Le Conseil constitutionnel censure l'activation à distance d’appareils pour capter des sons et des images

Le Conseil constitutionnel censure l’activation à distance d’appareils pour capter des sons et des images

Localiser oui, écouter et voir c’est non

Avatar de l'auteur
Jean-Marc Manach

Publié dans

Droit

17/11/2023 6 minutes
25

Le Conseil constitutionnel censure l'activation à distance d’appareils pour capter des sons et des images

Le Conseil constitutionnel vient de donner un gros coup de canif dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice. Il « censure des dispositions relatives à l’activation à distance d’appareils électroniques afin de capter des sons et des images ».

« C’est une décision qui tombe au pire des moments pour le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti », écrit Le Monde, alors que le délibéré de son procès devant la Cour de justice de la République pour « prise illégale d’intérêts » doit être rendu public dans moins de deux semaines, le 29 novembre.

Saisi par « plus de soixante députés », le Conseil constitutionnel a en effet censuré en partie la « mesure phare » de son projet de loi d’orientation pour la justice : « l’activation à distance d’appareils électroniques, à l’insu de leur propriétaire ou possesseur » afin de permettre, « selon les cas, la géolocalisation ou la sonorisation et la captation d’images ».

La captation de sons et d’images censurées

Le Conseil estime en effet que « l’activation à distance d’appareils électroniques afin de capter des sons et des images sans même qu’il soit nécessaire pour les enquêteurs d’accéder physiquement à des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de sonorisation et de captation est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée ». 

Et ce, d'autant que cette mesure « permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers ».

Conclusion des Sages : « Dès lors, en permettant de recourir à cette activation à distance non seulement pour les infractions les plus graves mais pour l’ensemble de celles relevant de la criminalité organisée, le législateur a permis qu’il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ».

Le Conseil constitutionnel censure ainsi « le 46 ° du paragraphe I de l’article 6 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ainsi que le 47 ° du même paragraphe I, qui en est inséparable ».

Pas de censure pour la géolocalisation

Le Conseil constitutionnel précise néanmoins que les autres dispositions contestées, qui autorisent « l’activation à distance d’appareils électroniques à des fins de géolocalisation, ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée ».

Ce qui pose donc problème aux Sages concerne les actions permettant de capter des sons et des images, mais pas la géolocalisation. Il existe aussi une différence, comme le rappelle le Conseil dans son communiqué : « il ne peut être recouru à l’activation à distance d’un appareil électronique, s’agissant de la géolocalisation, que lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou à un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent et, s’agissant de la sonorisation et de la captation d’images, que si la nature et la gravité des faits le justifient ».

Le mémoire en défense du gouvernement

Le gouvernement avançait que ces dispositions n'avaient « pas pour objet ou pour effet de créer de nouvelles techniques d’enquête », mais « seulement pour objet de mettre en œuvre les actes d’enquête existants » que sont la géolocalisation et la sonorisation ou la captation d’images par l’activation à distance d’un appareil électronique :

« Cette possibilité répond à la fois à la volonté d’améliorer l’efficacité du recours à ces techniques d’enquête et de prévenir les risques auxquels s’exposent les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale appelés à poser des dispositifs de géolocalisation ou de sonorisation ou de captation d’images au domicile de suspects dangereux. »

Il n’y a pas que les smartphones dans la vie

L'attention médiatique s'était focalisée sur les seuls « smartphones ». Pourtant, les révélations au sujet du logiciel espion Pegasus montrent qu'il est quasi impossible d'« activer à distance » et donc d'espionner un smartphone, même avec l'aide et l'assistance de Google et Apple. Les fabricants ont considérablement accru la sécurisation de leurs produits depuis les révélations Snowden.

Les chercheurs du Projet Zero de Google, experts en failles de sécurité, avaient en effet identifié en 2019 une attaque particulièrement sophistiquée exploitant pas moins de 14 vulnérabilités « 0 day » distinctes sur iOS.

En 2021, ils qualifiaient le code de Pegasus de « l'un des exploits les plus sophistiqués sur le plan technique que nous ayons jamais vus, ce qui démontre une fois de plus que les capacités offertes par le NSO rivalisent avec celles que l'on pensait jusqu'à présent accessibles à une poignée d'États-nations seulement ».

A contrario, l'activation à distance d'ordinateurs de bord de voitures, d’enceintes et d’autres objets connectés, et de tout autre terminal relevant de l'Internet des objets (boîtiers GPS d'entreprise, webcams en ligne, sans compter toutes les applications autorisant l'accès à la caméra, au micro ou à la géolocalisation) est a priori bien plus intéressante pour les forces de l'ordre.

Le nombre de failles de sécurité exploitables en matière d'IoT, avec ou sans l'assistance des entreprises concernées, est en effet sans commune mesure en comparaison avec celles qu'Android et iOS n'ont pas encore corrigées. De plus, et toujours depuis l’affaire Snowden, Google et Apple ont largement accru le contrôle des demandes émanant des autorités.

Reste encore à savoir quelle sera l'utilité de cette possibilité d'activer à distance des appareils électroniques à des fins de géolocalisation, alors que la police judiciaire peut déjà réclamer aux opérateurs de téléphonie mobile de géolocaliser leurs abonnés.

Écrit par Jean-Marc Manach

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

La captation de sons et d’images censurées

Pas de censure pour la géolocalisation

Le mémoire en défense du gouvernement

Il n’y a pas que les smartphones dans la vie

next n'a pas de brief le week-end

Le Brief ne travaille pas le week-end.
C'est dur, mais c'est comme ça.
Allez donc dans une forêt lointaine,
Éloignez-vous de ce clavier pour une fois !

Fermer

Commentaires (25)


J’ai pas été lire la décision du CC, mais j’avoue ne pas comprendre la différence entre la différence de traitement entre la géolocalisation et la captation audio/vidéo. Savoir où se trouve une personne à n’importe quel moment serait moins attentatoire à la vie privée que de savoir ce qu’elle entend ou que ce qu’elle peut voir dans une direction donnée ?


Je dirais que la géoloc’ ne concerne qu’une personne quand le captage audio ou vidéo peu impliquer des tiers ?


gratok

Je dirais que la géoloc’ ne concerne qu’une personne quand le captage audio ou vidéo peu impliquer des tiers ?


En effet, vu comme ça, ça peut se justifier. Mais si tu te rends au local du RN ou de LFI, même sans captation audio/vidéo, ça en dit déjà beaucoup. Moins politique mais tout aussi problématique, si tu te rends 3 fois en 2 semaines à l’hôpital, tu peux en déduire des choses. Idem si tu te rends tous les jours à l’église, à la mosquée, la synagogue ou n’importe quel autre édifice religieux.


pamputt

En effet, vu comme ça, ça peut se justifier. Mais si tu te rends au local du RN ou de LFI, même sans captation audio/vidéo, ça en dit déjà beaucoup. Moins politique mais tout aussi problématique, si tu te rends 3 fois en 2 semaines à l’hôpital, tu peux en déduire des choses. Idem si tu te rends tous les jours à l’église, à la mosquée, la synagogue ou n’importe quel autre édifice religieux.


Tout à fait d’accord avec toi sur les possibilités d’intrusion dans la vie privée de la géo-localisation, mais ça reste tout de même moindre, et à priori sous la “ligne rouge” du CC.


Exemple simple : c’est moins attentatoire à ta vie privée de savoir que tu es aux toilettes que de savoir que tu y regarde le dernier discours de Marine Le Pen. 😉



En tous cas, merci pour cet article ! Ça me fait plaisir de voir apparaître ici des articles juridiques dignes de ceux de Marc. 😊


Je ne serais pas étonné que le CC considère que le problème de la captation des images et des sons n’est pas tant ce qui pourrait être intercepté pour l’individu surveillé dans le cadre d’une enquête, mais surtout pour tout ce qui pourrait être capté autour de lui et qui ainsi violerait la vie privé des personnes qui ne sont pas concernées.



La géolocalisation, elle, ne fait que donner la position de l’appareil (donc de l’individu surveillé s’il l’a avec lui), mais ne fournit aucune autre information sur ce qui se passe à cet endroit donné.


Donc ça veut dire que, étant donné que ces pratiques étaient déjà en place, elles vont être arrêtées, hein?



dylem29 a dit:


Donc ça veut dire que, étant donné que ces pratiques étaient déjà en place, elles vont être arrêtées, hein?




Bien sur, et la marmotte… :transpi:



spidermoon a dit:


Bien sur, et la marmotte… :transpi:




Le papier allu ? :D



pierreonthenet a dit:


Exemple simple : c’est moins attentatoire à ta vie privée de savoir que tu es aux toilettes que de savoir que tu y regarde le dernier discours de Marine Le Pen. 😉 …




En même temps, vu ce que peuvent provoquer les discours de la “brune blonde”, c’est probablement l’endroit idéal pour les écouter… :fumer:



Pour revenir à la new, je pense que cette mesure de censure est une bonne chose. :ouioui:
Reste à savoir si elle sera bien respectée… :roll:


Je suis toujours très surpris que le Conseil constitutionnel se soit arrogé le droit de juger de la proportionnalité d’une mesure par rapport à un droit fondamental qui est d’ailleurs en l’espèce plutôt une valeur que quelque chose d’objectif. Quelle est sa légitimité pour ce faire ?



Le législateur a décidé que c’était proportionnel, dont acte. Non ?



(reply:2165896:Jean de Tolbiac)




Le Conseil Constitutionnel ne s’arroge pas le droit de juger, il a été saisi par des députés pour déterminer si le projet de loi était conforme à la constitution ou non.



Le rôle du CC est précisément de rendre des décisions qui ont force de loi (censure ou validation), et pas seulement d’émettre des avis ou des conseils.


Bonjour,



Merci pour votre réponse. J’ai bien noté que le Conseil avait été saisi par des parlementaires dans le cadre d’un contrôle de conformité.



Pour autant, après avoir élargi le « bloc de constitutionnalité » en y ajoutant le DDHC par exemple, le Conseil constitutionnel dans les années 80 ou 90 a unilatéralement décidé qu’il lui revenait de juger de la conformité des lois à des principes qui étaient plus philosophiques que réellement constitutionnels. C’est notamment cela que certains remettent en cause en dénonçant le « gouvernement des juges ».



Je ne suis pas toujours d’accord avec l’utilisation de cette expression mais je trouve qu’il serait ici plutôt pertinent de l’utiliser.



Cordialement.


Merci de rappeler qu’il n’y a pas que les smartphones qui pourraient être concernés par la mesure.



Je rajouterais les alarmes dans votre liste, Verisure & Co sont résistants aux intrusions? Les caméras chinoises n’ont plus le couple admin/MDP codé en dur??


Très bon article :yes:



Pas de bol pour le gouvernement. Les sons et les images les intéressaient bien plus : la géoloc, ils savent déjà que les éco-islamo-terroro-terroristes sont soit à Sainte Soline, soit entre République et Nation.



(reply:2165925:Jean de Tolbiac)




De quels principes « plus philosophiques » il est question ?



Tu as un lien qui parle de ce changement ?


Sur quels principes juridiques vous fonderiez-vous pour estimer la proportionnalité de l’article de loi dont il est question avec le droit fondamental à une vie privée ? C’est pour cela que je parle de principes «  philosophiques » à défaut d’un meilleur terme.



Ne trouvez-vous pas que c’est un gros «  juste » ? Cela a complètement transformé le rôle du Conseil.


En complément de ma réponse précédente que je ne peux plus éditer, je vous invite à lire ce texte sur le site du Conseil constitutionnel, au paragraphe I-1. Il détaille un petit peu la construction du bloc de constitutionnalité qui est à l’origine de cette auto-extension des pouvoirs du Conseil.



(reply:2165925:Jean de Tolbiac)




Elle a juste considéré que le préambule de la constitution qui contient la DDHC est aussi constitutionnel.
Il y aura toujours la question de qui contrôle la plus haute instance.


Très intéressant comme décision, qui dépend quand même un peu de l’époque et du contexte.
En effet, la pratique de la sonorisation de pièces et bâtiments est toujours prévue par la loi sous contrôle d’un juge, et pourtant l’atteinte à la vie privée d’autres personnes utilisant la pièce a bien lieu aussi, tout autant qu’un téléphone sonorisé, sans doute n’y avait-il pas de saisine du CC à l’époque, ou alors autre paramètre qui m’est inconnu.



Bonne ou mauvaise chose, mon avis reste partagé plutôt que catégorique et sans recul.



(reply:2166152:Jean de Tolbiac)




La description de cette évolution est intéressante, même si elle s’arrête à la modification de la Constitution permettant les QPC, mais avant son application. Les QPC sont une avancée très forte pour la justice.



Pour répondre à tes interrogations sur la légitimité du Conseil Constitutionnel à élargir son champ de compétence au bloc de constitutionnalité, si les politiques n’étaient pas d’accord avec cette extension, ils avaient la possibilité de modifier la Constitution pour restreindre leur compétence au seul texte de la Constitution. Comme cela n’a pas été fait, c’est que cette extension convient à l’ensemble des Présidents de la République qui ont suivi cette extension et aux parlementaires qui peuvent enclencher la modification de la Constitution.



(reply:2166151:Jean de Tolbiac)




Je ne sais pas, mettre un texte dans la constitution juste pour faire jolie c’est tout autant bizarre.


Je tombe des nu ! On en est là ?! Donc on pourra nous géolocaliser, nous écouter et nous regarder tranquillement ?
Je ne vois pas trop en quoi le CC censure : ils limitent vaguement, tout au plus. Il semble suffire d’être (suspecté d’être) impliqué dans quelque chose de “grave”.
Mais ça va être super sympa dans un régime extrémiste tout ça ! J’espère avoir très mal compris…


FYI, un ancien responsable du renseignement m’avait rétorqué que, si d’aventure notre démocratie basculait “dans un régime extrémiste” comme vous l’écrivez, le problème, ce serait surtout le nouveau pouvoir en place, plus que les techniques de renseignement dont disposent d’ores et déjà les OPJ et services de renseignement (qui disposent, accessoirement, de contrôles internes & externes, cf aussi ce qui s’est passé sous la présidence Trump, par ex.), et qui ne sauraient être entravés au nom d’un hypothétique ou éventuel changement de président(e).



cacadenez a dit:


J’espère avoir très mal compris…




Je te rassure, c’est le cas.