirme l’immunité judiciaire aux opérateurs télécom pour leur participation aux programmes de la NSA. Un an plus tard, l’appel de l’EFF ne donne rien, l’immunité étant confirmée par la cour.
L’année dernière, le directeur national du renseignement, à la demande du sénateur Ron Wyden, extrait plusieurs documents jusque-là classés top secret. Le responsable confirme alors que les programmes de surveillance américains ont bien violé « au moins une fois » la Constitution. Il s’agissait alors d’une première cassure car l’EFF ne visait rien de moins que de généraliser ce constat à l’ensemble des actions de la NSA dès lors qu'elles touchent les citoyens américains. Car si la loi FISA donne de grands pouvoirs aux agences de renseignement, elle met théoriquement à l’abri les citoyens américains.
Une « victoire formidable » selon l'EFF
Or, la décision rendue lundi par le juge Jeffrey White jette un pavé dans la marre. La défense, qui représente la NSA, Barack Obama, Georges W. Bush ou encore Keith Alexander (directeur de la NSA depuis 2005), fait face à un tournant : « Étant donné les multiples révélations d’informations sur le programme de surveillance, la cour ne considère pas que le cœur du problème abordé par les plaintes constitue un secret d’état » peut-on ainsi lire dans le jugement.
Le juge rappelle dans sa décision qu’il y a eu en outre, depuis 2005, suffisamment de révélations volontaires par des officiels du renseignement pour que les programmes de surveillance, le type de cible ou encore certaines procédures ne puissent plus être protégées par le secret d’État. Cependant, il ajoute que même si la plainte va pouvoir suivre son cours, il est évident que certaines informations ne pourront en aucun cas être révélées, car jugées trop sensibles.
Désormais, les parties vont devoir rassembler leurs éléments, un point étant prévu pour le mois prochain. De son côté, l’EFF, par la voix de sa directrice juridique Cindy Cohn, a confirmé qu’il s’agissait d’une « victoire formidable » et que la décision du juge avait été « courageuse ».