Depuis hier matin, se tient à Lyon le forum international « Technology Against Crime ». Différentes personnalités politiques ont d’ores et déjà été amenées à intervenir, dont Mireille Ballestrazzi, présidente d’Interpol, Cécilia Malmström, commissaire européenne aux affaires intérieures, mais aussi Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. Le locataire de la Place Beauvau est d’ailleurs revenu à cette occasion sur la difficile conciliation entre outils de cybersurveillance et protection des libertés individuelles.
« Nous sommes au cœur d’une révolution numérique et technologique », a commencé par exposer Manuel Valls. Mais si le ministre de l’Intérieur en a appelé à « prendre pleinement mesure de cette révolution, [en plongeant] dans ses conséquences technologiques, industrielles, économiques, sociales, juridiques et bien sûr politiques », il a cependant apporté un bémol en la matière. « Les libertés publiques doivent constituer notre fil rouge » a ainsi lancé le ministre en direction des participants du forum - essentiellement des entreprises et des délégations représentant une cinquantaine d’États.
« Les technologies font naître de nouveaux risques. Il est temps d’en prendre toute la mesure : cybercriminalité, détournement des identités, diffusion de messages de haine ou de radicalisation, piratage des systèmes d’information dans la perspective de détruire, de paralyser, d’affaiblir des États ou des organisations » a ensuite fait valoir Manuel Valls. Selon lui, « ces États et ces organisations sont aujourd’hui particulièrement vulnérables face aux interceptions sauvages de communications privées - notamment du fait du cloud-computing mal maîtrisé ou mal sécurisé - et aux stratégies d'intrusion très offensives dans les réseaux, soit depuis l'extérieur, soit par des dispositifs de captation de données implantés à l'intérieur des entreprises ou des organisations ».
Des cybercriminels qui ont « en permanence un temps d’avance »
Le « premier flic de France » s’est voulu grave, lorsqu’il a parlé des « préjudices inestimables » que peuvent causer certaines attaques. Manuel Valls a même évoqué les capacités de ces dernières à « compromettre à terme la survie même de ces États ou de ces organisations ». Et le ministre de reconnaître que cette « nouvelle forme de délinquance s’appuyant sur les nouvelles technologies a en permanence un temps d’avance sur les États et sur les organisations ».
Mais Valls ne veut pas baisser les bras. « Cette nouvelle donne nous conduit donc à revoir en profondeur nos modes d’action et nos propres organisations, a-t-il ainsi déclaré. Elle nous pousse aussi à nous appuyer de façon raisonnée sur la technologie pour trouver les réponses ou du moins les outils permettant de relever ces nouveaux défis ». Et ces « réponses opérationnelles » s’avèrent assez nombreuses, le ministre de l’Intérieur ayant fait référence à la cryptographie, la « vidéo-protection », la biométrie, les drones, le traitement de l’information de masse, les communications spatiales, etc. « Si nous ne voulons pas subir le changement technologique mais au contraire bénéficier de l’innovation de nos entreprises, nous devons donc continuer à l’intégrer dans nos stratégies de sécurité » a conclu le locataire de la Place Beauvau, tout en insistant sur la nécessaire formation des agents à ces nouvelles technologies.
Difficile équilibre entre protection des libertés individuelles et sécurité de chacun
Après de longues minutes à parler principalement des « États et organisations », Manuels Valls en est revenu aux citoyens. « Nous devons aussi intégrer ces technologies avec le souci constant d’un équilibre entre l’amélioration de la sécurité de chacun et le respect des libertés individuelles » a ainsi affirmé le ministre de l’Intérieur.
L’intéressé a ensuite détaillé sa vision de ce fameux « équilibre ». « Pour protéger leurs populations, tous les États ont besoin d’accéder à certaines communications électroniques, aussi bien en matière de renseignement que de poursuites judiciaires » a-t-il ainsi commencé à faire valoir. Mais si ces pratiques peuvent dès lors être autorisées, elles doivent être encadrées, a en substance fait valoir Manuel Valls. « L'exploitation des métadonnées ou des contenus n'est légitime que si elle se rapporte à des finalités de sécurité bien circonscrites » a-t-il ainsi expliqué, faisant directement référence à la lutte contre le terrorisme ou contre la criminalité organisée, à la protection des intérêts fondamentaux des États,... « L'accès aux données doit s'opérer par ciblage des individus ou groupes qui présentent une menace réelle, sous le contrôle d'une instance indépendante garantissant le respect de ces finalités et de ce ciblage... Bref, le déploiement de tout nouvel outil doit inclure dès le départ une réflexion sur les garanties, juridiques ou techniques, qui peuvent être apportées au respect fondamental des libertés individuelles ». D’après le ministre de l’Intérieur, il s’agit là d’une « condition indispensable pour que ces outils technologiques soient acceptés socialement, et [soient] donc efficaces ».
Des nouvelles technologies à faire accepter socialement
Alors que les différents programmes de surveillance américains et français suscitent la polémique depuis plusieurs semaines, Manuel Valls a affirmé que l’actualité récente démontrait « la nécessité d’une extrême vigilance sur la protection des données personnelles et le respect des libertés publiques ». Le ministre a ainsi résumé l'enjeu de la situation : « Nous avons besoin de développer ces nouvelles technologies pour lutter contre les menaces. Mais ces nouvelles technologies doivent recevoir la confiance de nos concitoyens ».
À l’attention notamment de la commissaire européenne aux affaires intérieures, Cécilia Malmström, le locataire de la Place Beauvau a tenu à rappeler la position de la France : « Alors qu’un règlement sur les données personnelles et une directive sur la protection des données applicables aux fichiers souverains sont en cours de négociation à Bruxelles, nous demandons à la Commission européenne d’être particulièrement vigilante sur ce sujet. Aucun nivellement par le bas ne serait acceptable, a assuré Manuel Valls. Nous souhaitons que la législation européenne s’applique à toutes les sociétés qui fournissent leurs services en Europe et que tous les citoyens puissent avoir la garantie de pouvoir s’adresser, en toutes circonstances, à une autorité de protection compétente dans leur pays ».
Mais ce beau discours sur la nécessaire protection des libertés individuelles des citoyens n’est-il pas incompatible avec les récentes révélations du Monde concernant un programme de surveillance « Prism » à la française ? Réponse de Manuel Valls à PC INpact : « Les services du Premier ministre ont déjà eu l’occasion de le dire : [les travaux menés par les services de renseignement français] sont encadrés par la loi, par la délégation du renseignement ». Selon le ministre de l’Intérieur, la situation est d’ailleurs « totalement différente » en France, par rapport aux États-Unis. « Nous avons, comme vous le savez, considéré qu’un certain nombre d’analyses ou de révélations ne correspondaient pas à la réalité » a insisté l’intéressé.